Des boeufs qui bougent peu pour grossir rapidement

Les animaux de ferme se comptent par millions au Québec. Ils nous entourent et nous nourrissent et, pourtant, on connaît fort peu de chose sur leurs conditions de vie. Après avoir recueilli les témoignages de producteurs, de défenseurs des droits des animaux et d’experts, Le Devoir vous propose de découvrir le cycle de vie des principaux animaux de ferme du Québec, de leur naissance à l’abattoir, ainsi que les préoccupations qui en découlent en ce qui a trait au bien-être animal. À noter que toutes les pratiques mentionnées sont autorisées par les codes de pratique qui encadrent l’élevage des animaux au Canada. Aujourd’hui : les veaux et les boeufs.

Le Québec n’est à l’origine que de 4 % de la production de boeufs du pays, mais il fournit plus des deux tiers de la production canadienne de veaux. En 2021, 75 000 veaux de grain et 69 000 veaux de lait ont été élevés dans la province, alors que 78 000 bouvillons d’abattage et 93 000 bovins de réforme ont été produits. Tout comme les vaches laitières, les veaux sont presque tous élevés à l’intérieur au Québec, mais les bouvillons d’abattage passent une partie de leur vie au pâturage. Survol du cycle de vie des veaux et des boeufs d’élevage au Québec.

« Ceux-là sont arrivés vendredi soir », lance André Ricard en montrant du doigt des veaux d’embouche qui viennent tout juste de faire leur entrée dans sa ferme d’engraissement de Saint-Alexis, dans Lanaudière, peuplée de quelque 550 bouvillons d’abattage.

Les veaux ont été transportés sur place après avoir passé leurs 10 premiers mois de vie dans un pâturage à téter le lait de leur mère. Dans les fermes de veaux d’embouche, certaines vaches de boucherie sont inséminées artificiellement — comme c’est le cas pour les vaches laitières —, mais d’autres donnent naissance à leurs veaux après avoir été en contact avec des taureaux, explique Jean-Thomas Maltais, président des Producteurs de bovins du Québec, une association qui regroupe près de 10 000 producteurs.

« Ensuite, quand on veut que la vache ait un autre petit, on ramasse le veau [pour le sevrer et le préparer à être vendu] et on donne trois mois de repos à la vache [avant que le cycle recommence] », explique-t-il.

Pendant toute leur vie, les vaches de boucherie — accompagnées de leurs petits jusqu’à ce qu’ils soient vendus à une ferme d’engraissement — passent leurs journées et leurs nuits à l’extérieur dans un pâturage. « Ce sont des animaux qui sont adaptés au climat hivernal », indique Jean-Thomas Maltais, en ajoutant que l’alimentation offerte par temps froid est ajustée pour offrir suffisamment d’énergie aux animaux.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les veaux de la ferme d'André Ricard ont été transportés sur place après avoir passé leurs 10 premiers mois de vie dans un pâturage à téter le lait de leur mère.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir

En bas âge, les veaux mâles sont castrés à l’aide d’élastiques ou de pinces placés sur leurs testicules. « On pense que c’est dramatique, mais [c’est l’équivalent] de mettre un élastique sur le bout d’un doigt. À un moment donné, le sang arrête d’y circuler et ça va sécher », dit le producteur. Une procédure qui permet de diminuer l’agressivité des animaux et qui assure une meilleure qualité de la viande, précise Jean-Thomas Maltais. Tout comme pour les vaches laitières, les cornes des bovins de boucherie sont enlevées tôt dans leur vie, avec des ciseaux ou un fer pour brûler les bourgeons.

Lorsqu’elles deviennent moins productives, vers l’âge de 7 à 10 ans en moyenne, les vaches de boucherie sont envoyées à l’encan, puis à l’abattoir comme vaches de réforme pour être transformées en viande hachée — c’est le même parcours pour les vaches laitières lorsque leur production de lait décroît.

