Les sentinelles du senti

André Lavoie
Collaboration spéciale
La dernière Conférence nationale du réseau des délégués sociaux et des déléguées sociales de la FTQ, ayant pour titre « 35 ans d’entraide, ça se fête ! », en 2018
Eric Demers FTQ La dernière Conférence nationale du réseau des délégués sociaux et des déléguées sociales de la FTQ, ayant pour titre « 35 ans d’entraide, ça se fête ! », en 2018

Ce texte fait partie du cahier spécial 33e congrès de la FTQ

Avec un vertigineux taux de chômage à 13 % et une inflation atteignant 12 %, le Québec du début des années 1980 était bien mal en point. À la même époque, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) devait réagir devant les pertes d’emplois massives, et les drames humains cachés derrière. Ainsi sont nés les délégués sociaux, de véritables anges gardiens au sein des entreprises.

Louis Laberge, président de la FTQ à cette époque, affirmait que les exécutifs et les délégués syndicaux sont les bras de l’organisation pour défendre les droits des travailleurs, et le coeur est symbolisé par les délégués sociaux. Depuis leur création en 1983, ils n’ont jamais cessé de prouver leur pertinence, prenant une place grandissante, faisant face à des réalités différentes de celles qui les occupaient jadis. Car de l’aide à la rédaction d’un curriculum vitae ou du soutien pour contrer l’alcoolisme, ces sentinelles du senti jonglent maintenant avec de multiples dépendances, sans compter les maux grandissants au sein même des milieux de travail.

40 ans d'entraide syndicale

Les 14 et 15février prochains, à Saint-Hyacinthe, la Conférence nationale des délégués sociaux et des déléguées sociales fêtera 40 ans de bons et loyaux services, temps de célébrations, mais aussi de réflexion, sur leur rôle et leur place : parmi les travailleurs, mais aussi devant les employeurs, et au sein même des syndicats locaux. Ce moment privilégié, organisé tous les cinq ans, s’ouvrira sur les mots inspirants de Lorraine Deschênes et du juge à la retraite Michael Sheehan, deux figures importantes de la prévention du suicide.

Cet anniversaire sera aussi l’occasion de démystifier une responsabilité encore à définir, même à l’intérieur des syndicats affiliés à la FTQ, « car chaque milieu trouve sa façon de faire pour que le délégué social puisse oeuvrer dans les meilleures conditions possibles », souligne François Ouellet, conseiller syndical à la FTQ au service de santé et sécurité du travail. Au sein d’une grande organisation ou d’une petite entreprise, « ils peuvent donner une réponse plus rapide à leurs pairs qui ont besoin d’être écoutés, soutenus », précise celui qui est également conseiller technique au réseau des délégués sociaux.

À quoi les reconnaît-on ? Les plus chanceux possèdent un bureau (pour des entretiens en toute confidentialité), leur importance figure dans la convention collective et ils ont le droit d’être libérés de leur travail pour accomplir cette mission. Louise Grenier, déléguée sociale depuis 1985 et coordonnatrice au Conseil régional du Montréal métropolitain, agit aussi bien à titre d’ambassadrice que de formatrice. Embauchée comme téléphoniste chez Bell Canada en 1977, elle en a vu, des transformations dans le monde du travail, et pas toujours positives. Elle qui rêve d’un « réseau connu et reconnu par tout le monde », pas une semaine ne passe sans qu’elle et ses collègues doivent affronter des problèmes très actuels (cyberdépendance, violence conjugale, suicides). « On parle souvent des blessures physiques, mais en ce qui concerne la santé mentale, il faut comprendre que c’est la tête et le coeur qui saignent. »

Un service essentiel 

Quarante ans plus tard, on sait à quel point la présence des délégués sociaux peut changer les choses. Mélanie Dufour-Poirier, professeure en relations de travail à l’Université de Montréal, en a fait la démonstration… et a bénéficié de leurs services. Tout en consacrant une bonne partie de ses recherches à leur rôle, dont celui « d’apaiser les milieux de travail », elle a découvert lors du décès de son conjoint, et père de son fils, une facette encore plus importante.

« Ça m’a permis de ne pas chuter davantage, car j’ai reçu de l’aide rapidement, dont celle de Louise Grenier », se souvient Mélanie Dufour-Poirier. Toute cette expérience douloureuse, dont un retour au travail où le malaise chez certains collègues était palpable, a renforcé les convictions de la chercheuse qu’il fallait s’interroger sur ce qui ne tourne pas rond dans le monde de l’emploi. « Pourquoi le travail est-il source de souffrance, d’aliénation et de détresse psychologique ? La pandémie n’est pas seule en cause, car actuellement, c’est l’exacerbation de problèmes déjà existants. »

Pour apaiser ceux-ci, aucune solution miracle, plutôt un ensemble d’actions, selon Mélanie Dufour-Poirier : « La santé mentale au travail doit devenir un enjeu de mobilisation et de négociation, et tout le milieu syndical gagnerait à en faire une priorité. Dans plusieurs entreprises, les délégués sociaux sont des vecteurs de justice sociale, et hors des voies traditionnelles. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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