36 jours de vie avant la rôtisserie
Les animaux de ferme se comptent par millions au Québec. Ils nous entourent et nous nourrissent et, pourtant, on en connaît fort peu sur leurs conditions de vie. Après avoir recueilli les témoignages de producteurs, de défenseurs des droits des animaux et d’experts, Le Devoir vous propose de découvrir le cycle de vie des principaux animaux de ferme du Québec, de leur naissance à l’abattoir, ainsi que les préoccupations qui en découlent en ce qui a trait au bien-être animal. À noter que toutes les pratiques mentionnées sont autorisées par les codes de pratique qui encadrent l’élevage des animaux au Canada. Aujourd’hui : les poulets.
Près de 195 millions de poulets — la viande préférée des Québécois — sont produits annuellement dans la province par environ 620 producteurs. Contrairement aux poules pondeuses, qui sont élevées en cage, les poulets de chair vivent dans une liberté contrôlée à l’intérieur de bâtiments. Mais la sélection génétique qui a fait en sorte que les poulets grossissent plus rapidement qu’avant continue d’être vivement contestée par des organismes de défense des animaux. Portrait du cycle de vie d’un poulet au Québec.
Dès leur premier jour de vie, les poussins sont transportés du couvoir jusque chez l’éleveur. Leurs becs ne sont pas rognés et les poussins mâles ne sont pas euthanasiés, comme c’est le cas avec les poules pondeuses. Les poulets sont élevés en « liberté » sur du parquet dans des bâtiments où le taux d’humidité, la luminosité et la qualité de l’air sont contrôlés.
Pour Me Camille Labchuk, directrice exécutive d’Animal Justice, un organisme composé d’avocats qui donnent une voix légale aux animaux au Canada, il est inconcevable que ces animaux n’aient pas accès à l’extérieur. « Ils devraient avoir la possibilité de respirer de l’air frais et de voir la lumière du jour », indique-t-elle.
Une idée certes séduisante pour les consommateurs, mais qui serait coûteuse et risquée, fait valoir Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs de volailles du Québec et producteur de 1,5 million de poulets et de 80 000 dindes par année à Saint-Hyacinthe. « Avec la recrudescence des maladies qu’on a à l’extérieur, comme la grippe aviaire, si les oiseaux étaient tous à l’extérieur, c’est à peu près certain qu’il n’y aurait pas de consommation de poulet au Québec cette année », souligne-t-il, ajoutant que les animaux sont également à l’abri des prédateurs et des intempéries lorsqu’ils sont confinés à l’intérieur.
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Il n’a d’ailleurs pas été possible pour Le Devoir de visiter une ferme de poulets étant donné les restrictions dues à la présence de la grippe aviaire dans la province.
Gains de productivité
À 36 jours de vie, le poulet de rôtisserie a atteint son poids d’abattage, qui est d’environ 2 kilos. Une croissance qui se fait plus rapidement qu’avant en raison de l’amélioration génétique (des croisements ont été effectués entre des poulets qui grossissaient plus vite, entre autres) et des recherches liées à l’alimentation qui ont permis d’accroître le taux de conversion alimentaire — c’est-à-dire la quantité de grains nécessaire pour produire des tissus musculaires. « La recherche est faite pour que l’oiseau prenne le moins d’aliments possible pour faire un kilo de viande », explique Pierre-Luc Leblanc.
De 2005 à 2015 environ, le nombre de jours d’élevage a ainsi été réduit de quatre ou cinq, poursuit le producteur. Pour Me Camille Labchuk, ce gain de productivité est la source d’une grande souffrance pour les poulets. « Ils grossissent si vite qu’ils sont essentiellement encore des bébés, mais ont de gros corps et des poitrines très lourdes puisque c’est là que l’essentiel de la viande se trouve », décrie l’avocate. « Les organes des poulets faillissent parfois parce qu’ils ne grandissent pas assez vite pour soutenir leur masse musculaire », s’indigne-t-elle.
Une critique que rejette Pierre-Luc Leblanc. « Notre objectif est de livrer des oiseaux vivants sur deux pattes dotés d’une belle carcasse, assure-t-il. Un éleveur a avantage à avoir un élevage en santé. S’il est bien, l’oiseau va le rendre au producteur parce qu’il va être très généreux sur le plan de la qualité de viande et du rendement en chair. »
Transport et abattage
Lorsqu’ils sont envoyés à l’abattage, à 36 jours de vie, les poulets sont capturés à la main par des « attrapeurs » et placés dans des cages par la suite chargées sur des camions. Comme les autres animaux d’élevage, les poulets doivent observer un jeûne de quelques heures avant leur départ pour l’abattoir, une mesure qui assure la qualité de la viande.
La quasi-totalité des poulets se dirigent ensuite vers les abattoirs des entreprises Exceldor et Olymel. Exceldor n’a pas voulu accorder d’entrevue au Devoir, se limitant à déclarer par courriel que ses méthodes sont « rigoureusement encadrées par les normes québécoises et canadiennes de bien-être animal et de santé publique ».
Chez Olymel, les abattoirs du groupe ont été réaménagés à partir de 2011 afin qu’on anesthésie les poulets au CO2 avant de les saigner, ce qui cause leur mort. Une méthode qui réduit la souffrance et le stress des animaux liés à l’abattage, tout en améliorant les conditions de travail des employés et la qualité de la viande, fait valoir Richard Vigneault, responsable des communications pour Olymel. Les poulets font ensuite leur chemin jusqu’à l’assiette des consommateurs, de plus en plus friands de cette viande jugée meilleure pour la santé et l’environnement que la viande rouge.
Demain : les boeufs
À noter que toutes les pratiques mentionnées sont autorisées par les codes de pratique qui encadrent l’élevage des animaux au Canada.