Des objets technos camouflés pour contrôler et suivre à la trace leurs ex-conjointes

Les dispositifs de géolocalisation sont de plus en petits, et plusieurs entreprises en vendent.
Photo: iStock Les dispositifs de géolocalisation sont de plus en petits, et plusieurs entreprises en vendent.

« Je me sentais observée, comme si quelqu’un me suivait tout le temps. » Après avoir eu cet étrange sentiment au fond du ventre pendant des mois, et alors qu’elle voyait son ex-conjoint surgir un peu partout, Anne a finalement trouvé un dispositif de pistage qui avait été placé à son insu sous son véhicule. Se servir de la technologie pour suivre et surveiller un ex-conjoint ? Les refuges pour femmes victimes de violence voient de tels cas à répétition, et de nouveaux gadgets mis en marché, tout petits et peu coûteux, risquent de multiplier les possibilités.

« C’est une crainte constante », a confié Anne, que nous identifions par un prénom fictif pour des raisons de sécurité.

Elle a laissé son conjoint il y a plusieurs mois, mais il n’accepte pas la rupture. Durant leur relation de couple, « il voulait avoir le contrôle total ». Elle explique qu’elle ne pouvait parler à personne, qu’elle devait l’informer de l’endroit où elle se trouvait à tout moment et qu’il exigeait de la conduire à ses soupers entre amis pour vérifier qui s’y trouvait. Il l’accusait d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes, rapporte la femme en entrevue avec Le Devoir.

Il est toujours contrôlant depuis la rupture.

 

« J’allais prendre une marche et il arrivait. Je suis allée à une réunion à l’extérieur de mon lieu de travail et il était là. Parfois, il arrivait dans des endroits en même temps que moi. »

Sous le poids de l’inquiétude et des menaces de son ex-conjoint qui se multipliaient, Anne s’est rendue à un poste de police de Montréal. Une policière sur place l’a guidée pour vérifier si une balise de pistage avait été installée dans son véhicule.

« C’est là que je l’ai trouvé. Un objet rectangulaire noir, un peu plus gros qu’un cellulaire. » Aimanté, il tenait en place sous la voiture. Elle ne sait pas depuis quand la balise s’y trouvait.

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Des victimes de violence conjugale pistées à leur insu

Elle a fait une plainte à la police pour le dispositif, mais aussi pour ses autres comportements qu’elle jugeait menaçants. L’homme a été accusé de harcèlement criminel et est désormais en attente de son procès. Aucun des faits allégués contre lui n’a encore été prouvé. Une interdiction d’approcher Anne lui a par contre été imposée.

« Le traceur, dès que tu bouges, ça envoie un signal. Son téléphone reçoit une notification, soutient Anne. Il sait quand la voiture bouge, et combien de temps je restais à un endroit précis. Il savait tout. »

Un phénomène répandu

« Je vois ça tout le temps », a laissé tomber sans aucune hésitation Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF).

L’usage de ces dispositifs, dont ceux se servant des téléphones cellulaires, est fréquent, au point où les refuges d’urgence et les maisons d’hébergement ont dû mettre au point une procédure pour expliquer systématiquement aux femmes quoi faire, avant même de s’y rendre, pour éviter d’y être suivies.

« C’est un enjeu majeur depuis plusieurs années, et une préoccupation au quotidien », s’est exclamée Mme Monastesse.

Et les conséquences peuvent être graves. À quelques reprises, une maison d’hébergement a dû appeler la police : un homme avait géolocalisé son ex-conjointe et du même coup, le refuge. Or, il faut à tout prix éviter que les adresses de ces maisons soient connues, dit Mme Monastesse, pour ne pas mettre en danger toutes celles qui s’y réfugient.

Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques pour le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, n’est pas surprise non plus par l’histoire d’Anne.

Elle a vu de nombreuses situations où des conjoints ont utilisé « toute la panoplie moderne de technologies » pour continuer d’exercer leur contrôle, « après la rupture, et aussi pendant ». Elle insiste : « On ne parle pas d’un cas ou deux, mais de beaucoup de cas. » Parfois, il s’agit d’applications de géolocalisation téléchargées subtilement sur le téléphone. Mais elle a aussi vu ceci : des téléphones cellulaires et des tablettes donnés aux enfants, ce qui permet de surveiller les déplacements de la mère quand ils sont avec elle.

Au point où les deux responsables ont jugé bon que soient données des formations aux intervenantes pour éviter les possibilités de pistage. La Sûreté du Québec a créé avec leur aide un document rempli de conseils, intitulé : « Les appareils électroniques peuvent indiquer en temps réel où vous êtes… » Il est conseillé aux victimes de violence, entre autres, de désactiver la fonction de géolocalisation sur les appareils mobiles ainsi que sur les médias sociaux.

« Les technologies changent et se raffinent , constate Mme Riendeau. Il faut se mettre à jour tout le temps, et cela devient plus difficile d’aider les femmes. »

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est au courant du phénomène et a vu des cas, sans toutefois tenir de statistiques à ce sujet. L’infraction est classifiée sous « harcèlement criminel ». Les forces policières de Laval et de Longueuil n’ont pas non plus de données sur cette question.

Devant les tribunaux

Les dispositifs de géolocalisation sont de plus en petits, et plusieurs entreprises en vendent. C’est notamment le cas de l’Air Tag de l’entreprise Apple, à peine plus gros qu’une pièce de 25 cents. L’usage de ce petit objet circulaire, qu’on place dans les valises ou le porte-monnaie pour les retrouver s’ils sont égarés, a été détourné par certains.

Deux femmes ont même intenté en décembre une action collective aux États-Unis contre Apple. Une soutient avoir trouvé un dispositif AirTag dans la roue de sa voiture et l’autre dans le sac à dos de son enfant, après un divorce acrimonieux. Elles allèguent que le dispositif a été utilisé par leurs ex-conjoints pour les suivre à la trace. Disant craindre pour leur sécurité, elles reprochent à l’entreprise de ne pas avoir mis en place de mécanismes suffisants pour empêcher les harceleurs de s’en servir à mauvais escient.

En juin dernier, en Indiana, une femme a été arrêtée pour le meurtre de son ex-copain. Il est allégué qu’elle l’a retrouvé dans un bar grâce à un AirTag. Elle aurait ensuite foncé sur lui avec sa voiture, roulant sur son corps à quelques reprises, a rapporté le Washington Post. Aucune de ces allégations n’a encore été prouvée devant un tribunal, mais elles illustrent les dangers d’ores et déjà signalés par les groupes qui aident les victimes de violence.

À 40 $ la pièce, le dispositif est à la portée de beaucoup de gens.

Besoin d’aide ?

Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010.

Si vous êtes victime de violence sexuelle, vous pouvez contacter un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) près de chez vous. Cliquez ici pour en voir la liste ou appelez la ligne Info-aide violence sexuelle au 1 888 933-9007.



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