Insécurité et violence: des résidents du Village en ont assez

Ils s’appellent Marc, Louis, Victor ou Manuel. Tous sont résidents du Village, dans l’arrondissement Ville-Marie, à Montréal. Et tous partagent la même inquiétude : celle de voir la qualité de vie du quartier qu’ils chérissent se dégrader à vue d’oeil.

« On est sur le bord de déménager. Le sentiment d’insécurité a beaucoup contribué à ça. » Au téléphone, Marc François Rouleau se désole de la détérioration de son environnement. Le Village, où il habite depuis près de dix ans, n’a plus son allure dynamique et pétillante d’autrefois, raconte-t-il.

Comme de nombreux résidents joints par Le Devoir, il a vécu plusieurs incidents récemment dans le secteur. Il ne s’y sent plus autant en sécurité qu’auparavant. « Parfois, on a peur de se rendre chez nous. Il y a des gens qui nous suivent », raconte-t-il, ajoutant que son copain fait maintenant l’épicerie tôt le matin, à une heure où moins de personnes rôdent dans les rues.

Louis Laurent s’est quant à lui rendu au poste de police il y a peu, après une agression survenue le 30 janvier dernier. Alors qu’il rentrait chez lui en plein jour, à deux pas du métro Beaudry, il raconte qu’un homme s’est jeté sur lui par-derrière et a tenté de lui arracher le sac qu’il portait en bandoulière. « Je lui ai pris le bras, et il m’a donné un coup sur le côté de la tête. Je ne savais pas ce qui se passait sur le coup, mais ça m’a fait un mal de chien », raconte M. Laurent.

Après une visite chez le médecin quelques jours plus tard, le verdict tombe : il a le tympan perforé. « Le quartier s’est beaucoup dégradé dans les cinq dernières années, regrette M. Laurent. Avant, c’était totalement différent. C’était amusant et on se sentait en sécurité. Maintenant, je suis plus sur mes gardes. »

Un « havre de paix » en déclin

Habitant le quartier depuis près de cinq ans, Manuel Poitras constate lui aussi une dégradation de la qualité de vie, ce qui lui donne fortement envie de déménager. Mais en abordant la situation, il pèse ses mots : « J’ai toujours peur que ça dégénère en un procès contre les itinérants. »

M. Poitras a tout de même vécu plusieurs situations effrayantes au contact de personnes manifestement intoxiquées. Il affirme par exemple avoir appelé le 911 à deux reprises dans les six derniers mois, ayant aperçu des personnes inanimées à côté de chez lui.

J’ai l’impression qu’il y a une injustice. Il n’y a aucun autre endroit à Montréal où on accepterait ça.

 

« La semaine dernière, j’ai vu une personne écrasée par terre, elle avait l’air de faire une overdose, se souvient-il. Je la voyais à travers ma fenêtre. » Il raconte aussi l’avoir échappé belle l’été dernier, lorsqu’un homme visiblement intoxiqué s’est avancé vers lui en faisant mine de lui coller sa main sanguinolente sur le corps. L’homme s’est arrêté au dernier moment.

« J’ai l’impression qu’il y a une injustice, souligne M. Poitras. Il n’y a aucun autre endroit à Montréal où on accepterait ça. » Pour lui, la présence de personnes en détresse dans le secteur n’est pas étrangère à l’histoire du quartier. « J’ai l’impression que le Village est considéré comme un endroit où “on peut en prendre”. […] Mais il y a le côté safe space du Village qui est en train de se détériorer, et c’est désolant, parce que ça s’est bâti en plusieurs années de lutte. »

C’est comme si l’une des missions originelles du quartier était désormais en péril. « C’est une communauté qui s’est bâtie pour construire un havre de paix, mais ça va vraiment en déclin. Pas parce qu’il y a de la violence contre la diversité sexuelle, mais parce qu’il y a de la violence en général. »

« La cour est pleine »

Plusieurs autres résidents du quartier contactés par Le Devoir ont raconté leurs histoires personnelles. Victor, qui ne souhaite pas mentionner son nom de famille pour des raisons professionnelles, constate aussi que l’ambiance dans le secteur commence à lui peser.

