Faute de place en garderie, des infirmières restent à la maison
Le manque de places en service de garde cause des maux de tête dans le réseau de la santé. Des infirmières sont incapables de trouver une place en CPE ou en garderie pour leur poupon, ce qui les force à retarder leur retour au travail après leur congé parental. Un problème qui n’aide en rien la pénurie de personnel.
Mélodie Dessureault est infirmière en soins à domicile au CISSS de la Gaspésie. Elle devait retrouver son poste en juin dernier à la suite de son congé de maternité. Huit mois plus tard, la jeune maman de 30 ans est toujours à la maison, en congé sans solde. Elle n’a trouvé aucun service de garde pour son garçon, maintenant âgé d’un an et demi. « J’ai été obligée de réhypothéquer ma maison ! dit-elle. On était une famille qui vivait avec deux salaires et c’était moi, le gros salaire. On se retrouve avec presque rien. » Son conjoint, un travailleur forestier, a la garde de deux enfants issus d’une relation précédente une semaine sur deux.
La résidente d’un petit village en bordure de Gaspé ne s’attend pas à obtenir une place en service de garde « dans la prochaine année ». « Je suis 40e sur une liste ! » lance-t-elle.
Selon elle, le CISSS de la Gaspésie pourrait ouvrir une garderie dans des locaux vides du bâtiment où elle travaille. Elle a soumis l’idée à son employeur, et celle-ci a été rejetée pour des raisons de sécurité, soutient-elle. « C’est un manque de volonté, soutient l’infirmière. C’est plus facile d’appeler une agence et dire “j’ai besoin de quelqu’un”. » Mme Dessureault organise une manifestation à Gaspé en avril afin que les parents sans service de garde de la région fassent entendre leur voix.
Un peu partout au Québec, des travailleurs de la santé — comme bien d’autres parents — sont touchés par la pénurie de places en CPE. Le mouvement Ma place au travail, qui a émergé en mars 2021 sur les réseaux sociaux, reçoit d’ailleurs des témoignages d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires. « C’est toute l’ironie de la chose, dit sa porte-parole Marylin Dion. Dans des métiers où il y a incroyablement un grand manque de main-d’oeuvre, des personnes ne peuvent pas retourner au travail parce qu’elles n’ont pas de garderie. »
Caroline Laberge, infirmière au bloc opératoire du CHU de Québec, craint de devoir rester à la maison à la fin de son congé parental, en mai. La mère de 31 ans n’a pas trouvé de service de garde pour sa fille de 8 mois et demi. « Je suis sur la liste de La Place 0-5 ans depuis septembre 2021, dit-elle. Je suis sur tous les groupes Facebook possibles de la Terre pour les garderies [et les services de garde en milieu familial]. On dirait qu’il faut quasiment faire un CV à son enfant : “Mon enfant a quatre dents, il est capable de manger, de marcher…” »
Les horaires des milieux de garde familiaux — « souvent de 8 h à 16 h », affirme-t-elle — ne conviennent pas à son quart de travail, qui débute à 7 h 45 et se termine à 16 h. « Je ne peux pas commencer 15 minutes en retard », dit l’infirmière, qui précise que son conjoint est au travail dès 6 h.
Pénurie qui en entraîne une autre
Nathalie Tremblay travaille à l’hôpital de Montmagny, dans Chaudière-Appalaches. Elle détient un poste à temps plein à la clinique bariatrique et à l’unité de chirurgie d’un jour. Elle a dû retarder son retour au travail de trois mois, faute de place en service de garde pour sa fille.
C’est grâce à l’ancienne éducatrice de ses deux grandes filles — âgées de 7 et 9 ans — qu’elle a pu retourner au boulot en septembre, affirme-t-elle. « Elle était vraiment découragée de ma situation et elle était bien au fait de la pénurie d’infirmières, raconte Mme Tremblay. Elle a fait une demande pour revoir son ratio afin de pouvoir prendre ma fille, le temps que j’aie une place en milieu familial. » Son enfant fréquente depuis janvier le CPE Enfant-Bonheur, qui a une entente avec le CISSS de Chaudière-Appalaches.
L’établissement de santé a signé avec le CPE un bail emphytéotique de 40 ans afin qu’il puisse y construire une installation sur son terrain, « et ce, tout à fait gratuitement et sans frais pour le CPE », écrit le CISSS. « Des places seront réservées aux enfants des travailleurs qui ont des horaires atypiques », ajoute-t-on.
Le CISSS de la Gaspésie, pour sa part, dit travailler avec des partenaires pour trouver des solutions au manque de places en service de garde.
Le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue et le Centre Frère-Moffet ont quant à eux lancé en septembre un service de garde à Ville-Marie afin d’offrir des places aux employés dans le besoin.
C’est toute l’ironie de la chose. Dans des métiers où il y a incroyablement un grand manque de main-d’œuvre, des personnes ne peuvent pas retourner au travail parce qu’elles n’ont pas de garderie.
Le problème demeure néanmoins entier dans la région, selon le président du Syndicat interprofessionnel en soins de santé de l’Abitibi-Témiscamingue (FIQ-SISSAT), Jean-Sébastien Blais. Il estime qu’une vingtaine d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et d’inhalothérapeutes sont en congé sans solde en raison d’un manque de places dans les milieux de garde. « Pourquoi, pendant la pandémie, nous avions une place prioritaire, et désormais non ? demande-t-il. Le système ne va pas mieux. »
Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on rappelle que « le développement du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance [SGEE] est sous la responsabilité du ministère de la Famille ». « Bien que nous n’ayons pas de registre sur les SGEE au sein des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, plusieurs ont des SGEE au sein de leurs installations ou sur leur terrain, écrit-on. Il est de la responsabilité des établissements de déterminer si un SGEE peut être implanté. » Le MSSS souligne que « quelques projets de maison des aînés prévoient, lorsque possible, des SGEE ».
Le ministère de la Famille confirme que des CPE existent dans les établissements de santé et que « certains » CIUSSS ou CISSS sont affiliés avec des services de garde. Les CPE qui le souhaitent, poursuit-il, peuvent accorder « des priorités au personnel infirmier » dans leurs politiques d’admission.