Hydro-Québec: où se situaient les désaccords entre Sophie Brochu et le gouvernement?

Malgré leurs différends, les deux parties s’entendent pour dire que la structure tarifaire de la société d’État devra être modernisée pour répondre aux impératifs de la transition énergétique.
Jacques Nadeau Le Devoir Malgré leurs différends, les deux parties s’entendent pour dire que la structure tarifaire de la société d’État devra être modernisée pour répondre aux impératifs de la transition énergétique.

À force de le répéter, on en a fait un lieu commun : la vision de Sophie Brochu pour l’avenir énergétique du Québec et celle du gouvernement divergent. Mais, en réalité, quels sont les points de friction, et où se situent les rapprochements ? Retour sur quatre dossiers qui ont pu contribuer à la décision de la p.-d.g., par Alexis Riopel.

Les barrages hydroélectriques

« Allez-vous finir par en faire, des barrages ? » demandait Guy A. Lepage à Sophie Brochu en octobre 2021. « Dans un horizon prévisible, on n’a pas ça dans nos cartons du tout », répondait celle-ci. Efficacité énergétique et pouvoir éolien seront les premières réponses à la demande accrue, expliquait Mme Brochu sur le plateau de Tout le monde en parle. Évidemment, a-t-elle précisé, personne ne connaît l’avenir : Hydro-Québec s’efforce d’être prête à toutes les éventualités. La société d’État fait donc les études qui s’imposent au sujet d’éventuels barrages hydroélectriques, mais ne s’attend pas à devoir recourir à cette option de sitôt. « Disons que under my watch, je ne vois pas ça pantoute », résumait la patronne. Quelques mois plus tard, le plan stratégique d’Hydro-Québec — que Mme Brochu considère désormais comme un legs important — abordait aussi la question des nouveaux barrages dans une perspective hypothétique et lointaine.

« Il faut envisager sérieusement la construction de nouveaux barrages », déclarait pour sa part François Legault en novembre, dans le discours d’ouverture de son deuxième mandat. Le premier ministre reconnaît que l’éolien et la modernisation des centrales existantes joueront des rôles importants, mais il pense que le Québec ne doit pas faire de croix sur de nouveaux ouvrages hydroélectriques. « Le problème avec le solaire, puis l’éolien, c’est que c’est intermittent. Donc, ce n’est pas suffisant pour combler nos besoins », précisait-il. M. Legault entrevoit les éventuels nouveaux projets hydroélectriques à moyen terme : entre l’annonce d’un projet et la mise en service des installations, il s’attend à devoir compter environ 15 ans. C’est pourquoi il réclame la tenue d’un « vrai débat de société » d’ici 2026. Son ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, affirmait de son côté, l’automne dernier, que « le barrage, c’est la résultante, ce n’est pas une stratégie ». Autrement dit, le gouvernement ne tient pas mordicus aux barrages, mais considère que ceux-ci deviendront incontournables dans le contexte de l’accroissement de la demande.

Les nouveaux clients industriels

Sophie Brochu ne s’oppose pas à la venue de nouveaux « projets énergivores » dans la province. La société d’État prévoit notamment quintupler ses ventes aux centres de données (hors cryptomonnaies) dans la prochaine décennie. Toutefois, répondre aux besoins créés par la décarbonation profonde du Québec mettra déjà une pression énorme sur la demande en électricité d’ici 2050, stipule le plan stratégique d’Hydro-Québec. Les projets devront donc être soigneusement sélectionnés en fonction de leur capacité à générer « le plus d’impacts positifs pour le Québec ». En théorie, ces orientations s’accordent parfaitement avec celles du gouvernement. En pratique, toutefois, la question des tarifs offerts aux entreprises qui débarquent dans la province semble poser problème. « Nous devons soutenir nos entreprises. Mais, en cette époque où nos frais augmentent, et où la valeur de leurs produits verts augmente, nos tarifs doivent aussi augmenter », disait Mme Brochu au Globe and Mail dans un long portrait publié fin novembre. « Si on s’approvisionne à 11 sous et qu’on a un tarif industriel à 5 sous, ben là, ça, ça ne marche pas », affirmait-elle en avril dernier.