« Quand tu te lèves le matin ou que tu rentres du travail, voir toute cette détresse, c’est assez choquant, c’est même lourd pour le moral. En tant que résidents, ça commence à nous peser, c’est comme si on était face à un fardeau. »

Lui non plus ne montre pas du doigt les personnes en situation d’itinérance ou intoxiquées qui arpentent le coeur névralgique du quartier chaque jour. Il croit plutôt que les ressources pour aider ces personnes ne sont pas suffisantes. « La plupart des résidents, on n’est pas dans l’optique de dire : “Pas dans ma cour”. C’est plutôt que là, la cour, elle est pleine ! »

Il note également qu’au fil des ans, c’est comme si « le pôle de vie du quartier s’était un peu déplacé vers la rue Ontario ». Laissant le tronçon de la rue Sainte-Catherine situé entre les stations de métro Berri-UQAM et Beaudry plus grisâtre que jamais.

Quitter le quartier ?

Pour sa part, Ted D. n’envisage pas de quitter le Village, lui qui y a emménagé en 2021. « Je ne suis pas arrivé à un degré de saturation », mentionne-t-il en entrevue, en dépit de nombreux événements dérangeants qu’il a vécus dans les dernières semaines. Son constat est toutefois clair : « À vivre dans le Village, on gagne en déshumanisation et en agressivité ce que l’on perd en compassion et en joie de vivre. »

Cela fait déjà quelques années que Louis-Alain Robitaille a quitté le quartier, après y avoir passé 28 ans. La cause ? Une vague de violences homophobes survenue en 2013, à la suite de laquelle il a fondé l’organisme Le Carré rose, qui vient en aide aux victimes de telles attaques. Mais la violence dans le quartier s’est modifiée et ne touche plus uniquement les personnes issues de la communauté LGBTQ+. « Aujourd’hui, c’est pire que ça n’a jamais été », déclare M. Robitaille. « Maintenant, tout le monde peut être agressé. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les Montréalais pourront toutefois se prononcer sur la gouvernance de Ville-Marie dans le cadre d’une consultation publique à venir d’ici la fin du mois de mars.

Une solution qui contribuerait à assainir le climat social selon lui serait de créer le poste de maire d’arrondissement de Ville-Marie. En réalité, ce poste existe déjà. Seulement, il est occupé par… la mairesse de Montréal, Valérie Plante. En effet, depuis 2009, le poste de maire de Ville-Marie est de facto occupé par la personne élue à la mairie de Montréal. « Ça nous cause de gros problèmes de ne pas avoir de maire. Mme Plante est trop occupée pour s’occuper de nous », poursuit M. Robitaille. « Le Village est abandonné par les élus. »

« Dégradation du filet social »

Les Montréalais pourront toutefois se prononcer sur la gouvernance de Ville-Marie dans le cadre d’une consultation publique à venir d’ici la fin du mois de mars. Trois scénarios seront proposés aux citoyens, dont deux où le maire (ou la mairesse) de Montréal ne serait plus à la tête de l’arrondissement.

Robert Beaudry, conseiller de la Ville représentant le district du Village, reconnaît que le quartier doit « changer » et « prospérer ». Il estime que la pandémie a donné un coup dur au secteur et que ses répercussions en appellent à des solutions d’autant plus ambitieuses.

« Le filet social était rassemblé au centre-ville de Montréal pendant des années, particulièrement autour du Village, mais avec les enjeux sociaux qui ont été exacerbés pendant la pandémie, ce filet-là a de la pression, et des gens passent au travers des mailles […] Il faut qu’on réponde aux besoins d’une clientèle de plus en plus vulnérable. »

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