Une employée du SPVM congédiée au nom de la «sécurité nationale» en quête de réponses

Selon les sources du Devoir, ce sont pour des raisons de « sécurité nationale » que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a congédié, à l’été 2021, une préposée aux communications d’urgence (911). L’ancienne employée, qui affirme n’avoir jamais été mise au courant de ce motif et qui n’a aucun antécédent judiciaire, se bat depuis devant les tribunaux pour faire la lumière sur les circonstances de son renvoi, qualifiées de « surréalistes » par la Cour supérieure du Québec.
En avril 2020, Miriam Ikhlef, alors âgée de 23 ans, est embauchée par le SPVM à titre de préposée aux communications d’urgence. Rêvant de devenir policière, la jeune Québécoise d’origine algérienne dépose sa candidature en janvier 2021 dans le cadre du Programme de policiers conventionnels du SPVM, qui vise à faciliter le recrutement à ce poste de personnes d’origine autochtone ou issues de minorités visibles.
C’est ainsi que le 19 janvier 2021, Miriam Ikhlef, qui avait déjà obtenu un baccalauréat en sécurité et en études policières de l’Université de Montréal, est informée par son employeur, le SPVM, qu’elle remplit tous les critères pour présenter sa candidature à ce programme. Elle réussira dans les mois suivants les différentes étapes du processus d’embauche pour devenir policière, jusqu’à se rendre, en avril, à celle de l’enquête d’accréditation sécuritaire.
La candidate a alors bon espoir qu’elle franchira cette étape sans problème, puisqu’elle avait déjà obtenu une accréditation sécuritaire afin de pouvoir travailler à la Centrale 911 du SPVM dès avril 2020.
Congédiée sans raison
Or, le 16 juin 2021, la jeune femme apprend qu’elle n’a pas réussi l’enquête d’accréditation sécuritaire, sans jamais être informée des motifs justifiant cette décision. La jeune femme, qui voit son accréditation sécuritaire être révoquée, perd ainsi son emploi quelques jours plus tard à titre de préposée aux communications d’urgence. « Jamais dans ma vie je n’aurais pensé vivre une telle situation », a confié lundi Mme Ikhlef, en entrevue au Devoir.
La jeune femme se tourne ensuite vers la Cour supérieure pour tenter d’obtenir une réintégration à son poste au SPVM ainsi que des dommages moraux et punitifs totalisant 20 000 $, dans le cadre d’une poursuite visant le SPVM et la Ville de Montréal.
C’est un combat difficile et sans réponses, mais c’est un combat important
« Le Tribunal comprend que, jusqu’à présent, la demanderesse ignore toujours les raisons exactes ayant provoqué le retrait immédiat de son accréditation sécuritaire et, par ricochet, la fin de son emploi au sein du SPVM », mentionne le juge de la Cour supérieure Michel A. Pinsonnault, dans une décision rendue le 29 décembre 2022 portant sur la compétence de ce tribunal à traiter de ce dossier, qui était contestée par le SPVM et la Ville de Montréal. Le juge a alors critiqué les circonstances « nébuleuses » et « surréalistes » de ce congédiement.
Cependant, puisque le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal avait déjà déposé en juillet 2021 un grief visant à atteindre les mêmes objectifs que ceux inscrits dans cette poursuite, le juge Pinsonnault a donné raison au SPVM et à la Ville en reconnaissant que la Cour supérieure « n’est pas compétente » pour entendre cette demande. Celle-ci devra plutôt faire l’objet d’un arbitrage géré par le syndicat, a tranché le juge. L’arbitrage est prévu en octobre 2023, a confirmé le syndicat au Devoir.
Miriam Ikhlef, aujourd’hui âgée de 25 ans, continuera toutefois de mener en parallèle son combat devant la Cour supérieure, qui sera cette fois appelée à éclaircir précisément les motifs du rejet de sa candidature au Programme de policiers conventionnels du SPVM, une question qui ne relève pas de l’arbitrage syndical.
« On veut connaître les raisons pour lesquelles elle a été refusée dans ce programme-là et, ensuite, on va pouvoir demander une injonction, des dommages-intérêts ou quelque chose comme ça », explique en entrevue l’avocat Daniel Rochefort, qui représente Mme Ikhlef. Cette dernière a déjà dépensé des dizaines de milliers de dollars en frais d’avocat en raison de cette affaire.
« C’est un combat difficile et sans réponses, mais c’est un combat important », relève Miriam Ikhlef, qui compte se battre jusqu’au bout pour obtenir des réponses à ses questions.
Joints par Le Devoir, le SPVM et la Ville de Montréal se sont abstenus de commenter ce dossier en raison du processus judiciaire en cours.
Sécurité nationale
Selon nos informations, le SPVM aurait invoqué un motif de « sécurité nationale » pour révoquer l’accréditation sécuritaire de Miriam Ikhlef, ce que confirme son avocat. « Mais la sécurité nationale, c’est quoi ? Il faut qu’on nous donne des faits, des raisons », souligne Me Rochefort. « Est-ce que c’est à cause de son oncle ? On ne le sait pas », ajoute-t-il.
En entrevue, Miriam Ikhlef a confirmé l’identité de son père, Nabil Ikhlef. Ce dernier est le frère de Mourad Ikhlef, qui a vécu à Montréal pendant une dizaine d’années avant d’être expulsé en 2003 dans son pays d’origine, l’Algérie, au terme d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
La demande d’asile de Mourad Ikhlef avait alors été refusée parce que la Commission avait des « motifs raisonnables » de croire qu’il était un membre actif d’une organisation terroriste. Il aurait aussi collaboré avec le terroriste Ahmed Ressam, qui a été arrêté à la frontière canado-américaine le 14 décembre 1999 au volant d’une voiture remplie d’explosifs. M. Ressam se dirigeait vers Los Angeles.
Miriam Ikhlef n’a presque pas connu son oncle, qu’elle aurait aperçu pour la dernière fois à un très jeune âge. Cependant, son père, Nabil Ikhlef, avec qui elle vivait à Vancouver, était venu à Montréal pour soutenir son frère Mourad dans sa tentative d’obtenir l’asile au Canada. Nabil Ikhlef a aussi témoigné dans le cadre du procès d’Ahmed Ressam, tenu en mars 2001. Il a par la suite habité à Montréal. Sa fille affirme aujourd’hui qu’elle ne peut pas dire si son père demeure encore dans la métropole.
En raison du processus judiciaire en cours et de la confidentialité des dossiers des employés, le SPVM n’a pas voulu indiquer si les liens familiaux de Miriam Ikhlef ont contribué à la révocation de son accréditation sécuritaire. « Les motifs, comme je vous dis, à ce jour, je ne les connais pas. Moi, je sais que je n’ai rien à me reprocher », affirme quant à elle Miriam Ikhlef.
La jeune femme souhaite toujours devenir policière à Montréal.