Quitter son emploi pour ne pas verser de pension alimentaire

Il y en a qui décident de démissionner, d’autres qui élaborent des stratagèmes pour diminuer leur salaire officiel et certains qui se mettent à travailler au noir. Lorsqu’une séparation survient dans un contexte de violence conjugale, le versement de la pension alimentaire pour les enfants devient souvent un terrain miné, où des dynamiques de pouvoir continuent de s’opérer. Des ex-conjoints font parfois preuve de créativité pour éviter de verser de l’argent à la mère de leurs enfants. Et les recours de ces dernières sont souvent limités.
En janvier 2021, un jugement de la Cour supérieure a reconnu que, dans le dossier de Laura (nous nommons les personnes interviewées par un prénom fictif pour des raisons de sécurité et de confidentialité), « la preuve révèle que [son ex-conjoint] a abandonné plusieurs emplois pour se soustraire au paiement d’une pension alimentaire ».
Dans le jugement, le magistrat ajoute que l’ex-conjoint de Laura et père de leurs trois enfants « a même riposté à une ordonnance de paiement d’une pension alimentaire en quittant son emploi dans les heures suivant cette ordonnance ». Un comportement extrême qui, jumelé à des frais d’avocat de plus de 75 000 $ déboursés par Laura, a compromis la santé financière et psychologique de la dame, comme le rapportait Le Devoir en juin dernier.
« J’ai lâché prise »
Un cas de violence économique post-séparation qui est loin d’être isolé. Il y a une dizaine d’années, Audrey a divorcé. Alors que le processus judiciaire pour la fixation de la pension alimentaire pour les enfants était en cours, son ex-mari a quitté à trois reprises les emplois qu’il occupait pour des motifs qualifiés, dans deux des cas, de « nébuleux » par une juge de la Cour supérieure. Dans le jugement, la magistrate a noté que l’homme avait « beaucoup de difficulté » à accepter qu’il avait une responsabilité financière à l’égard de ses enfants.
Quand de l’argent rentre, je suis contente. Je le vois comme une belle surprise et c’est tout.
Avant chaque cessation d’emploi, Audrey recevait un texto, confie-t-elle au Devoir. « C’était chaque fois quelques jours avant qu’on passe en cour, ou par exemple à la réception d’un subpoena qui disait que je réclamais une pension alimentaire, rapporte Audrey, qui gagnait à l’époque environ 30 000 $ par année. Il me disait : “Je vais arriver à la cour et j’aurai pas de job.” » Le Devoir a pu consulter des textos échangés à ce sujet.
Son ex-mari a ensuite décidé de se lancer en affaires. Une décision « surprenante » et risquée, note la juge, compte tenu de la possibilité que l’homme avait d’avoir un revenu stable et plus élevé en conservant son ancien emploi. « Comme il était devenu travailleur autonome, le gouvernement ne pouvait pas faire de déductions directement sur son salaire [pour percevoir la pension alimentaire], s’indigne Audrey. En cour, il disait qu’il ferait environ 10 000 $ par année [alors qu’il gagnait cinq fois plus dans ces précédents emplois]. »
Aujourd’hui encore, alors que son ex-mari occupe désormais un emploi stable, plusieurs milliers de dollars en pension alimentaire pour ses enfants lui sont encore dus. « Je me suis tellement battue, souffle-t-elle. Mais là, j’ai complètement lâché prise. Quand de l’argent rentre, je suis contente. Je le vois comme une belle surprise et c’est tout. »
« Je n’avais pas d’énergie pour ça »
Simone a vécu une situation similaire, mais avec un ex-conjoint qui a quitté le pays. Après avoir subi de la violence physique, elle s’est réfugiée dans une maison d’hébergement. « Je ne voulais pas qu’il puisse retrouver ma trace », raconte-t-elle. Mais puisqu’elle recevait à l’époque de l’aide sociale, le gouvernement lui a demandé de réclamer une pension alimentaire à son ex-conjoint, en la défrayant des coûts de l'aide juridique.
Cette démarche lui a permis de recevoir une pension alimentaire pour sa fille, âgée de huit mois à l’époque de la séparation, prélevée directement à la source, sur le salaire de son ex-conjoint. Mais pas pour très longtemps. Quelque temps après, « il a démissionné du poste qu’il occupait depuis 10 ans en disant qu’il ne pouvait pas donner tout cet argent-là », déplore Simone. Son ex-conjoint devait également verser une pension alimentaire pour deux enfants qu’il avait eus avec une autre femme, rapporte-t-elle, et il menait un train de vie élevé qui impliquait notamment de la consommation de drogue et d’alcool.
Quelques mois plus tard, l’homme est reparti en France, où il a recommencé à travailler. Pour faire respecter le jugement concernant le versement de la pension alimentaire, Simone aurait dû entamer des démarches à l’international. « Mais je n’avais pas d’énergie pour ça », dit-elle aujourd’hui, plusieurs années après les événements. « J’étais plutôt dans la reconstruction de ma vie. »
«C’est révoltant et frustrant »
Pour Françoise — qui a reçu pendant plusieurs années une pension alimentaire pour sa fille —, ses recours ont disparu lorsque son ex-conjoint, qui possède une entreprise, a commencé à déclarer un salaire de 7000 $ à titre de travailleur autonome. Selon la dame, il est clair que son ex-conjoint gagne plus que ce qu’il déclare. « Juste en mettant de l’essence dans son véhicule et en mangeant, il n’y arriverait pas [avec 7000 $], pointe-t-elle. C’est [bien en dessous] du seuil de la pauvreté. »
Je me suis tellement battue. Mais là, j'ai complètement lâché prise.
« C’est révoltant et frustrant, mais on ne peut rien faire, se désole Françoise, dont la fille fréquente l’université. On n’a pas de recours parce qu’il est travailleur autonome. Je ne comprends pas pourquoi ça peut être fait si facilement. »
Besoin d’aide ? Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010. Si vous êtes auteur de violence conjugale, vous pouvez contacter l’organisme À coeur d’homme au 1 877 660-7799.