Veaux de grain ou de lait

Les veaux nés de vaches laitières — qui sont inséminées pour produire du lait — sont vendus à l’encan lorsqu’ils atteignent 10 à 15 jours. Ils sont ensuite menés dans des fermes d’engraissement et séparés en deux catégories, explique Jean-Thomas Maltais.

Ceux qui deviennent des veaux de grain sont plus tard sevrés puis nourris majoritairement de grains de maïs, alors que ceux qui seront commercialisés comme des veaux de lait poursuivent une alimentation centrée sur le lait. La pratique est contestée par des défenseurs des droits des animaux puisque l’alimentation lactée maintient les animaux dans un état anémique, disent-ils.

Bouvillons d’abattage

Les veaux d’embouche (provenant de vaches de boucherie) font environ 700 livres lorsqu’ils arrivent à la ferme Ricard. Jusqu’à leur départ pour l’abattoir, 10 mois plus tard, les bouvillons d’abattage sont élevés et engraissés à l’intérieur d’une étable froide, c’est-à-dire un bâtiment qui n’est pas isolé et dont les planches ajourées qui font office de murs extérieurs laissent passer une ventilation naturelle.

« Au froid, ils ont plus d’appétit, donc ils sont plus performants », mentionne André Ricard en remplissant les mangeoires de foin, alors qu’un petit chat roux se promène près des bovins. Les bêtes de race Angus noire, Angus rouge, charolaise et limousine qui composent le troupeau vivent en groupe dans des enclos qui leur permettent une petite liberté de mouvement.

En les gardant à l’intérieur pendant toute leur période d’engraissement, le producteur peut contrôler « 100 % de l’alimentation » des bouvillons et s’assurer qu’ils ne dépensent pas trop d’énergie dans un pâturage pour plutôt prendre du poids, poursuit André Ricard.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir André Ricard doit prévoir de 5,5 à 6 kilos de matières sèches d’alimentation pour produire un kilo de viande.

Comme pour les autres animaux d’élevage, l’amélioration génétique a permis au fil des ans de produire des bêtes qui engraissent et qui produisent des tissus musculaires plus rapidement. Des améliorations au chapitre de l’alimentation des bovins ont aussi permis de réaliser des gains de productivité, explique le producteur. « Il y a 40 ou 50 ans, on avait besoin de huit ou neuf kilos de matières sèches d’alimentation pour produire un kilo de viande. Aujourd’hui, ça nous prend de 5,5 à 6 kilos de matières sèches d’alimentation pour produire un kilo de viande, indique André Ricard. Ça nous permet de réduire nos coûts. »

Transport et abattage

Lorsqu’ils atteignent les 1600 livres, soit à environ 20 mois, les bouvillons quittent la ferme pour l’abattoir. Plusieurs d’entre eux font leur chemin jusqu’à l’entreprise Préval, qui abat le plus grand volume de veaux, d’agneaux et de boeufs au Québec.

Après leur arrivée, les animaux bénéficient d’une période de repos d’environ deux heures — une étape qui permet de réduire leur stress et d’améliorer la tendreté de la viande. « Le bien-être animal et la qualité de la viande sont synonymes », fait valoir Alex Fontaine, président-directeur général de Montpak, propriété de Préval.

Les animaux avancent ensuite dans un corridor en forme de S jusqu’à une cage individuelle qui va restreindre leurs mouvements. Ils sont ensuite insensibilisés en étant assommés à l’aide d’un appareil s’apparentant à un fusil pneumatique qui est placé sur le front de l’animal. « Il y a un piston qui sort extrêmement rapidement, explique Alex Fontaine. L’animal ne sent rien. » S’ensuit la saignée, qui entraîne la mort des animaux. Les bouvillons sont ensuite découpés et deviennent des « T-bones », des bavettes, des steaks tomahawk ou encore des steaks de surlonge qui aboutissent dans nos assiettes.

Demain : le cadre législatif

 

À noter que toutes les pratiques mentionnées sont autorisées par les codes de pratique qui encadrent l’élevage des animaux au Canada.



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