Plus de 24 000 places perdues en 4 ans dans les garderies en milieu familial
Le Québec a perdu plus de 24 000 places en garderie en milieu familial dans les quatre dernières années. Un déclin qui sape complètement les efforts déployés par le gouvernement du Québec pour réduire la liste d’attente pour une place en service de garde.
« Il reste qu’à un moment donné, il y a d’autres emplois qui sont alléchants aussi, bien qu’on aime ce qu’on fait », lance Chantal Racicot, représentante des responsables de services de garde en milieu familial à la CSN. Elle-même gère un service de garde à la maison depuis 33 ans.
Entre mars 2018 et septembre 2022, environ 12 000 places en garderie se sont ajoutées au Québec, dont plus de la moitié dans des centres de la petite enfance (CPE). Or, au cours de la même période, le réseau des services de garde en milieu familial perdait 24 505 places, révèlent des données comptabilisées par Le Devoir. On compte ainsi une perte nette dans le réseau, tous milieux confondus, de 12 295 places en quatre ans et demi.
Au 31 mai 2022, le ministère de la Famille estimait à 33 829 le nombre d’enfants sur la liste d’attente.
Le phénomène touche tout le Québec, mais ses conséquences sont particulièrement dramatiques dans les régions où il n’y a pas d’option de rechange du côté privé et où il n’y a pas assez d’enfants pour justifier l’ouverture d’un CPE.
Le déclin des garderies en milieu familial touche toutes les régions à l’exception de l’Estrie, où l’on en recense seulement six de plus en mars 2022 que quatre ans auparavant. C’est en Montérégie que les fermetures ont été les plus courantes, avec 7043 places de moins.
« C’est inquiétant d’avoir autant de fermetures, parce que ça diminue le nombre de places au total, affirme la porte-parole du mouvement Ma place au travail, Marilyn Dion. Il y a des milieux familiaux qui sont des endroits exceptionnels et qui présentent plein d’avantages pour le développement des enfants. […] C’est super intéressant d’avoir cette solution-là. »
Une combinaison de facteurs
Le gouvernement Legault est bien au fait du problème. En 2021, l’ancien ministre de la Famille Mathieu Lacombe attribuait d’ailleurs ses difficultés à combler le manque de places à la « crise chez les RSG » (responsables de services de garde). « La côte, elle est abrupte à remonter. On a une crise dans les services de garde en milieux familiaux », disait-il lors de la présentation des crédits budgétaires cette année-là.
Le ministre avait alors pris bien soin de souligner que le problème était présent avant l’arrivée de la Coalition avenir Québec au pouvoir. La « crise », disait-il, est « commencée depuis 2014 ».
Un avis que partagent les syndicats. Le premier gros coup dur subi par les RSG est venu de la modulation des frais de garde en 2014, souligne Valérie Grenon, de la Fédération des intervenantes en petite enfance (FIPEQ-CSQ). Les services sont alors devenus plus coûteux pour de nombreux parents, qui se sont donc tournés vers les établissements privés. Le nouveau gouvernement caquiste a rétabli le tarif unique en 2019, mais l’arrivée de la pandémie a de nouveau fragilisé le réseau.
Les nouvelles mesures d’hygiène combinées aux angoisses liées à la pandémie en ont poussé beaucoup vers la retraite… ou d’autres professions. « Il y en a qui sont allées travailler dans les CPE, il y en a qui sont allées travailler comme préposées aux bénéficiaires, il y en a qui sont allées travailler dans les chaînes d’alimentation, et il y en a qui sont allées dans les services de garde en milieu scolaire », relate Mme Racicot.
Il y en a encore qui ferment. Il y en a qui sont tannées, épuisées, et d’autres partent à la retraite.
« La COVID-19 a fait en sorte qu’il y en a qui étaient très inquiètes, mentionne quant à elle Mme Grenon. Pas seulement pour leur santé, mais pour celle de leur famille. Pendant que tout le monde s’isolait, elles accueillaient cinq ou six familles différentes dans leur maison. »
Nouvelle augmentation de revenu demandée
Le gouvernement Legault a pourtant fait des concessions pour encourager les éducatrices à rester ou à revenir en milieu familial. En juin 2021, le ministre Lacombe leur a offert des incitatifs allant jusqu’à 6000 $ dans le but de les encourager à prendre plus d’enfants.
Puis, en avril, il a haussé leur rémunération globale de 30 %. Cela a freiné l’exode, selon Valérie Grenon. « Plusieurs qui avaient prévu fermer ont maintenu leurs services ouverts, et on voit même de nouvelles responsables qui arrivent, dit-elle. [Or,] il y en a encore qui ferment. Il y en a qui sont tannées, épuisées, et d’autres partent à la retraite. »
Mme Grenon espère que le modèle des garderies en milieu familial survivra. « Il y a des enfants pour qui ça va beaucoup mieux en milieu familial. C’est un milieu plus restreint, plus petit. Un cocon. »
Elle espère de la nouvelle ministre Suzanne Roy qu’elle livrera les « ajustements administratifs » promis par l’ancien ministre Lacombe et déplore que l’incitatif à l’admission de plus d’enfants n’ait pas été renouvelé. D’emblée, les RSG vont devoir être dédommagées pour les contrecoups de l’inflation, selon elle. Un avis que partage la représentante de la CSN, Chantal Racicot. « Les 30 % qu’on a eus, c’est bien beau, mais c’était un rattrapage. […] On était sous-payées, et ce rattrapage-là a fondu comme neige au soleil. »
Contrairement aux travailleuses en CPE, qui sont à salaire, les éducatrices en milieu familial sont des travailleuses autonomes qui reçoivent une subvention pour financer l’ensemble de leurs activités. « La hausse du panier d’épicerie est rendue à 11,4 %, et la plus grosse facture pour les RSG, c’est l’épicerie. Si on veut nourrir six enfants convenablement et respecter le guide alimentaire, c’est sûr que c’est là que le bât blesse. »
De l’aveu même des syndicats, deux facteurs pourraient toutefois convaincre des éducatrices de devenir ou de redevenir des RSG : l’obligation pour les garderies privées en milieu familial non reconnues (les « places non régies ») de se joindre au réseau, ainsi que l’aboutissement du projet pilote permettant à des municipalités de créer des garderies de 12 places nouveau genre ailleurs que dans des résidences.
Mais avec la pénurie de main-d’oeuvre, les éducatrices en milieu familial ont plus d’options que jamais, souligne Mme Racicot. « Si on ne met pas plus d’argent, il y a de fortes chances qu’elles aillent travailler ailleurs. »