Qui paie vraiment pour les demandeurs d’asile à Roxham?

Depuis le début de l’année, les arrivées de demandeurs d’asile par le chemin Roxham font les manchettes toutes les semaines. En quatre questions cette semaine, Le Devoir tente d’apporter des réponses nuancées sur ce phénomène complexe. Aujourd’hui : décryptage des coûts liés aux demandes d’asile.
L’arrivée des demandeurs d’asile par le chemin Roxham engendre certains coûts liés aux services qui leur sont dispensés, de l’hébergement d’urgence aux places supplémentaires dans les écoles. Tout comme pour les autres immigrants, c’est Ottawa qui paie la majorité de la facture, mais un montant additionnel est soumis périodiquement à des négociations avec Québec.
D’une part, le fédéral a versé 697 millions de dollars à la province durant l’exercice financier 2021-2022. Ce transfert annuel, calculé selon une formule inscrite dans l’Accord Canada-Québec de 1991, sert surtout à assurer le fonctionnement du ministère provincial de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).
D’autre part, cette subvention fédérale ne couvre pas directement certains services fournis aux demandeurs d’asile. Le MIFI en finance néanmoins certains à son tour, comme le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), qui offre notamment de l’hébergement temporaire.
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Depuis que la cadence d’arrivée de demandeurs d’asile s’est accélérée à Roxham, en 2017, des négociations sur les montants supplémentaires nécessaires pour couvrir les dépenses de Québec ont lieu. Les détails des enveloppes demandées n’ont toutefois pas encore été révélés. Les dépenses se chiffreraient à « plusieurs centaines de millions de dollars », a écrit le premier ministre François Legault dans sa récente lettre à Justin Trudeau, l’exhortant à les rembourser.
Un cri du coeur mal entendu ?
L’impression demeure tout de même que la « capacité d’accueil » a été « dépassée », comme M. Legault l’a clamé à maintes reprises.
Le 24 janvier dernier, les organismes d’aide aux demandeurs d’asile ont lancé un cri du coeur, disant être « débordés » par les arrivées. « On est en train de frapper un mur », avait alors affirmé Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Et même si Québec a très rapidement débloqué 3,5 millions de dollars pour les soutenir, ils réclamaient aussi une augmentation pérenne de leur financement. « On est très contents, mais ça ne résout pas les enjeux de financement, c’est un plaster », exprime-t-il aujourd’hui.
Les demandeurs d’asile ont accès à « des services de survie » , souligne-t-il. Les autres immigrants bénéficient entre autres d’un accompagnement plus long — pour la recherche d’un emploi, par exemple — et d’une francisation à temps plein soutenue par des allocations.
Dire que la capacité d’accueil a été « dépassée » est-il donc exagéré ? Cette capacité est une fonction de la « volonté politique », répond M. Reichhold. Il cite l’exemple du programme spécial mis sur pied pour les Ukrainiens, grâce auquel près de 178 000 personnes sont déjà arrivées au Canada. « On ne dit pas d’enlever les services aux Ukrainiens, on dit que donner accès aux mêmes services aux demandeurs d’asile enlèverait énormément de pression et faciliterait la vie de tout le monde », résume-t-il.
Dans le débat sur Roxham, « on présente souvent la capacité d’accueil comme quelque chose de stable, d’immuable, comme si on ne pouvait pas l’augmenter », abonde aussi Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche en politique de l’immigration de l’Université Concordia.
Elle invite aussi à se préparer pour l’avenir en tenant compte de la situation mondiale : « Il faut un réel dialogue à l’échelle nationale, c’est une nouvelle réalité, alors peut-être qu’il faut prendre la décision de mettre de l’argent dans les structures. »
Quels coûts ?
L’hébergement temporaire est la première ressource à laquelle les demandeurs d’asile peuvent avoir recours. Le PRAIDA a présentement une capacité de 1200 places réparties entre deux sites d’hébergement à Montréal, soit au YMCA de la rue Tupper et à la Place Dupuis. Ce programme est financé par le MIFI, qui est financé à son tour par le fédéral. Le fédéral loue également des chambres d’hôtel dans la région de Montréal et en Ontario pour y loger des personnes qui viennent d’arriver au pays.
La couverture des soins de santé est quant à elle entièrement prise en charge par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), tel que l’indique la Régie de l’assurance maladie du Québec aux omnipraticiens.
L’intégration des enfants dans les écoles est couverte par Québec. Les demandeurs d’asile n’ont par contre pas accès aux services de garde subventionnés depuis 2018.
L’aide juridique est également couverte par Ottawa, puisque l’immigration est un domaine de droit fédéral, assure Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI).
Les longs délais avant d’obtenir un permis de travail poussent aussi les demandeurs d’asile à demander une aide financière de dernier recours, une dépense provinciale.
Ces longs délais sont d’ailleurs une pomme de discorde entre les deux ordres de gouvernement. « Plus il faut de temps pour traiter une demande, plus les coûts supportés par les administrations provinciales et municipales augmentent », notait déjà en 2018 le Bureau du directeur parlementaire du budget du Canada.
Une brève histoire des réclamations de Québec
Ce n’est pas d’hier que Québec demande à Ottawa de rembourser les frais engagés pour l’accueil des demandeurs d’asile au chemin Roxham et ailleurs.
Dès mars 2018, soit moins d’un an après le début de l’accélération des arrivées, la province réclamait déjà un paiement de 146 millions de dollars. Le fédéral avait alors assuré être conscient des besoins additionnels face à cet afflux. Québec avait dû attendre le mois de juin avant de recevoir un chèque de 36 millions de dollars, une somme qui s’additionnait donc au transfert routinier en immigration.
En janvier 2019, peu après son élection, François Legault revient à la charge et réclame un remboursement de plus de 300 millions de la part d’Ottawa. Québec finira par obtenir 250 millions de dollars au mois d’août suivant.
Les transferts n’ont pas été chiffrés publiquement depuis, et la pandémie a fait considérablement diminuer le nombre de demandeurs d’asile en 2020. M. Legault aborde d’ailleurs surtout les dépenses engagées en 2021 et en 2022 dans sa lettre à Justin Trudeau.
Une version précédente de ce texte a été modifiée pour inclure des précisions concernant l’hébergement temporaire qu’offre le PRAIDA.