Les rats prennent leur revanche à Montréal
Ils se promènent en plein jour dans le quartier chinois, ne se souciant guère des passants estomaqués. Aux abords des nombreux chantiers de la métropole, ils pullulent. Les rats se manifestent visiblement davantage depuis deux ans dans la métropole. La Ville de Montréal tente de lutter contre ce fléau en autorisant l’utilisation à l’extérieur d’un poison interdit l’an dernier.
Montréal a interdit l’an dernier l’utilisation extérieure de près d’une quarantaine de produits chimiques, dont plusieurs poisons à rats, sous prétexte de protéger le reste de la faune urbaine. Les trappes sont depuis devenues l’outil de prédilection, un mort à la fois. Conséquence : le contrôle des rongeurs est devenu plus difficile.
« On en voit apparaître dans des secteurs qui n’étaient pas à problème », observe l’un des grands experts de l’extermination à Montréal, Nathaniel Leavey, de Maheu Extermination. « On a l’impression qu’il y a une grosse recrudescence, mais on est en train de se demander s’il n’y a peut-être pas la même présence que les autres années, sauf qu’on ne parvient pas à les tuer. Il n’y a pas plus de rats nécessairement, mais on n’est plus capables de les contrôler. »
« Avant, on arrivait à contrôler avec des rodenticides, dans des contenants non accessibles pour les autres espèces », confirme Chantal Lessard, d’Extermination à bas prix. « Maintenant, on voit des gens, des citoyens qui achètent sur Internet des produits comme le Tomcat [un puissant poison] et en placent eux-mêmes autour de chez eux. C’est pire pour les autres animaux. »
À écouter
Quand les rats remontent à la surfaceL’autre responsable de cette prolifération visible, ce sont les travaux qui pullulent à Montréal. « Les cônes orange sont partout à Montréal », souligne Hélène Bouchard, présidente de l’Association québécoise de la gestion parasitaire. « Sachant que les rats vivent dans les égouts, toute construction, comme pour le REM ou pour des tours de condos, déplace les colonies de rats. C’est certain qu’à cause de ces travaux, on les voit un peu plus. »
Il n’y a pas plus de rats cette année, selon Jacques McDonald, de l’entreprise L’Ex-TerminateurJm, mais le nombre de souris augmente, lui, certainement. La faute revient à l’interdiction des poisons, assure-t-il. « Je ne sais pas qui a pris cette décision, mais c’est sûr que c’est une bonne année pour les rongeurs. »
Difficile d’estimer le nombre et donc la croissance de cette vermine cachée. Le nombre de signalements à la Ville reste plutôt stable. Ainsi, 113 requêtes ont été faites au 311 l’an dernier, contre 108 l’année précédente.
Heureusement, les rats et les souris ne représentent pas un réel danger pour la population. Les maladies qu’ils transportent ne se retrouvent chez l’humain que dans des cas rarissimes au Québec, comme ailleurs en Occident. « C’est quand on a des rats qui vivent proches de cours d’eau contaminés [par ces maladies] que ça cause problème », indique la Dre Claire Grosset, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. L’augmentation de la population de rats s’observe cependant dans la plupart des grandes villes du monde, selon cette experte.
« On ne peut pas dire qu’il y a, en ce moment, […] une infestation. La situation demeure sous contrôle », a tonné, lors de la séance du conseil municipal de lundi dernier, Marie-Andrée Mauger, de Projet Montréal.
Nouvelle mesure
Néanmoins, la Ville a corrigé le tir en début d’année en réautorisant l’utilisation libre d’un poison à rats, la diphacinone. La mesure devrait entrer en vigueur d’ici quelques semaines. Ce retour en arrière est très bien accueilli dans le milieu de l’extermination.
« Le poison n’est pas une solution unique ni une solution parfaite », précise Philippe Sabourin, porte-parole administratif de la Ville de Montréal. « […] Quand on utilise des pièges ou des poisons à rats, s’il y a présence de nourriture sur le domaine public, c’est difficile d’attirer les rats. Ils vont aller vers la graisse, le coeur de pomme avant le piège ou le poison. »
C’est pourquoi il affirme que la Ville prend « très au sérieux » la gestion des déchets, surtout au centre-ville. « L’an dernier, on a triplé les interventions propreté [dans Ville-Marie]. On a ajouté un inspecteur du domaine public. »
L’hiver, trop de citoyens déposent leurs déchets sur le trottoir en période de déneigement, note-t-il. « Ne mettez pas votre sac de déchets sur les tas de neige, parce que sinon, on va se retrouver avec des sacs éventrés sur le domaine public, et ça donne un festin pour les rats. Si nos comportements ne changent pas, la situation ne changera pas. »
La faune contre la faune
L’utilisation de poisons à rats à l’extérieur, bien qu’efficace, nuit à tout l’écosystème urbain. « [Les rodenticides] causent des problèmes de coagulation chez les rats. N’importe quel oiseau de proie qui va manger des petits rongeurs, souris ou rats, peut être contaminé par ce qui se trouve dans les rats », explique la Dre Grosset. « Le rat ou la souris va manger le produit, mais ne va pas mourir tout de suite, sinon les autres rats autour vont faire le lien entre le rodenticide et la mortalité de leur congénère, note la Dre Grosset. On parle de mortalité différée de une, deux ou trois semaines après l’ingestion. Ça veut dire que le rongeur se balade dans la nature, dans la ville, un petit moment avant de mourir. Au moment où il commence à présenter des signes de détérioration, il devient plus facile à attraper pour nos oiseaux de proie. »
« Idéalement, il ne faudrait pas l’utiliser », estime-t-elle. « On reçoit régulièrement des oiseaux qui sont intoxiqués avec ça, »
[Les rodenticides] causent des problèmes de coagulation chez les rats. N’importe quel oiseau de proie qui va manger des petits rongeurs, souris ou rats, peut être contaminé par ce qui se trouve dans les rats.
