De la démission silencieuse à la disparition soudaine
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme
Ça ressemble à la chronique d’une mort annoncée. La stratégie du tout-aux-profits, adoptée par les entreprises au cours des années 1990, s’est traduite par le désengagement d’une partie de leurs travailleurs. Mais alors que certains se contentent de limiter leurs efforts au travail, d’autres disparaissent, littéralement, sans avertissement ni explications.
« Ceux qui pratiquent ce qu’on appelle la démission silencieuse (quiet quitting) ne quittent pas leur emploi », dit Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. « Ce sont des gens qui continuent de travailler, mais en se limitant à répondre aux exigences de leur emploi, sans plus », explique la chercheuse.
Ce phénomène n’est pas nouveau, signale la psychologue. Estelle Morin situe l’apparition de la démission silencieuse dans les années 1990, alors que de grands conglomérats se formaient et que la maximisation de l’avoir des actionnaires devenait la priorité des priorités des dirigeants d’entreprise. « Une baisse de profitabilité entraîne bien souvent une vague de mises à pied », rappelle la chercheuse. « Les employeurs sont moins loyaux que par le passé, ajoute-t-elle. On vous demande de vous engager, d’être loyal envers l’organisation. En revanche, il ne faut pas s’attendre à ça des employeurs. Ça n’envoie pas le bon message aux employés. »
La recherche d’équité
Les travailleurs recherchent l’équité, explique Estelle Morin. Ils sont disposés à en donner plus que ce qui est demandé, mais souhaitent que ces efforts additionnels soient reconnus par l’employeur. S’ils ne le sont pas, ils démissionnent… silencieusement. Pour la chercheuse, cette attitude des employés envoie un message fort aux gestionnaires. « Ça leur rappelle que, s’ils ne reconnaissent pas la juste valeur des contributions volontaires, qui ne sont pas prévues au contrat de travail, ils peuvent s’attendre à ce que les employés reviennent à une contribution normale qui correspond à ce qu’ils reçoivent en échange. » Cette situation inquiète cependant la spécialiste, qui observe la détérioration des conditions de travail depuis une trentaine d’années. « Je n’aurais jamais pensé qu’on reviendrait à revendiquer un travail tout simplement décent. »
Comme des fantômes
Un autre phénomène, plus récent, se superpose à la démission silencieuse, croit pour sa part Frankie Bernèche, professeur de psychologie au cégep Saint-Jean-sur-Richelieu. « Beaucoup de salariés quittent leur emploi sans préavis », dit le psychologue. « Du jour au lendemain, ils ne se présentent pas au travail, sans même en informer l’employeur », ajoute-t-il.
Ce type de comportement serait davantage associé aux nouvelles générations de travailleurs, estime le chercheur. « Ça semble lié à une très faible motivation au travail », avance Frankie Bernèche, qui reconnaît que le sujet demeure peu étudié. Pourquoi cette si faible motivation, c’est la question à laquelle il faut répondre, selon lui.
Le manque d’estime de soi que manifesteraient les jeunes travailleurs fait partie des hypothèses avancées par le psychologue pour expliquer le manque de motivation de la main-d’oeuvre plus jeune. « Les gens qui ont une faible estime d’eux-mêmes n’osent jamais prendre les choses en main pour régler un problème. Ils se croient incapables de changer les choses, explique Frankie Bernèche. Si une situation ne leur plaît pas, ils partent, ils fuient. »
Le rapport différent au travail de la nouvelle génération d’employés s’inscrirait peut-être aussi dans leur volonté de rompre avec les valeurs de leurs parents. « Ces personnes ont souvent eu des parents qui se sont beaucoup donnés à leur travail, parfois au détriment des enfants et de la famille », souligne le psychologue. « Elles ont tendance à dénoncer cette culture du travail là », poursuit-il.
Frankie Bernèche observe également que la nouvelle génération accepte difficilement d’évoluer à l’intérieur d’un cadre trop rigide. Le professeur admet que les raisons sont complexes, mais il tente une explication. « Une chose qui distingue cette génération, c’est qu’on tombe souvent sur des enfants uniques, élevés sans compétition de fratrie », rappelle le chercheur. « Les parents ont moins tendance à mettre des cadres à leur enfant lorsqu’il est unique », explique l’enseignant, qui ajoute que les entreprises font fausse route en courtisant leurs jeunes employés avec le télétravail, en permettant la présence d’un animal au bureau ou avec d’autres mesures d’attraction. Selon lui, il faut amener cette nouvelle main-d’oeuvre à reconnaître que travailler sous contrainte et relever des défis présentent une grande valeur. « Il faut agir sur l’estime de soi des individus, croit Frankie Bernèche. On doit amener ces personnes à se rendre compte que c’est valorisant de réussir des tâches difficiles. » Le plus beau dans tout ça, ajoute le psychologue, c’est que « la recherche montre que, lorsqu’on les sensibilise, qu’on les place devant des défis, les gens aiment ça. »
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