Les cages pour poules pondeuses font débat

Au Québec, seulement 4% des poules pondeuses, soit celles dont les œufs sont certifiés bio, ont un accès à l’extérieur.
Photo: iStock Au Québec, seulement 4% des poules pondeuses, soit celles dont les œufs sont certifiés bio, ont un accès à l’extérieur.

Les animaux de ferme se comptent par millions au Québec. Ils nous entourent et nous nourrissent et, pourtant, on en connaît fort peu sur leurs conditions de vie. Après avoir recueilli les témoignages de producteurs, de défenseurs des droits des animaux et d’experts, Le Devoir vous propose de découvrir le cycle de vie des principaux animaux de ferme du Québec, de leur naissance jusqu’à l’abattoir, ainsi que les préoccupations qui en découlent sur le plan du bien-être animal. À noter que toutes les pratiques mentionnées sont autorisées par les codes de pratique qui encadrent l’élevage des animaux au Canada. Aujourd’hui : les poules pondeuses.

Le Québec compte six millions de poules pondeuses — presque toutes élevées exclusivement à l’intérieur — qui produisent annuellement 1,8 milliard d’oeufs. Environ 40 % des poules pondeuses québécoises vivent dans des cages conventionnelles, dont l’usage a été interdit en Europe en 2012. Ces cages, dans lesquelles un espace de vie plus petit qu’une feuille 8,5 x 11 pouces est consenti à chaque poule, seront aussi bannies du Canada en 2036 pour laisser place à des cages enrichies, légèrement plus spacieuses et munies de perchoirs et d’espace de nidification. Coup d’oeil sur la vie d’une poule pondeuse au Québec.

Dès leurs premières heures de vie, alors qu’ils sont encore au couvoir, les poussins mâles — qui n’ont aucune valeur commerciale — sont séparés des poussins femelles. « On appelle ça “sexer” les poussins à l’aile », explique Paulin Bouchard, président de la Fédération des producteurs d’oeufs du Québec et producteur avicole en Beauce. « Des travailleurs regardent le bout de l’aile du poussin : chez le mâle, le début de plume est plus saccadé, alors que chez la femelle, c’est plus uni », indique-t-il.

Tous les poussins mâles — soit environ six millions par année au Québec — sont euthanasiés par gaz. Une pratique de mise à mort massive qui est vertement dénoncée par les organismes de défense des droits des animaux. En Europe, des technologies qui permettent de déterminer le sexe du poussin alors qu’il est encore dans sa coquille ont commencé à être commercialisées. « C’est une avancée technologique intéressante », convient Paulin Bouchard. Mais les coûts sont énormes et mèneraient à une augmentation du prix des oeufs, dit-il. Et les gains en matière de bien-être animal ne sont pas encore clairs, nuance-t-il, puisque les embryons seraient sensibles possiblement dès le septième jour d’incubation.

Becs rognés

Rapidement après la naissance des poussins femelles, leurs becs sont rognés à l’aide d’un laser pour arrondir leur bout et ainsi éviter le picage et le cannibalisme, courants chez les poules. « C’est un geste de bien-être animal extrêmement important qui est fait sans douleur — c’est comme se couper les ongles — pour éviter que les poules se blessent [entre elles] », fait valoir Paulin Bouchard.

Une vision que conteste Me Sophie Gaillard, directrice générale par intérim de la SPCA Montréal, qui affirme qu’il s’agit d’une amputation qui cause de la douleur, ce qui a été reconnu par des études scientifiques. Elle ajoute que ce sont les trop petits espaces de vie alloués aux poules qui créent ces problèmes. « Ce sont des animaux qui, à l’état naturel, ont une hiérarchie et peuvent avoir des conflits entre eux, mais quand on les entasse ensemble, ça crée des problèmes d’agressivité », dénonce-t-elle.

