Une Canadienne se bat pour rapatrier sa fille retenue au Mali

Selon nos informations, Affaires mondiales Canada ne peut se charger de la garde physique d’un enfant ni intervenir dans les affaires judiciaires d’un pays étranger, sans risquer l’incident diplomatique.
Michael Kappeler Associated Press Selon nos informations, Affaires mondiales Canada ne peut se charger de la garde physique d’un enfant ni intervenir dans les affaires judiciaires d’un pays étranger, sans risquer l’incident diplomatique.

Après avoir réussi à fuir le Mali, une mère de famille canadienne se bat sans relâche depuis des mois pour faire rapatrier au Canada sa fille retenue là-bas par son père. Ce dossier d’enlèvement international est plongé dans une impasse, alors qu’Ottawa semble avoir épuisé tous ses moyens.

Mariam, dont la réelle identité n’est pas révélée pour des raisons de sécurité, nage en plein cauchemar. Détentrice de la double citoyenneté canadienne et malienne, cette mère de plusieurs enfants, qui sont tous canadiens, se trouvait depuis quelque temps au Mali sous le joug d’un mari violent lorsqu’elle a pris la décision de revenir au Canada l’automne dernier. « J’ai dû forcer l’armoire où il gardait nos papiers », explique-t-elle, depuis l’hébergement sécuritaire où elle vit maintenant. « Mais j’ai vu que le passeport canadien [d’une de mes] fille[s] était expiré. »

À l’ambassade canadienne de Bamako au Mali, on lui confirme que pour délivrer un nouveau passeport, il faut l’accord des deux parents. Craignant pour sa sécurité et pour celle de sa progéniture, Mariam prend la décision déchirante de partir avec ses enfants, en laissant momentanément sa fille de 5 ans derrière elle. « Je devais partir au Canada. Je n’avais plus le choix », dit-elle, la voix brisée.

Peu de temps après son retour au Canada, le stress monte d’un cran lorsque la fillette est menacée d’excision au Mali. « C’est là qu’on a accéléré le pas et mis de la pression », explique l’intervenante de Mariam, dont le nom est tu pour les mêmes raisons de sécurité. Les responsables de l’ambassade canadienne au Mali et d’Affaires mondiales Canada ont été contactés. « On avait réussi à réunir tout le monde dans un Zoom. On avait même fait rouvrir l’ambassade canadienne au Mali un samedi. On pensait que ça se réglerait là », poursuit-elle.

Début décembre, une ordonnance du tribunal confère à Mariam la garde complète de sa fille au Canada et la dispense de l’obligation d’avoir la signature du père pour lui faire remettre un passeport canadien. Elle finira aussi par obtenir d’un juge malien la garde complète de sa fille au Mali.

Dans la foulée, Mariam et son intervenante ont demandé de l’aide à des organismes comme la Croix-Rouge, Enfant-Retour et Wildaf, qui défend les droits des femmes en Afrique de l’Ouest. Des démarches ont été amorcées auprès de la Sûreté du Québec pour déposer une plainte pour enlèvement international à Interpol. Une lettre a aussi été envoyée à la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. « J’ai même écrit au premier ministre », dit l’intervenante.

Crainte d’incident diplomatique

À défaut de pouvoir refaire rapidement un passeport à la fillette, Immigration Canada propose de délivrer un titre de voyage d’urgence, qui peut être délivré rapidement « en cas d’extrême urgence ». Mais encore faut-il que quelqu’un puisse aller récupérer la fillette chez son père pour l’emmener à l’aéroport, ce que le personnel de l’ambassade canadienne au Mali ne peut pas faire.

Selon des experts en droit international de la famille que Le Devoir a consultés, Affaires mondiales Canada ne peut se charger de la garde physique d’un enfant ni intervenir dans les affaires judiciaires d’un pays étranger, sans risquer l’incident diplomatique.

Il n’est pas non plus possible de demander le retour de l’enfant en vertu de la Convention de La Haye, un système de coopération entre les pays pour régir l’adoption internationale et prévenir l’enlèvement d’enfants, puisque le Mali n’est pas membre.

Dans un courriel envoyé au Devoir, Affaires mondiales Canada indique ne pas pouvoir donner de détails sur ce cas étant donné les lois protégeant les renseignements personnels. Il dit toutefois fournir « une assistance consulaire à la famille » sans donner de détails sur les actions entreprises. « Pour de plus amples renseignements, veuillez consulter la Charte des services consulaires du Canada qui donne un aperçu des services consulaires offerts aux citoyens canadiens ainsi que des limites de ces services », a-t-on précisé.

Me Véronique Dorval, avocate en aide juridique au dossier, s’étonne que la fillette soit ainsi abandonnée à son sort. « Elle est citoyenne canadienne. Je trouve cela bizarre qu’on ne puisse absolument rien faire », affirme-t-elle. Elle dit toutefois très bien comprendre les limites de l’implication du Canada dans un pays étranger. Or, c’est là où le bât blesse. « Ça devient difficile de mettre en place un plan pour aller chercher l’enfant », dit-elle. « Au Mali, il y a de la corruption. On ne sait pas à qui faire confiance. Et les membres de la famille de madame ont peur des représailles. »

Même si Mariam a obtenu la garde complète de sa fille au Mali, il semble qu’il soit difficile de forcer le père à remettre sa fille aux autorités. La semaine dernière, après s’être rendu au domicile et au travail du père à Bamako, un huissier, mandaté pour récupérer la fillette, est rentré bredouille.

Un autre obstacle

Un autre obstacle se dresse, soit la difficulté d’obtenir le document de voyage permettant à la fillette de prendre l’avion. Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), un titre de voyage d’urgence au nom de l’enfant est actuellement approuvé sous conditions. La fillette doit notamment fournir de nouvelles photos format passeport et une preuve de voyage au Canada, comme un billet d’avion.

Mariam est épuisée. « Ça fait 4 mois que je n’ai pas parlé à ma fille », souffle-t-elle pour toute réponse, lorsqu’on s’enquiert de son état d’esprit. Pour l’heure, cette mère de famille n’a qu’un souhait : « Je veux que le Canada exige que [le père] me rende ma fille. » Son intervenante abonde dans le même sens. « Si ça avait été l’enfant de Mélanie Joly, il serait déjà ici. »

Déjà beaucoup d’efforts ont été déployés pour fournir tous les documents demandés, ajoute l’intervenante qui loue le courage de Mariam. « Je ne sais pas combien on a fait de rencontres, et envoyé de courriels… […] On a rempli tellement de formulaires pour le gouvernement canadien. À mes yeux, c’est de la violence institutionnelle. »

Depuis avril 2022, Affaires mondiales Canada a reçu des demandes d’assistance consulaire liées à un peu plus de 100 cas potentiels d’enlèvement d’enfants dans le monde. Ils ne se sont pas tous avérés.

Interpellée sur le cas de la fillette au Mali, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, n’a pas répondu aux questions du Devoir.

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