«Fermer» Roxham va-t-il régler la question des demandeurs d’asile?

Depuis le début de l’année, les arrivées de demandeurs d’asile par le chemin Roxham font les manchettes toutes les semaines. En quatre questions cette semaine, Le Devoir tente d’apporter des réponses nuancées sur ce phénomène complexe. Aujourd’hui : possibilité et conséquences d’une restriction des passages à Roxham.
Tant les partis politiques que des avocats ou des citoyens sur les réseaux sociaux réclament depuis des mois la « fermeture » du chemin Roxham.
La solution n’est évidemment pas aussi simple que de mettre une barrière physique, comme une clôture ou un fil barbelé, sur cette route de Montérégie désormais célèbre.
En tant que signataire de la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés, le Canada s’est engagé à ne pas refouler les demandeurs d’asile à ses frontières.
Le tiers des demandeurs d’asile au Québec ne sont d’ailleurs pas passés par le chemin Roxham en 2022. Près de 19 000 personnes ont déposé leur demande à l’aéroport (11 650) ou à un bureau intérieur (7275) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
L’Entente sur les tiers pays sûrs est à la source de toutes les crispations. En vigueur depuis décembre 2004, elle prévoit le renvoi immédiat d’un demandeur d’asile qui cherche à entrer au Canada à partir des États-Unis par voie terrestre.
Elle ne couvre cependant pas les personnes qui se présentent entre deux points d’entrée officiels, d’où la possibilité de demander l’asile au chemin Roxham.
Que faire de l’Entente ?
Il y a, d’une part, le camp de ceux qui voudraient abolir l’Entente sur les tiers pays sûrs. Les demandeurs d’asile pourraient alors « tout simplement se présenter au poste-frontière officiel », dit l’avocate Stéphanie Valois, celui de Lacolle par exemple, qui est à proximité du chemin Roxham.
D’autres voudraient plutôt la renégocier, pour changer ces exceptions justement, dont le premier ministre François Legault. Les partisans de la renégociation invoquent notamment le fait que la situation « encourage » les personnes à franchir la frontière de façon irrégulière. Les coûts engendrés par l’accueil des demandeurs d’asile font aussi partie de ce raisonnement.
Le premier ministre Justin Trudeau assure que l’Entente est bel et bien en train d’être renégociée avec Washington. Il refuse cependant depuis longtemps d’en révéler plus sur la teneur de ces négociations.
C’est justement dans les détails que tout se complique : une nouvelle version de l’Entente pourrait-elle inclure tous les passages entre les points d’entrée officiels ?
Mais comment, alors, réussir une telle tentative de sceller le pays ? Le Canada compte une frontière de près de 9000 kilomètres avec les États-Unis (incluant celle avec l’Alaska). « C’est un peu comme essayer de retenir de l’eau avec les mains, ça peut marcher un temps, puis les flux feront le tour », dit Élisabeth Vallet, directrice de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand.
Une autre option est de retourner au statu quo qui avait cours durant la pandémie, avec seulement les exceptions déjà prévues à l’Entente, par exemple les personnes ayant de la famille au Canada ou les mineurs non accompagnés. Plus de 4000 demandeurs d’asile sont ainsi passés par Roxham en 2021 malgré les restrictions.
« Pendant la pandémie, les gens traversaient quand même entre deux points d’entrée. Si on ferme Roxham, les gens vont juste passer à côté », croit Me Valois.
Même avant 2017, année durant laquelle les arrivées se sont accélérées par le chemin Roxham, « il y a toujours eu des gens qui passaient la frontière sans être vus et qui allaient directement à Sherbrooke, par exemple », se souvient aussi Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Ce nombre restait cependant « marginal », précise-t-il.
C’est qu’il n’y a pas que Roxham, justement : une personne qui passe par n’importe quel autre endroit qu’un poste-frontière peut en ce moment demander l’asile lorsqu’interceptée par la Gendarmerie royale du Canada, ou le faire à un bureau intérieur.
C’est ce qui fait dire à Mme Valois que le chemin Roxham, « c’est une migration ordonnée, contrairement à l’image qu’on essaie de donner ». « Au moins, on sait exactement qui est là, qui rentre, car on les enregistre, on prend leurs empreintes, on fait des vérifications », décrit-elle.
« Roxham est plus sécuritaire et plus organisé », dit aussi M. Reichhold. Le durcissement de la frontière entraînerait, selon lui, « plus de risques de mort et plus de souffrance ».
Le lien entre le renforcement des frontières et la hausse du nombre de morts a en effet été étudié à de multiples endroits dans le monde. Aux États-Unis, plus de 750 personnes ont été retrouvées mortes à la frontière sud en 2021, ce qui constitue un record.
Cet élément a même été avancé par la ministre provinciale de l’Immigration, Christine Fréchette, dans un point de presse le 2 février dernier, avant qu’elle ne se rétracte la même journée. « Ce serait dangereux [pour les migrants]. Ça ferait en sorte qu’ils [devraient] passer par des chemins qui ne sont pas balisés comme le chemin Roxham », rendant la traversée « plus périlleuse », avait-elle alors affirmé.
Contexte mondial
Est-ce que partiellement « fermer » Roxham pourrait néanmoins diminuer son pouvoir d’attractivité ? « Peut-être, je ne sais pas, dit Me Valois en réfléchissant. Mais si tu es prêt à risquer ta vie, je pense que ce n’est pas la frontière Canada–États-Unis qui va t’arrêter. »
Elle cite le cas de plusieurs Haïtiens qui transitent par la région du Darién, en Colombie, réputée pour être l’un des endroits les plus dangereux au monde, tant à cause d’une jungle tropicale dense qu’à cause du trafic de drogue et du conflit armé colombien.
« Je pense qu’il faut réaliser que le Canada ne peut échapper à la tendance mondiale », affirme-t-elle.
« Roxham est une goutte d’eau dans la réalité mondiale des gens qui ont besoin d’aide, de migrer », note aussi Mireille Paquet, politologue à l’Université Concordia.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a en effet calculé que 89,3 millions de personnes avaient été contraintes de fuir leur foyer en 2022, soit le « niveau le plus élevé depuis que ces statistiques existent ».