Maison Stéphane Fallu: apprendre l’autonomie après la DPJ

« Je n’avais nulle part où aller. Honnêtement, je pensais que j’allais être à la rue, c’est un peu là que je me voyais, parce qu’à 18 ans, il n’y a plus rien. »

Comme beaucoup de jeunes hébergés en centre jeunesse, Samuel ne savait pas ce qu’il allait faire à ses 18 ans. Passer d’une vie où tout est réglé au quart de tour et où on demande la permission pour aller faire pipi à la liberté totale, ça crée de l’anxiété.

« Quand tu es en centre jeunesse, tu veux ta liberté, tu te sens enchaîné, renchérit Antoine. Mais quand tu sors, après toutes ces années, tu te rends compte que c’est ta vie que tu es en train de jouer. Et que si tu joues mal tes cartes, ça va déteindre sur tout ton avenir. C’est un truc de fou de se dire que tu ne peux plus compter que sur toi-même. »

Autour de la table, cinq jeunes hommes, âgés de 18 à 20 ans, qui sont unanimes sur la question : ils ne sont pas prêts à voler de leurs propres ailes. Tous vivent des situations compliquées avec leurs familles, ont de la difficulté à gérer un budget, ne savent pas trop cuisiner. Certains ont également eu des démêlés avec la justice ou des problèmes de consommation. Un appartement ? William se met à rire avec candeur. « Non, vraiment pas. Je n’étais pas assez autonome pour ça, dans le temps. Juste gérer l’argent, je ne suis pas encore capable. »

Les statistiques ne jouent pas en leur faveur, et ils le savent bien. « Le taux de réussite pour les jeunes qui sortent de là n’est pas très haut », affirme William. Le taux de réussite ? « S’en sortir, ne pas finir itinérant », précise-t-il.

Leurs craintes trouvent écho dans une étude démontrant que 33 % des jeunes qui sortent d’un placement avec la DPJ connaissent au moins un épisode d’itinérance avant l’âge de 21 ans.

Chambres en ville

C’est pour déjouer ces statistiques que Sandra Bolduc a ouvert la Maison Stéphane Fallu, qui accueille exclusivement des jeunes qui ont été suivis par la DPJ et qui se retrouvent sans ressources à leurs 18 ans. La directrice de l’organisme POSA, qui offre des services aux jeunes de moins de 35 ans, tels que des programmes de réinsertion à l’emploi, constatait qu’il y avait un « besoin criant ».

« Pas mal tous les jeunes qu’on aidait étaient passés par la rue, explique- t-elle. Soixante-quinze pour cent des jeunes qui sortent de la DPJ n’ont pas de diplôme d’études secondaires, ils n’ont jamais géré leur propre médication, leur budget. Comment voulez-vous que du jour au lendemain, ils deviennent super autonomes ? Ça prend du temps. »

En voyant la grande maison juste à côté de son organisme, sur la rue Sénécal, à Chambly, elle a eu une illumination. Elle voyait une résidence où les jeunes pourraient vivre en colocation, un peu sur le modèle de Chambres en ville, une émission très populaire dans les années 1990. Elle ne voulait pas une ressource de type institutionnel, avec des cadres rigides. « On voulait offrir quelque chose de différent, quelque chose qui se rapproche de la vraie vie, mais avec un filet de sécurité », résume-t-elle.

Sandra Bolduc a contacté l’humoriste Stéphane Fallu, qui avait déjà témoigné de son passage à la DPJ. La réponse a été tellement enthousiaste que l’idée de nommer la maison en son nom s’est imposée. « C’était important pour moi que les jeunes puissent s’identifier à une personne qui a réussi, qu’ils puissent être fiers », précise Mme Bolduc.

L’organisme a fait des campagnes de financement pour financer l’achat de la maison, qui a ouvert ses portes en juillet dernier. Lors du passage du Devoir, cinq jeunes hommes y habitaient, un sixième devait emménager sous peu. Les jeunes développent des « projets de vie » et ont deux ans pour les mener à terme.

Une maison avec une « âme »

Pour la première fois de leur vie, ces jeunes payent un loyer : 600 $ par mois, tout compris, même la nourriture. Cela leur apprend à gérer leur budget, et ils en tirent une réelle fierté, a pu constater Le Devoir. Mais ici, ils ont droit à l’erreur, rappelle Philippe Vaillancourt, intervenant et chargé de projet pour la maison. « Si un gars ne peut pas payer son loyer à la fin du mois, on ne va pas le mettre dehors, on va l’aider à trouver des solutions et à se fixer des objectifs réalistes. Ici, tout est une pratique pour la vraie vie. »

Pour Philippe et Sandra, il était primordial que les gars se sentent chez eux, que la maison ait une « âme ».

Cette âme, on la sent dès qu’on met les pieds dans la résidence. Les gars discutent dans le salon devant le foyer. La cuisine est accueillante, et ils peuvent fouiller dans le frigo quand ils le veulent. Ils ont chacun leurs tâches pour s’assurer que la maison reste propre. Contrairement à d’autres ressources, ils peuvent entrer et sortir quand ils veulent, inviter des amis, prendre une bière en écoutant un match de hockey. Un intervenant habite juste à côté. Leurs chambres sont toutes décorées selon leurs goûts particuliers.

« C’est la première fois que j’ai une vraie chambre », se réjouit Samuel. Des lumières DEL multicolores parcourent les murs et on peut voir, au premier coup d’oeil, son admiration sans bornes pour l’équipe de hockey des Golden Knights de Vegas. « Ce sont tous des rejetés des autres équipes de la Ligue nationale et ils ont réussi à se rendre en finale de la Coupe Stanley », explique le jeune homme pour justifier son intérêt pour cette équipe. « Avez-vous saisi ce qu’il envoie comme message ? » demande Philippe, avec un clin d’oeil.

Engouement

L’organisme a des liens directs avec les intervenants des centres jeunesse, qui peuvent diriger des jeunes vers lui. Et la réponse est bonne. Trop bonne, peut-être, car il y a une liste d’attente, ce qui signifie que les jeunes sont nombreux à avoir besoin d’aide.

Le besoin se fait également sentir du côté des filles, et l’organisme envisage la construction d’un deuxième bâtiment sur le terrain, ou encore l’ajout d’un deuxième étage, pour accueillir ces dernières.

La Maison Stéphane Fallu suscite un réel engouement, bien au-delà de la ville de Chambly, constate Sandra Bolduc, qui explore la possibilité de reproduire le modèle dans d’autres villes du Québec.

« Ça prend plus de maisons comme ici, ça pourrait sauver des vies », assure Antoine.

Et après ?

Depuis qu’il est arrivé à la Maison Stéphane Fallu, Samuel suit une formation en soins animaliers : « Le meilleur choix de ma vie ! » affirme-t-il, enthousiaste. William veut entreprendre un DEP en mécanique de machinerie.

Raphaël y va « au jour le jour ». Il en était à 115 jours d’abstinence lors du passage du Devoir.

Antoine, lui, s’est trouvé un emploi dans une station-service. Il travaille sur lui-même pour se responsabiliser financièrement. « J’ai eu beaucoup de difficultés dans le passé, j’apprends à ne pas abandonner. On dit souvent que les petites victoires mènent à de grandes réussites. J’y crois. »



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