Quelle est la qualité de l’air dans une maison équipée d’une cuisinière à gaz?
Même dans le confort de nos demeures, l’air que nous respirons est souvent pollué. L’un des polluants typiques, le dioxyde d’azote (NO2), est généré par n’importe quelle forme de combustion. Dans les maisons équipées d’une cuisinière à gaz, cet appareil est la principale source de NO2.
Depuis des décennies, les preuves scientifiques des méfaits du NO2 pour la santé s’accumulent. Au premier chef, ce sont les symptômes d’asthme chez les enfants qui s’aggravent. (Pour lire notre texte sur le portrait général des risques posés par cette pollution, cliquez ici.)
Afin d’illustrer ce phénomène de manière concrète, Le Devoir a mesuré pendant plusieurs mois la qualité de l’air dans le domicile d’une famille équipé d’une cuisinière à gaz. Cette famille — celle d’Emmanuelle Viau, dont le fils de trois ans est asthmatique — vit à Montréal, dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie.
L’appareil que nous avons choisi, un détecteur de marque uHoo, mesure en continu neuf variables liées à la qualité de l’air intérieur, dont le NO2. Utilisé en milieu hospitalier dans plusieurs pays du monde, cet appareil est assez performant pour nos besoins. Sa marge d’incertitude est de moins de 5 %.
Nous avons installé ce détecteur sur le comptoir de la cuisine. Les concentrations y sont représentatives de celles respirées par les personnes dans cette pièce. D’abord, voici les concentrations quotidiennes moyennes mesurées de septembre à décembre (1).
Le premier constat, c’est que les valeurs mesurées excèdent très largement les recommandations. Au Canada, la ligne directrice pour une exposition à longue durée au NO2 est fixée à 20 µg/m3. La concentration moyenne mesurée chez Mme Viau en novembre et en décembre (95 µg/m3) est presque cinq fois supérieure à celle-ci.
On observe par ailleurs une importante variabilité d’un jour à l’autre. En outre, les concentrations augmentent au fil des mois, de septembre à décembre. Il est fort possible que, puisque la famille ferme ses fenêtres avec l’arrivée du temps froid, les fumées de la gazinière s’accumulent davantage dans la maison.
L’air extérieur, ça compte aussi
Un autre phénomène doit être pris en compte : la pollution de l’air extérieur. Dehors, ce sont les voitures qui génèrent principalement du NO2. La concentration de ce polluant est plus élevée près des artères routières. Nécessairement, ce gaz s’infiltre à l’intérieur des maisons.
Or, la pollution de l’air extérieur varie selon les saisons. En hiver, la concentration moyenne de NO2 mesurée à Montréal s’élève à environ 20 µg/m3. Les journées où elle grimpe à 40 µg/m3 ne sont pas rares, surtout dans les quartiers les plus pollués (2).
Trois journées pour y voir plus clair
Pour mieux discerner l’effet de la cuisinière à gaz, examinons les données plus finement. Voici trois journées où son influence est particulièrement évidente.
Le vendredi 16 septembre, on constate que la courbe monte subitement vers l’heure du souper. Cela correspond très probablement à un moment où la famille utilise sa cuisinière à gaz (3).
Le samedi 10 décembre, on observe un pic aigu en matinée. « Je crois qu’on s’est fait un bon déjeuner ; on s’apprêtait à regarder un match de la coupe du monde de soccer », se rappelle Mme Viau (4).
Et le lundi 19 décembre — « une journée typique de télétravail » —, on voit un pic de NO2 vers l’heure du souper, mais également en après-midi. « Je suis une grande buveuse de thé, ça correspond sûrement au moment où je me suis fait bouillir de l’eau sur le feu », dit Mme Viau (5).
« On peut voir clairement qu’il y a une tendance répétée avec l’heure du souper », affirme Patrick Hayes, professeur de chimie à l’Université de Montréal et spécialiste de la pollution de l’air, à qui Le Devoir a présenté les données. « Ça semble important par rapport à l’exposition de base dans une ville comme Montréal. »
Notons que ces pics surviennent même si Mme Viau et sa famille utilisent toujours la hotte quand ils cuisinent. Les variations plus lentes et progressives qu’on aperçoit sur les graphiques sont probablement imputables aux infiltrations d’air extérieur.
Exposition à court terme
Des concentrations élevées de NO2, même si elles ne durent pas longtemps, peuvent rendre la respiration plus difficile et causer de l’inflammation. La ligne directrice canadienne pour les expositions de courte durée est fixée à 170 µg/m3. Cette concentration ne devrait jamais être dépassée sur une base horaire.
De septembre à décembre, une telle concentration a été mesurée à au moins neuf reprises chez Mme Viau (dont les 10 et 19 décembre). Toutefois, les pics associés ne duraient jamais plus de quelques minutes. Ainsi, la ligne directrice n’a pas été violée sur une base horaire.
Et ailleurs dans la maison ?
En général, la concentration de NO2 dépend des sources en présence, mais aussi de la taille de la résidence. Une grande maison dilue davantage le polluant, et réduit donc l’exposition des occupants. Mme Viau et sa famille habitent un grand appartement, situé à l’étage supérieur d’un duplex.
Quelle est la concentration ailleurs que dans la cuisine ? Pendant une semaine, en janvier, nous avons déplacé le détecteur dans la chambre à coucher du fils de Mme Viau.
La concentration moyenne y est très semblable à celle mesurée dans la cuisine. Les pics de concentration associés à l’utilisation du four semblent toutefois moins prononcés. Voici les mesures du 14 janvier, par exemple (6).
En somme, le fils de Mme Viau est exposé à une concentration considérable de NO2, et la cuisinière à gaz y est pour quelque chose.
Le Devoir a présenté les données à Alberto Baldelli, un chercheur postdoctoral à l’Université de la Colombie-Britannique. Vers 2019, celui-ci a mené une batterie de tests pour évaluer la fiabilité du détecteur uHoo. M. Baldelli se désole que les concentrations mesurées chez Mme Viau soient aussi élevées, mais ne s’en étonne pas. « Les gens ne le savent pas, mais nous respirons plein de cochonneries », dit-il crûment.
Avec Catherine Bombardier