Demeure également entière la question de la quantification des « impacts positifs pour le Québec ». L’objectif du comité sur l’économie et la transition énergétique, expliquait le ministre Fitzgibbon en octobre, « c’est de permettre à Hydro-Québec de comprendre l’ensemble de l’oeuvre ». « Les retombées économiques de l’aluminium au Saguenay, par exemple, peut-être, sont beaucoup supérieures à la profitabilité qu’on a chez Hydro-Québec », disait-il. Les revenus fiscaux tirés des grands projets industriels sont aussi à prendre en compte. Une fois ces informations en main, les décideurs doivent hiérarchiser les bénéfices économiques par rapport aux autres préoccupations. Selon M. Legault, les choix concernant la production et la vente d’électricité — dont « la demande est plus forte que l’offre » — s’articulent « en fonction de nos deux grands objectifs : créer de la richesse, puis éliminer les GES ».

L’énergie supplémentaire

Le Québec aura besoin d’au moins 50 % plus d’énergie d’ici 2050 : là-dessus, Hydro-Québec et le gouvernement s’entendent. Outre la question des nouveaux barrages hydroélectriques, discutée plus haut, les deux entités s’entendent aussi sur l’essentiel des mesures à adopter pour aller chercher cette énergie supplémentaire. Consommer plus efficacement fait partie des stratégies qui serviront à libérer des kilowattheures. Au chapitre de la production, moderniser les turbines des centrales hydroélectriques donnera un bon coup de pouce. Mais, surtout, tous les acteurs en attendent beaucoup du potentiel de l’énergie éolienne. « On peut en faire beaucoup plus, il vente beaucoup à certaines places dans le Québec », disait le ministre Fitzgibbon début décembre.

Un récent développement démontre qu’Hydro-Québec comme le gouvernement entendent survolter la production éolienne au plus vite. Jusqu’à tout récemment, les promoteurs avaient le loisir de soumettre des projets d’énergie éolienne à des appels d’offres lancés par Hydro-Québec sur l’ensemble du territoire. Or, expliquait Sophie Brochu en octobre 2021, cette manière de faire n’est pas idéale : elle peut créer de la congestion sur le réseau de distribution. « Il va venir un temps où, pour gérer l’optimalité du réseau électrique, il va falloir qu’on indique où est-ce que c’est le plus efficace sur le réseau. On n’est pas tout à fait rendus là, mais ça va venir », disait-elle. Ce temps est venu. En décembre dernier, le gouvernement a repoussé deux appels d’offres que s’apprêtait à lancer la société d’État. Un nouveau mécanisme permettra de cibler les zones stratégiques où on pourra ajouter rapidement du courant. La société d’État, qui a accueilli « favorablement » cette décision, devra lancer un « processus d’approvisionnement » dans les prochains mois. Les nouveaux volumes d’énergie éolienne seront supérieurs à ceux initialement prévus dans les deux blocs repoussés.

Les tarifs et la sobriété

Les deux parties s’entendent pour dire que la structure tarifaire d’Hydro-Québec devra être modernisée pour répondre aux impératifs de la transition énergétique. Le processus, délicat, présente une multitude d’écueils sur lesquels les discussions peuvent accrocher. Selon son dernier plan stratégique, Hydro-Québec prévoit soumettre des modifications tarifaires à la Régie de l’énergie afin de « renforcer les signaux de prix », pour encourager une consommation judicieuse. « Est-ce que la hausse de la demande a un effet sur les tarifs ? La réponse est oui », disait en mars dernier Mme Brochu au Devoir. Cette orientation permettra à Hydro-Québec de plus facilement atteindre ses objectifs de réduction de la pointe en puissance, qui repose en grande partie sur la bonne volonté de ses clients à moins consommer lors des grands froids.

Le gouvernement, pour sa part, prépare un projet de loi « très, très massif » qui portera sur Hydro-Québec et la Régie de l’énergie. Peu de détails ont filtré à ce sujet depuis que le ministre Fitzgibbon en a fait l’annonce, début décembre, en promettant des consultations. Chose certaine, la « tarification dynamique » — qui consiste à vendre l’électricité plus chère en période de pointe — fera partie des sujets abordés. Ce genre de mesures devraient rehausser la sobriété énergétique du Québec. « Pour connaître un peu ce qui se passe dans le monde, nous ne sommes pas sobres dans notre consommation » au Québec, faisait valoir M. Fitzgibbon. Les entreprises seront également concernées par ce remue-ménage réglementaire : le gouvernement pourrait se garder le droit de baisser la fourniture de courant aux entreprises en période de pointe. « L’idée, évidemment, c’est de rendre Hydro-Québec plus agile devant la nouvelle réalité énergétique », expliquait le ministre.

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