Ce qu’on choisit comme système, ça revient donc à nos valeurs et à ce qu’on pense être le bien-être animal

 

À partir de leur 19e semaine de vie, les poulettes commencent à produire des oeufs. Les poules pondeuses sont généralement élevées en groupe dans des cages situées à l’intérieur de bâtiments qui ne disposent souvent pas de fenêtres. Un environnement de vie qui est jugé optimal par les producteurs en matière d’alimentation, de qualité de l’air, de chaleur et de luminosité offertes aux poules. « Souvent, on fait de l’anthropomorphisme, on se dit puisque le soleil et la liberté représentent ça pour moi…, soutient Paulin Bouchard. Mais on a des yeux d’êtres humains, on n’a pas le comportement d’un oiseau. »

Seulement 4 % des poules pondeuses, soit celles dont les oeufs sont certifiés bio, ont un accès à l’extérieur au Québec — un accès qui a été restreint cette année en raison de la grippe aviaire. Il n’a d’ailleurs pas été possible pour Le Devoir de visiter une ferme de poules pondeuses en raison des restrictions imposées par la grippe aviaire.

Dans la province, 60 % des poules pondeuses ont fait la transition de cages conventionnelles — où elles disposent chacune d’un espace de vie de 432 cm2, soit une surface plus petite qu’une feuille 8,5 x 11 — vers des cages enrichies — où elles bénéficient d’un espace de vie de 580 à 750 cm2, en plus d’avoir accès à des perchoirs et des espaces de nidification pour qu’elles puissent exprimer davantage leurs comportements naturels.

Loin d’être facile, le débat sur les logements des poules pondeuses est plus complexe qu’il n’y paraît, souligne Jamie Dallaire, professeur spécialisé en comportement et bien-être animal au Département des sciences animales de l’Université Laval. Des études ont montré que dans les systèmes qui offrent une plus grande liberté aux poules — comme les volières ou les accès à l’extérieur —, une plus grande mortalité et des problèmes de santé plus importants surviennent, rapporte-t-il. Des questions qui peuvent toutefois généralement être réglées à mesure que le producteur gagne en expérience avec ce nouveau modèle d’élevage.

« Ce qu’on choisit comme système, ça revient donc à nos valeurs et à ce qu’on pense être le bien-être animal, fait remarquer le professeur Dallaire. Est-ce que c’est davantage le bien-être physique [une vision généralement adoptée par les producteurs] ou plutôt la possibilité pour les animaux d’exprimer leurs comportements naturels [une vision généralement adoptée par les défenseurs des droits des animaux] ? »

Un oeuf par jour

Pendant son cycle de ponte, la poule pond environ un oeuf par jour. Une productivité qui a augmenté au fil des ans grâce, entre autres, à la sélection génétique. Des croisements ont été effectués pour obtenir des poules plus performantes. Aujourd’hui, la poule pondeuse est « un oiseau qui est grand, mince, élancé et qui est productif quant aux oeufs », contrairement au poulet de chair, qui engraisse facilement, mentionne Paulin Bouchard. Un gain en productivité qui a aussi été obtenu grâce à un environnement de vie mieux contrôlé.

Mais cette logique productiviste se fait aux dépens de la santé des animaux, estime Sophie Gaillard. « Les poules pondent énormément d’oeufs, ce qui fait en sorte qu’elles perdent beaucoup de calcium [pour créer les coquilles], ce qui les rend plus prédisposées aux fractures et à l’ostéoporose. » Une lecture qui fait sourciller Paulin Bouchard : « quand la poule pond un oeuf de bonne qualité tous les jours, c’est parce qu’elle est en bonne santé, sinon elle se protégerait [en diminuant] sa production », insiste-t-il.

Lorsque la poule atteint la fin de son cycle de ponte, vers 12 à 14 mois, elle est envoyée à l’abattage pour être transformée en bouillon ou en croquettes de poulet. « Ce n’est pas un poulet de qualité », indique Paulin Bouchard. Mais c’est une viande qui réconforte certains palais.



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