La FTQ veut être plus qu’un syndicat

Un vent de changement souffle sur le syndicalisme québécois. Télétravail, santé mentale, pénurie de main-d’oeuvre : les négociations ont changé de décor. Dans la foulée, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a changé de visage. Une première femme a été élue à sa tête. Quelques semaines après l’entrée en poste de Magali Picard, celle-ci met cartes sur table. Entrevue.
Magali Picard se targue peut-être d’être la première femme à diriger la FTQ, mais elle conserve le ton mordant de ses prédécesseurs. « On est fatigants, on va être fatigants, et déjà le gouvernement nous trouve fatigants », laisse-t-elle tomber, le sourire dans la voix, après une heure de discussion avec Le Devoir.
Défendre bec et ongles le sort de 600 000 syndiqués ne suffit plus pour cette syndicaliste de longue date. Il s’agit de « faire partie d’un mouvement qui est là pour la justice sociale, présent dans les débats publics ».
Le racisme systémique ? L’intersectionnalité ? La FTQ prend à bras-le-corps ces nouveaux concepts pour défendre ses membres. « On regarde quels seront les impacts [d’une décision] sur les différentes communautés dans la société. C’est ça le sens. C’est un réflexe qui est essentiel, en ce qui me concerne », détaille Magali Picard, d’ailleurs d’origine wendate.
Elle ne s’en cache pas ; ce discours au goût du jour ouvre la porte aux jeunes générations détachées des luttes collectives d’antan.
« On a des membres qui se questionnent ou qui pensent que le syndicat, ça a déjà été nécessaire, mais que c’est moins nécessaire aujourd’hui », concède Mme Picard. « Ou encore que les conditions d’emploi qu’ils ont, ils les ont parce que ce sont de bons employés, et qu’ils n’ont, eux, personnellement, pas besoin de syndicats. »
Une opposition tous azimuts
La voix de la FTQ soufflera comme un vent de face contre le conservatisme du gouvernement Legault. Certains pourraient même penser que le Québec vient de trouver son opposition non officielle à l’Assemblée nationale. Magali Picard insiste sur ce point : « la FTQ n’est la succursale d’aucun parti politique. »
N’empêche, elle saute dans l’arène politique dès que les mots « baisse d’impôts » sont prononcés. Cette promesse de la Coalition avenir Québec ne passe pas pour la nouvelle porte-étendard de la gauche.
« Pourquoi des baisses d’impôts ? Pour encore aider les mieux nantis ? Parce que les plus pauvres ne paient pas d’impôts. Ce ne sont pas nos gens, qui sont les moins bien nantis, qui paient le plus d’impôts, ce n’est pas vrai. Et en fait, on vient donc encore une fois enrichir des gens qui sont relativement bien nantis au Québec. On est les plus taxés, mais en même temps, on a les meilleurs programmes sociaux. On peut en être fiers. »
On regarde quels seront les impacts [d'une décision] sur les différentes communautés dans la société.
Au fédéral aussi, la FTQ compte retrouver sa voix au chapitre. Elle témoignera en commission parlementaire pour plaider la défense du français dans le cadre de la réforme de la loi sur les langues officielles. Encore là, le ton est tranchant : « Il ne peut pas y avoir deux lois deux mesures. Ça en prend juste une. Il faut absolument que ce qu’on amène au Québec soit applicable pour tous. Et ça, pour moi, c’est non négociable. D’avoir ce projet de loi arriver qui pourrait faire en sorte que certaines entreprises sous juridiction fédérale auraient des conditions différentes que celles du Québec, c’est inacceptable ! »
Une lutte près de chez vous
Au-delà des grandes idées, Magali Picard devra aussi — et surtout — répondre aux attentes de ses membres à la table des négociations. Son premier bras de fer approche à grands pas. Québec et ses employés négocient déjà pour renouveler les conventions collectives qui arrivent à échéance à la fin du mois de mars.
Le salaire et les conditions de travail figurent en tête des revendications. Pas question de s’étendre en consultation outre mesure, prévient-elle. La proposition du Conseil du trésor de former trois « forums » (« équipe classe », « équipe santé mentale » et « équipe soins » ) à côté des tables de négociations ne passe pas au conseil syndical. La porte est fermée à double tour.
Ces « forums » ne possèdent pas de force légale, revendique Magali Picard. « Les deux parties pourraient reculer à n’importe quel moment et changer d’idée. C’est connu que, lorsque les gouvernements veulent gagner du temps, ils créent des comités. Ils appellent ça maintenant des forums. »
C’est à croire que le torchon brûle déjà. Le premier ministre François Legault a dénoncé fin février la « logique de fermeture » des syndicats dans une publication sur Facebook.
Cette attaque frontale fait bondir Magali Picard de sa chaise de présidente. « C’est inutile. Ça devient une campagne de désinformation. Nos gens sont déjà stressés, fatigués, épuisés. Ils n’ont pas besoin de sentir que leurs patrons, leurs syndicats se chicanent comme ça. Et ils ont un message comme quoi les syndicats ne veulent pas venir s’asseoir pour négocier. Attention, ça fait longtemps que vous avez nos demandes. »
Pour amorcer son mandat de trois ans du bon pied, l’administratrice prévoit une tournée des régions québécoises. Trop souvent a-t-on centré les luttes ouvrières à Montréal, dit-elle. Un premier congrès aura lieu ce printemps sur la Côte-Nord, par exemple. « On va aller voir dans les régions. C’est quoi, votre réalité ? C’est quoi, votre bataille, [le prolongement de la] 138 ? On va parler de la 138. On va faire des conférences de presse dans la région. »
En terminant l’entrevue, Magali Picard laisse une impression de déjà-vu. La FTQ recule de quelques décennies pour changer de direction. Ce n’est plus seulement un négociateur que la fédération a à sa tête, mais également une militante.