La plus vieille chapelle de Montréal reconstruite... virtuellement

La chapelle, assise sur ses 250 ans bien comptés, révèle peu à peu ses mystères depuis que des experts scannent l’extérieur et l’intérieur de ce bâtiment patrimonial situé en plein coeur du Vieux-Montréal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La chapelle, assise sur ses 250 ans bien comptés, révèle peu à peu ses mystères depuis que des experts scannent l’extérieur et l’intérieur de ce bâtiment patrimonial situé en plein coeur du Vieux-Montréal.

La plus vieille chapelle de pierre de Montréal est passée au peigne fin… par une caméra 3D. Non seulement ce minutieux travail de numérisation sert à appuyer les travaux de restauration de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, mais il permettra, à terme, de visiter le site virtuellement comme il se présentait à l’époque, il y a des centaines d’années.

La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, assise sur ses 250 ans bien comptés, révèle peu à peu ses mystères depuis que des experts scannent l’extérieur et l’intérieur de ce bâtiment patrimonial situé en plein coeur du Vieux-Montréal.

« Le scan est capable d’aller dans des endroits où nous, on n’est pas capable d’avoir accès. On va peut-être découvrir des choses dans les prochaines années », explique Jean-François Royal, directeur général du site historique Marguerite-Bourgeoys, le musée responsable de conserver l’oeuvre et l’héritage de cette figure de proue de l’histoire de la ville, incluant la chapelle.

Ce « scanneur », un appareil pas plus gros qu’un grille-pain, se glisse dans les endroits difficiles d’accès. Son balayage radar permet de reconstituer sur ordinateur dans le détail et « au millimètre près » le moindre recoin du bâtiment patrimonial, explique M. Royal.

« Dans mon rêve, j’aimerais bien que des écoles de régions éloignées qui ne viendront jamais visiter le musée, comme à Amos ou Sept-Îles, puissent avoir une visite du site archéologique et des trouvailles qui y ont été faites. [On veut pouvoir réaliser] une visite avec un animateur, mais en virtuel, et voir le site avec des lunettes de réalité augmentée. »

Ce rêve n’est pas loin de la réalité. La façade a déjà été numérisée. Suivra ce mois-ci toute la collection d’artefacts du site historique.

Dans mon rêve, j’aimerais bien que des écoles de régions éloignées qui ne viendront jamais visiter le musée, comme à Amos ou Sept-Îles, puissent avoir une visite du site archéologique et des trouvailles qui y ont été faites.

Et on devine tout le potentiel de la technologie en descendant dans les sous-sols de la chapelle. Se cachent ici les ruines de la toute première église de Montréal, brûlée malencontreusement en 1754. Les fantômes se promènent encore autour des soubassements de pierres révélés par des travaux d’archéologie récents. Le parvis d’église calciné, les restes de l’ancien four à chaux et les traces autochtones dessinent les contours de la fondation du Québec. Ces fantômes pourraient bientôt prendre vie grâce à la technologie de la réalité augmentée.

Le site a été choisi à l’époque à cause de son « relief particulier », nous apprend Stéphan Martel, historien de la chapelle. « On est surélevé par rapport au fleuve. […] La rue Notre-Dame, derrière, fait un dos-d’âne et protège du vent. Il n’y a pas très loin un coteau un peu élevé, où on avait installé un moulin. À côté, on a un grand marécage qui permet un accès à de la nourriture, des ressources abondantes. »

Le décor est ainsi posé pour une reconstitution virtuelle des premières messes dans ce Montréal de jadis.

Une technologie pas si jeune

C’est la compagnie ISCAN 3D, basée à Trois-Rivières, qui se charge de sauvegarder — à tout le moins virtuellement — ce patrimoine. La première fois que le président de l’entreprise, Richard Lapointe, a mis la main sur un tel outil remonte à 1999.

« La première fois qu’on a scanné un site archéologique de 12 mètres de long sur 2,5 mètres de large et 1,5 mètre de profondeur, ça nous a pris huit heures de travail, retrace-t-il, le sourire dans la voix. Aujourd’hui, en huit heures de travail, on peut faire le tour du palais des congrès à l’extérieur. »

Lui et son équipe d’une quinzaine de personnes comptent des centaines de projets du même genre dans leur historique : « le Centre canadien d’architecture, l’abbaye d’Oka, le pavillon Roger-Gaudry [Université de Montréal], l’hôpital Royal Victoria, le palais des congrès de Montréal, la basilique Notre-Dame, le parlement de Québec, le Musée national des beaux-arts du Québec, le Grand Théâtre de Québec, Habitat 67, les hôtels de ville de Québec, Montréal, Sherbrooke… », énumère celui qui se présente comme un « archéomathicien ».

« Traditionnellement, ça se fait au ruban à mesurer. C’est bon, le ruban à mesurer, pour un bureau, pour un local, mais pas pour une structure déformée qui a 300 ans… »

Car l’utilisation de ces numériseurs vise d’abord et avant tout la préservation physique des bâtiments. Aucune fissure, aucun mouvement, aucune torsion ou déformation de cette vieille bâtisse n’échappent à l’oeil surnaturel de la caméra. Il devient ensuite possible de recréer des plans d’architecte très précis, sans passer par la table à dessin.

La reconstitution 3D permet également d’effacer la voûte de la chapelle actuelle pour laisser transparaître « toute la structure de bois qui supporte la toiture », indique Jean-François Royal. « C’est de toute beauté pour les amateurs de charpente de bois. »

À terme, il deviendra possible de retourner dans le passé pour visiter les lieux à la manière d’une « simulation de jeux vidéo pour de la reconstruction historique », promet Richard Lapointe. « On peut reconstituer des artefacts en 3D et les repositionner dans l’espace pour que les gens puissent voir les pointes de flèches, les outils, la céramique, d’où elles viennent et où ils étaient utilisés. […] C’est dans les plans pour 2023-2024. »

275 000
C’est le nombre de personnes qui visitent chaque année la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal.

Voilà un « projet fou », selon les responsables muséaux, le même qualificatif qu’ils utilisent pour parler du projet de Marguerite Bourgeoys lorsque vint le temps de construire son église, au XVIIe siècle.

De nos jours, quelque 275 000 personnes visitent chaque année la chapelle en pierre et en bois… en personne. L’actuel lieu sacré accueille aussi les fidèles pour les messes le dimanche. Quelques dizaines de sans-abri viennent en outre s’y réchauffer par temps très froid. Soutenir son prochain fait encore partie de la vocation du lieu, plusieurs siècles après sa fondation.

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