Un retour du balancier difficile, tant pour les propriétaires que pour les locataires

Il sera difficile d’acquérir une propriété en 2023 et le marché locatif pourrait se resserrer un peu partout au Québec.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir Il sera difficile d’acquérir une propriété en 2023 et le marché locatif pourrait se resserrer un peu partout au Québec.

Malgré le ralentissement en cours du marché immobilier, le manque appréhendé de nouvelles constructions et la hausse des taux d’intérêt continueront de complexifier le rêve des premiers acheteurs d’accéder à la propriété, tandis qu’un resserrement du marché locatif est à prévoir à Montréal comme ailleurs au Québec, selon plusieurs experts.

L’année qui s’achève a commencé en force dans le secteur immobilier, avec une hausse rapide des prix durant les premiers mois de l’année, moment où de nombreux premiers acheteurs ont profité de taux d’intérêt abaissés par la Banque du Canada dans le contexte pandémique pour réaliser leur rêve d’accéder à la propriété. « Ça a vraiment “boosté” le marché immobilier », dit le directeur du service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ), Charles Brant.

Ce marché immobilier bouillonnant a contribué à un phénomène de surenchère dans des secteurs de plus en plus éloignés des grands centres urbains, la pandémie ayant facilité le télétravail. En quelques mois, les prix ont ainsi augmenté de 20 % en moyenne au Québec, indique M. Brant.

L’inflation galopante a toutefois commencé à affecter sérieusement le portefeuille des citoyens, ce qui a incité la Banque du Canada à augmenter progressivement son taux d’intérêt directeur, qui a atteint en décembre 4,25 %, son plus haut taux depuis 2008. Le pouvoir d’achat des Québécois a alors diminué, ce qui a fait baisser la demande sur le marché immobilier, et par conséquent les prix de la revente. La hausse moyenne des prix sur une année s’est ainsi stabilisée à 13 % dans la province, selon les calculs de l’APCIQ.

« Un marché d’équilibre »

Quant à 2023, le président de Proprio Direct, Philippe Lecoq, entrevoit « une phase transitoire vers un marché d’équilibre » marqué « par un ralentissement de la surenchère plutôt que par un ralentissement des prix ». En d’autres mots, « les acheteurs ont un peu plus de temps pour magasiner » désormais, alors que le rythme de vente des propriétés continue de diminuer.

Or, si les potentiels acheteurs disposent maintenant de plus de temps pour magasiner une propriété, plusieurs n’auront pas pour autant la possibilité de réaliser une telle transaction l’an prochain, puisque les prix continueront d’être élevés sur le marché, tout comme les taux d’intérêt. Ainsi, « les premiers acheteurs vont se retrouver encore en 2023 dans une situation où c’est difficile d’acheter », prévient Charles Brant.

Quant au marché locatif, la demande « va être forte » l’an prochain, notamment en raison d’une reprise en force de l’immigration qui se fait déjà sentir. « C’est important pour la demande locative, parce que les gens, quand ils viennent d’arriver, ils ont davantage tendance à être locataires que propriétaires », souligne l’analyste Francis Cortellino, de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Ainsi, le taux d’inoccupation des logements locatifs pourrait se resserrer dans plusieurs grands centres urbains, comme Montréal, où il s’était à l’inverse détendu au début de la pandémie.

Le resserrement du marché locatif, combiné à des hausses des valeurs et des taxes foncières dans plusieurs villes du Québec, pourrait stimuler des hausses des loyers l’an prochain. Afin d’aider les locataires à faible revenu, le gouvernement Legault a promis en campagne électorale de livrer 11 700 logements abordables en quatre ans.

Or, au cours des sept dernières années, seulement 10 440 logements sociaux ou abordables ont été mis en chantier en vertu des programmes de la Société d’habitation du Québec, selon des données fournies par celle-ci au Devoir. La nouvelle ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, mise maintenant sur le secteur privé pour accélérer le rythme de construction de logements abordables au Québec.

Locataires plus longtemps

Francis Cortellino constate d’ailleurs que la courbe s’est inversée au cours des dernières années en ce qui a trait à l’évolution de la proportion de ménages québécois de moins de 35 ans qui sont locataires. De 2001 à 2011, ce pourcentage avait chuté à l’échelle du pays, de 65,9 à 58,3 %, les jeunes ménages étant de plus en plus nombreux à avoir les moyens d’accéder à la propriété. Mais cette tendance s’est inversée depuis, au point où, en 2021, le pourcentage de ménages de moins de 35 ans étant locataires a atteint le même niveau qu’en 2006.

« Maintenant, avec la hausse des prix qu’on a eue et la hausse de taux, ça vient ajouter un défi à l’accès à la propriété », notamment pour les jeunes familles, constate M. Cortellino. Une situation qui accentue la pression sur le marché locatif, tant dans les grandes villes qu’en périphérie de celles-ci, note-t-il.

À cela s’ajoutent des prévisions à la baisse quant au nombre de mises en chantier l’an prochain, dans un contexte de hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt. La construction locative, en particulier, devrait ralentir considérablement l’an prochain, « parce que plusieurs projets ne sont plus viables financièrement », explique le directeur du service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Paul Cardinal.

L’hécatombe dans les RPA

L’année 2022 a d’autre part été celle de l’hémorragie, qui se poursuit, dans les résidences privées pour aînés (RPA), qui sont tombées comme des mouches dans les derniers mois, souvent pour être acquises par des promoteurs qui veulent convertir ces bâtiments en complexes locatifs traditionnels.

Depuis janvier 2021, plus de 300 RPA ont fermé au Québec, selon les dernières données disponibles. Et une ou deux résidences mettent la clé sous la porte chaque semaine, s’inquiète le président du conseil d’administration du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Hugo Boucher.

Ce dernier souligne que, dans la grande majorité des cas, les propriétaires de RPA menacés de faillite sont incapables de trouver un acheteur souhaitant conserver la vocation de ces bâtiments. « Ce sont des gens qui sont au bout du rouleau financièrement et, donc, tout ce qui leur reste, c’est leur actif, qui peut avoir de la valeur pour un autre usage, notamment pour le résidentiel standard », indique M. Boucher.

D’autres RPA continuent de fonctionner, mais cessent d’accueillir des aînés en perte d’autonomie, « parce qu’offrir des soins, ça coûte très cher », soulève Hugo Boucher. Une situation qui a de quoi préoccuper à un moment où le réseau de la santé est déjà sous pression et où la population est vieillissante, prévient-il.

« Il y a une crise qui s’en vient dans le domaine de l’habitation pour les aînés qui nécessitent des soins », poursuit le président du RQRA, qui presse le gouvernement Legault d’offrir un soutien financier aux RPA pour garder celles-ci à flot. « Tout le monde serait gagnant. »

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