Le maintien à domicile des aînés menacé par leur fardeau fiscal

Le maintien à domicile de nombreux aînés du Québec est menacé par l’augmentation rapide de la valeur de leur propriété, constatent des experts, qui demandent à Québec d’agir pour réduire leur fardeau fiscal.

Denyse Pinsonneault, une résidente de 71 ans de la municipalité de Wentworth-Nord, dans les Laurentides, a eu le souffle coupé dans les dernières semaines lorsqu’elle a pris connaissance de la hausse de la valeur de sa modeste propriété, où elle demeure seule. Celle-ci a augmenté de près de 94 % pour avoisiner les 490 000 $ dans le nouveau rôle d’évaluation foncière de sa municipalité. « Ça n’a aucun sens », lance la propriétaire au téléphone.

La dame à la retraite n’a pas encore reçu les détails de l’augmentation annuelle de sa taxe foncière, mais elle craint que celle-ci soit élevée. Cette hausse est évaluée à environ 12 % en moyenne pour les propriétaires de Wentworth-Nord, en 2023. Une augmentation majeure pour les propriétaires âgés du secteur, dont les revenus varient peu d’une année à l’autre.

« On est pris à la gorge », lance Mme Pinsonneault, dont le revenu annuel oscille autour de 20 000 $. « Comment est-ce qu’on peut rester chez soi quand on reçoit si peu ? » se questionne cette résidente, qui envisage d’avoir recours aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts. « C’est comme de pousser les vieux moins nantis dehors », lâche-t-elle.

« Moi, je peux supporter cette hausse-là. Mais je me mets dans la peau de mes voisins qui sont retraités, avec un revenu fixe, ils auront peut-être de la difficulté à supporter ça. Ce sera difficile », relève pour sa part Stéphane Vidal, un résident de Bromont de 58 ans qui a vu son impôt foncier gonfler de 18 % cette année, ce qui représente une hausse de 753 $.

Claude Nadeau, un résident de Chambly âgé de 55 ans, craint pour sa part de devoir retarder le moment de sa retraite, qu’il espérait prendre dans trois ans. Sa taxe foncière a augmenté cette année de plus de 370 $ en raison de la croissance rapide de la valeur de sa propriété. « Il y aura peut-être bien des maisons à vendre prochainement », lance-t-il.

Départs forcés

Le fardeau fiscal grandissant des propriétaires aînés préoccupe d’ailleurs le responsable du Comité revenu et fiscalité de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), Pierre-Claude Poulin. « On force les gens à quitter leur maison, à vendre leur logement », s’alarme-t-il, au moment où la valeur des propriétés a connu un bond important dans plusieurs régions du Québec depuis le début de la pandémie.

M. Poulin rappelle que 39 % des Québécois retraités ont actuellement recours au Supplément de revenu garanti, puisque leur revenu annuel est inférieur à 20 832 $, pour une personne seule. Dans ce contexte, le gouvernement Legault pourrait s’inspirer de la France en exemptant les personnes âgées de 75 ans et plus à faible revenu du paiement de la taxe foncière pour leur résidence principale, afin de faciliter leur maintien à domicile, propose-t-il.

Le gouvernement du Québec a d’autre part introduit cette année une indexation limitée à 3 % pour plusieurs tarifs, dont ceux d’Hydro-Québec. Une mesure qui pourrait aussi s’appliquer aux augmentations des taxes foncières imposées par les municipalités, estime Rémy Trudel, professeur invité à l’École nationale d’administration publique et ancien ministre. Les municipalités seraient alors forcées de limiter à 3 % l’augmentation moyenne des taxes foncières de leurs résidents, le tout sans déroger à l’obligation des villes de présenter un budget sans déficit, explique M. Trudel.

« Je n’ai aucun doute sur la capacité des municipalités de faire ça », à condition qu’elles acceptent de réduire certaines de leurs dépenses, relève l’expert en administration municipale.

Joints par Le Devoir, les cabinets des ministres des Affaires municipales et de l’Habitation ont tous deux rappelé qu’une subvention est offerte par Revenu Québec aux propriétaires aînés de 65 ans et plus qui répondent à certains critères, afin d’aider ceux-ci à rembourser la hausse de leurs taxes municipales. Cette subvention n’est toutefois accessible qu’aux aînés qui sont propriétaires de leur demeure depuis au moins 15 années consécutives.

« C’est un bon point de départ, mais il y a toujours place à une bonification », estime la Fédération de l’âge d’or du Québec. Pierre-Claude Poulin, de l’AQDR, constate d’ailleurs que les démarches à effectuer pour obtenir cette subvention sont parfois fastidieuses. « Ça te prend presque un comptable pour l’appliquer », lance-t-il.

Le cabinet du ministre des Finances, Eric Girard, a pour sa part souligné que le « bouclier anti-inflation » mis en place par le gouvernement Legault « profite particulièrement aux aînés », puisqu’il a entraîné un rehaussement de 400 $ à 2000 $ du « plafond du crédit d’impôt pour aînés ». « Toutes proportions gardées, nous sommes le gouvernement qui en a fait le plus au Canada afin de soutenir ses citoyens face à la hausse du coût de la vie », ajoute le cabinet.

Une fiscalité à revoir

Jeudi, la députée libérale des Mille-Îles, Virginie Dufour, a profité de la période des questions à l’Assemblée nationale pour déplorer les hausses « vraiment fulgurantes » des taxes foncières subies par les résidents de plusieurs municipalités du Québec. « À Compton et à Lac-Saint-Joseph, le compte de taxes a augmenté de 12 %, à Notre-Dame-du-Mont-Carmel de 15 %, à Saint-Mathieu-du-Parc de 17 %, à Rivière-Rouge de 20 %, à Potton jusqu’à 28 % », a énuméré l’élue, avant de presser le gouvernement Legault de « revoir la fiscalité municipale ».

« Les municipalités sont trop dépendantes de la taxe foncière et elles ont besoin de varier leurs sources de revenus », a souligné Mme Dufour. En réponse, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a rappelé qu’un comité a été créé avec pour mission de revoir la fiscalité municipale. Elle entend d’autre part se pencher sur les cas précis de certaines municipalités qui ont particulièrement haussé les taxes foncières de leurs résidents cette année. « Il y a des gens de mon ministère qui se sont déplacés dans certaines municipalités pour vérifier si ces hausses de taxes étaient acceptables. Il y a des vérifications qui se font présentement », a-t-elle relevé jeudi.

Avec Isabelle Porter

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