Les réseaux sociaux à surveiller cette année

Racheté en 2022 par Elon Musk, Twitter subit la concurrence de Mastodon.
Photo: Samuel Corum Agence France-Presse Racheté en 2022 par Elon Musk, Twitter subit la concurrence de Mastodon.

La dernière année n’a pas été de tout repos dans le monde des réseaux sociaux. Un impétueux milliardaire a racheté Twitter au profit d’une redéfinition controversée de la liberté d’expression, des utilisateurs ont délaissé Meta pour la première fois de son histoire, alors que TikTok a poursuivi sa croissance effrénée… On commence à peine à mesurer les conséquences de ces événements, qui vont certainement se répercuter sur 2023.

Le Devoir vous propose donc un tour d’horizon des tendances à surveiller cette année, notamment les plateformes comme Mastodon qui s’imposent de plus en plus comme des solutions de rechange à Twitter, les inquiétudes quant à la politisation de certains réseaux sociaux et la pression politique (encore) grandissante à l’égard du géant chinois TikTok.

Exode de Twitter, vraiment ?

Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, des personnalités publiques inquiètes de l’avenir de la plateforme — Whoopi Goldberg, Jim Carrey et Elton John pour ne nommer que celles-là — l’ont tout simplement quittée. Même son de cloche parmi quelques journalistes, politiciens et universitaires qui utilisaient le réseau social à des fins professionnelles.

« Si Twitter avait été racheté par Facebook ou Google, on aurait une certaine méfiance, mais on saurait à quoi s’en tenir, indique Nadia Seraiocco, doctorante et chargée de cours à l’UQAM, spécialiste des réseaux sociaux. Mais la plateforme a été rachetée par un milliardaire excentrique qui est porteur d’une idée sur la liberté d’expression qui ne convient pas à tout le monde, encore moins aux journalistes. »

Rappelons qu’Elon Musk a récemment suspendu des comptes de journalistes — avant de les rétablir à la suite d’un sondage envoyé à ses abonnés — et qu’il a interdit à tous ses utilisateurs de partager des liens menant vers des sites concurrents.

L’exode de la plateforme que plusieurs entrevoyaient ne s’est toutefois pas produit. Le sulfureux propriétaire a gazouillé en novembre que l’utilisation de Twitter atteignait des « sommets historiques » depuis son rachat. The Verge et le Financial Times ont ensuite confirmé que le nombre d’« utilisateurs monnayables quotidiens » a crû de plus de 20 %, et il dépasse les 250 millions au total.

Mastodon, libre et décentralisé

Malgré cette tendance à la hausse — on ne sait pas pour l’instant si elle sera pérenne —, de plus en plus de professionnels et d’utilisateurs s’identifiant à des sous-cultures numériques se tournent vers Mastodon et d’autres réseaux libres et décentralisés similaires, considérés comme des solutions de rechange à Twitter, en raison des inquiétudes évoquées précédemment.

« On observe un regain d’intérêt pour Mastodon, explique Mme Seraiocco. Ce réseau social ressemble à Twitter, mais il rassemble plutôt des petites communautés fédérées qui peuvent atteindre jusqu’à des centaines de milliers de membres. »

La plateforme allemande a bondi de plus d’un million d’utilisateurs en novembre, dépassant les deux millions d’utilisateurs actifs début décembre, avant de retomber à environ 1,8 million dans la première semaine de janvier. Hive Social, Cohost et CounterSocial ont également connu des augmentations de leur nombre d’utilisateurs.

« Mastodon ne se transformera pas en ce que vous détestez de Twitter, c’est-à-dire le fait qu’il puisse être vendu à un milliardaire controversé, qu’il puisse être fermé, faire faillite, etc., a déclaré Eugen Rochko, le fondateur de la plateforme, au Financial Times fin décembre. C’est la différence de paradigmes [entre les deux plateformes]. »

Littératie numérique et politisation

Mme Seraiocco précise que la « littératie numérique » devrait continuer de croître en 2023 et que ce phénomène pourrait contribuer à l’expansion des Mastodon de ce monde. « Ces réseaux-là sont souvent des réseaux ouverts, dits open source. Ils ont toujours été traditionnellement difficiles d’accès, difficiles à comprendre. Aujourd’hui, on dirait qu’on peut utiliser des applications plus efficaces avec l’entraide de plus en plus de monde. »

Une compréhension accrue du fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux pourrait aussi mener vers une plus grande insatisfaction quant aux plateformes traditionnelles comme Facebook et Twitter en 2023 à cause de la place grandissante qu’elles accordent aux contenus politiques trompeurs, toujours selon Mme Seraiocco.

« Il y a une prise de conscience, aujourd’hui, que les grands réseaux sociaux sont des entreprises d’affaires, dit-elle. Ces entreprises n’ont pas du tout à suivre les mêmes lignes éthiques que les médias traditionnels. […] Elles peuvent même décider de pencher en faveur de la droite ou de la gauche en mettant en avant certains contenus plus que d’autres. C’est d’ailleurs souvent de la droite, parce qu’on constate une émotivité plus grande par rapport aux messages de la droite, ce qui cristallise plus d’engagement. On réalise donc que, si on veut être informé correctement, il va peut-être falloir trouver d’autres manières. »

TikTok à la croisée des chemins ?

Mme Seraiocco observe également que cette prise de conscience devrait aller de pair avec des pressions politiques grandissantes à l’endroit de TikTok, accusé d’être un outil d’espionnage par la classe politique américaine.

« Nos gouvernements vont probablement faire face à d’importants efforts de lobbying de la part de Facebook et de Google afin que TikTok rende des comptes, étant donné que ces géants américains doivent distribuer des milliards aux médias et modérer davantage leurs contenus, ajoute-t-elle. Pour l’instant, TikTok fait ce qu’il veut. »

En mêlée de presse avant les fêtes, Justin Trudeau avait déclaré que « les gens sont très préoccupés par TikTok » et que les services de renseignement canadiens allaient surveiller de potentielles menaces de sécurité.

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