Contre ces rongeurs, elle propose plutôt la lutte biologique grâce aux prédateurs comme le renard et, dans une moindre mesure, aux oiseaux de proie. Les nichoirs de faucons pèlerins installés sur le pont Jacques-Cartier ou sur le toit de gratte-ciel, par exemple, permettent de « lutter naturellement contre les rongeurs ».
Un problème de poubelles
« Actuellement, la ville, elle est sale, on n’a qu’à se promener à Montréal pour se rendre compte que les déchets traînent un peu partout. Ça vient créer un problème de santé publique », affirme au Devoir le chef intérimaire d’Ensemble Montréal, Aref Salem.
Son équipe dans l’opposition talonne l’administration en place sur la gestion des déchets et la prolifération des rats depuis des années. La décision récente de la Ville d’espacer la collecte des déchets toutes les deux semaines dans certains quartiers l’inquiète.
« Nous, dans Saint-Laurent, on a déjà introduit la collecte toutes les deux semaines depuis 2016. Le problème, c’est que, cette fois, [Montréal] a donné aux gens des sacs de vidanges. Ça marche chez nous, parce qu’on a des bacs refermables. […] Un sac en plastique, c’est déchirable. »
Les poubelles publiques sans couvercle contribuent aussi à nourrir ces indésirables, souligne-t-il. « Une poubelle ouverte, pour un rat, c’est un festin. On continue d’alimenter les rats. Si on met un programme progressif pour avoir des poubelles fermées, on contribue à limiter la prolifération. Il faudrait une brigade de propreté. Actuellement, on n’a pas de contrôle. »
Enfin, au banc des accusés, on trouve aussi les changements climatiques, qui faciliteront certainement la prolifération de bestioles dans nos villes.
« La faune est déchaînée avec des étés chauds et humides et des hivers doux », lance Nathaniel Leavey. L’augmentation de la vermine s’observe donc aussi depuis quelques années ailleurs : « Chez les rongeurs, mais aussi chez les insectes, les guêpes, les fourmis, les lièvres… »
La Grosse Pomme piquée de rats
« Plus de dauphins [dans la rivière Bronx], moins de rats. » Le maire de New York, Eric Adams, a plaidé pour une lutte sans merci contre les rongeurs dans sa ville, jeudi dernier dans son deuxième discours au conseil municipal, tout en voulant assainir l’eau de ses affluents. Le combat s’annonce ardu. Le nombre de plaintes a doublé l’an dernier dans la mégalopole pour des problèmes de rats. Les inspecteurs de la Ville ont documenté environ 60 000 cas d’activité de rongeurs en 2022, comparativement à 30 000 cas en 2021. La Ville de New York a ouvert les candidatures pour le poste de « tsar des rats », et cet exterminateur doit être « quelque peu assoiffé de sang », mentionne-t-on dans l’offre d’emploi. Le nom de ce prochain manitou des rats new-yorkais doit être connu sous peu.
Au Canada, c’est Toronto qui remporte la dégoûtante palme de la ville la plus « ratée », selon le décompte de la société d’exterminateur Orkin. Leurs experts notent qu’avec la fin de la pandémie, « la nourriture est devenue plus abondamment disponible dans les zones commerciales ». La croissance démographique au pays entraîne aussi une augmentation des activités et des observations. Aucune ville québécoise ne fait partie de cette liste peu enviable.
- Toronto
- Vancouver
- Burnaby
- Kelowna
- Mississauga
- Calgary (souris seulement)
- Victoria
- Richmond
- Edmonton (souris seulement)
- Saint-Jean
Correction: Bien lire que c'est l’utilisation de poisons à rats à l’extérieur - et non leur interdiction, comme l'indiquait une première version de cet article - qui, bien qu’efficace, nuit à tout l’écosystème urbain.