Les demandeurs d’asile du chemin Roxham sont-ils de «faux réfugiés»?

La loi permet actuellement aux migrants arrivés par Roxham de demander l’asile, même s’ils ne passent pas par un poste-frontière.
Sébastien St-Jean Agence France-Presse La loi permet actuellement aux migrants arrivés par Roxham de demander l’asile, même s’ils ne passent pas par un poste-frontière.

Depuis le début de l’année, les arrivées de demandeurs d’asile par le chemin Roxham font les manchettes toutes les semaines. En quatre questions cette semaine, Le Devoir tente d’apporter des réponses nuancées sur ce phénomène complexe. Aujourd’hui : les demandes d’asile de ces arrivants sont-elles fondées ?

L’une des inquiétudes persistantes à propos des demandeurs d’asile qui arrivent au Québec par le chemin Roxham est le caractère fondé ou non de leurs motifs pour demander la protection. Ces personnes ont-elles des raisons valables de demander l’asile ? La loi et l’opinion publique ne s’accordent pas toujours.

La majorité des demandeurs de Roxham ont été acceptés en tant que « personnes protégées » par le Canada, soit 52 % d’entre eux.

Leur taux de refus, tous pays d’origine confondus, est d’environ 35 % depuis 2017, année où les arrivées se sont accélérées. Ce taux est légèrement plus élevé que celui comprenant toutes les demandes d’asile : les refus oscillent entre 29 % et 32 % selon les années, d’après les statistiques disponibles pour 2016 à 2021.

Cette comparaison comporte des limites, mais elle fait dire à Adèle Garnier, professeure de géographie à l’Université Laval, que « les raisons des demandeurs de Roxham sont aussi pertinentes que les autres demandeurs ». La différence entre les taux d’acceptation « n’est pas considérable », qualifie-t-elle.

Ces personnes viennent principalement du Nigeria, d’Haïti, de la Colombie, de la Turquie, du Pakistan, de la République du Congo, de l’Angola, du Soudan, du Yémen ou du Venezuela.

Mme Garnier rappelle qu’elles sont souvent passées par plusieurs pays avant de traverser la frontière canadienne, et que malgré « des trajectoires migratoires compliquées […], ça ne veut pas dire qu’elles ne fuient pas la persécution », précise-t-elle.

Chaque cas est évalué individuellement, même si les décideurs sont invités à consulter des renseignements sur les pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’exercice de leurs fonctions.

Processus

La loi permet actuellement aux migrants arrivés par Roxham de demander l’asile, même s’ils ne passent pas par un poste-frontière.

Qu’ils arrivent à pied, par avion ou par bateau, les demandeurs d’asile sont soumis au même processus que les réfugiés. À l’inverse des réfugiés qui ont obtenu le statut avant d’arriver au Canada, ceux qui demandent l’asile sont déjà sur le territoire pendant l’évaluation de leur requête.

Leurs motifs sont évalués au cas par cas, à partir des preuves présentées et des réponses données, durant une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

Toutes ces personnes sont évaluées selon la définition du terme « réfugié » dans la loi canadienne, qui est celle inscrite dans la Convention sur les réfugiés de 1951. Un réfugié est d’abord quelqu’un qui se trouve hors de son pays de nationalité ou de résidence.

Puis, cette personne doit craindre « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions publiques ».

Distinction entre « fondé »et « légitime »

Dans un récent sondage mené par la firme Environics, 36 % des répondants canadiens estimaient que « trop de réfugiés ne sont pas des vrais réfugiés ». À l’inverse, 46 % étaient en désaccord avec cette affirmation.

Dans l’opinion publique, les raisons valables de fuir ne sont pas totalement en phase avec les statuts légaux, constate Mme Garnier sur cette question de « faux réfugiés ». Ceux que l’on voit comme des réfugiés ne remplissent pas toujours les conditions légales spécifiques.

« Légalement, même les Ukrainiens n’auraient pas tous le statut de réfugié s’ils devaient le demander », soutient notamment Mme Garnier.

Les quelque 178 000 Ukrainiens déjà arrivés au Canada n’ont en effet pas eu besoin d’obtenir le statut de réfugié au sens de la loi sur l’immigration ; ils ont plutôt reçu un titre de séjour temporaire grâce à un programme spécial.

D’abord, plusieurs Ukrainiens accueillis se trouvaient encore à l’intérieur de leur propre pays, ce qui complique souvent l’obtention du statut. Dans ce cas, la CISR peut aussi demander à la personne si elle n’a pas pu trouver refuge ailleurs dans son pays d’origine.

De plus, donner un statut de réfugié, c’est aussi une question d’interprétation du « risque généralisé » : est-ce que le demandeur d’asile sera personnellement exposé à une menace à sa vie à laquelle d’autres personnes du pays ne sont généralement pas exposées ?

Le Venezuela est un autre exemple intéressant, citait aussi l’avocate Stéphanie Valois dans une entrevue précédente. Le pays est complètement déstabilisé par une « situation catastrophique », les ressortissants qui passent par Roxham sont acceptés à 84 %, mais certains demandeurs sont quand même déboutés.

Des demandeurs dont la requête a été refusée se retrouvent parfois au centre d’incongruités. Ceux provenant d’Haïti, du Venezuela ou de 11 autres pays ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine. Le Canada a considéré leur pays comme trop dangereux et a décrété un sursis ou une suspension des renvois.

Enfin, pour Adèle Garnier, c’est aussi une question de « justice migratoire ». « Dans l’imaginaire, les gens qui passent par Roxham n’ont pas pris la route qu’il faut. Même s’ils ont une demande légitime, plusieurs n’ont tout simplement aucune autre option », expose-t-elle.



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