La vie du sapin de Noël

Le « roi des forêts » qui, par l’hiver, « garde sa parure », est chaque année promu monarque de nos demeures le soir du 24 décembre. Mais ce n’est qu’après des années de lente croissance qu’il acquiert ses lettres de noblesse dans nos salons où, habillé de guirlandes lumineuses et de boules étincelantes, il suscite l’émerveillement des petits comme des grands. Puis, une fois les Fêtes passées, il est dénudé et jeté sans ménagement sur le trottoir, où il sera récupéré et recyclé. Voici l’histoire de la vie discrète, puis royale, et finalement déchue du sapin de Noël.
À lire aussi
D’où vient la tradition du sapin de Noël?La plupart des sapins qui accèdent au statut d’arbre de Noël ont été cultivés en Estrie ou dans la région de Chaudière-Appalaches. Mais avant d’être plantés dans d’anciens pâturages de ces deux régions, les jeunes arbres ont d’abord éclos en pépinière à partir de graines que les producteurs ont récoltées à l’automne dans les cônes qui ont poussé durant l’été.
Les petits sapins âgés de un à deux ans sont ensuite mis en pleine terre, de préférence dans des « sols légèrement sablonneux et acides, humides, mais bien drainés », précise l’agronome David Wees, chargé de cours en horticulture au campus Macdonald de l’Université McGill.
« Les sapins cultivés poussent plus rapidement [que leurs congénères naturels] parce que, dans les premières années, on fait du désherbage pour éliminer la compétition, souligne M. Wees. Les sapins qui poussent naturellement en forêt sont pour leur part en compétition avec tous leurs voisins, et ils se développent souvent dans des zones partiellement ombragées, alors que dans les champs où on cultive des sapins, il n’y a que des sapins dont la forme conique ne jette pas d’ombre sur les voisins. »
De plus, « les sapins cultivés sont taillés régulièrement, chaque branche qui dépasse trop est coupée pour obtenir une forme parfaite de cône ».
Les sapins cultivés mettent de huit à dix ans pour atteindre la taille de 2 à 2,4 mètres, à laquelle les producteurs les coupent généralement pour Noël. « Mais s’il y a plus de canicules et de sécheresse durant l’été en raison des changements climatiques, ce stress pourrait ralentir la croissance des arbres, car le sapin a besoin d’une bonne quantité d’eau pour pousser à une vitesse normale », prévient M. Wees.
Principalement deux espèces sont cultivées au Québec pour les sapins de Noël : le sapin baumier et le sapin Fraser. Le sapin baumier, qui porte le nom scientifique d’Abies balsamea, est une espèce indigène du Québec et rustique, c’est-à-dire qu’elle résiste très bien aux froids extrêmes. On la retrouve dans la forêt boréale jusqu’à la baie James. Le sapin Fraser (Abies fraseri) est une espèce qui pousse naturellement aux États-Unis, surtout en altitude, au sommet de la chaîne de montagnes des Appalaches en Virginie, dans le Tennessee et en Caroline du Nord.
Mais comment reconnaît-on le sapin baumier du sapin Fraser, voire de l’épinette, ou épicéa, qui est aussi un conifère aux aiguilles étroites persistantes qui pourrait très bien faire office de sapin de Noël ?
Si on coupe les aiguilles des épinettes dans le sens de largeur, on verra qu’elles sont carrées tandis que celles de tous les sapins sont plates, ce qui explique le fait qu’on peut faire rouler les aiguilles de l’épinette entre le pouce et l’index alors qu’on ne le peut pas avec celles du sapin. De plus, les aiguilles de l’épinette sont pointues, piquantes et un peu rigides tandis que celles du sapin sont plus flexibles et arrondies à la pointe.
Le sapin Fraser se distingue du sapin baumier par la couleur bleutée du dessous de ses aiguilles. Mais surtout par le fait qu’il ne sent presque rien contrairement au sapin baumier. Il garde toutefois sa fraîcheur plus longtemps que le sapin baumier, d’où l’intérêt marqué des producteurs américains pour cette espèce.
Les sapins Fraser se conservent plus longtemps une fois coupés probablement parce que leurs aiguilles sont un peu plus cireuses, ce qui ralentit leur dessèchement, avance M. Wees.
La fragrance du sapin baumier
Le sapin baumier perd peut-être ses aiguilles plus tôt, mais son parfum unique embaume le salon et participe ainsi à la magie des Fêtes. La fragrance du sapin baumier résulte principalement de la présence de trois composés de la famille des terpènes : l’alpha-pinène, le bêta-pinène et l’acétate de bornyle.
L’alpha-pinène et son isomère, le bêta-pinène, sont des molécules très odorantes qui se volatilisent et diffusent dans l’air plus facilement à la température de 20 °C, soit celle de nos maisons, qu’à 0 °C, celle de l’extérieur, où elles demeurent sous forme liquide. L’alpha-pinène étant un des principaux constituants de l’essence de térébenthine qui est extraite de résineux, comme les sapins, son parfum est très semblable à celui de cette huile essentielle. Le bêta-pinène, quant à lui, exhale « une note fraîche et boisée ». L’acétate de bornyle émet pour sa part une odeur un peu camphrée. Outre ces trois substances, d’autres molécules odorantes contribuent aux effluves du sapin de Noël, notamment le limonène (odeur d’agrumes), le myrcène (odeur de thym, de houblon), le camphène (odeur de camphre), l’alpha-phellandrène (odeur de menthe) et le delta-octalacton (odeur de noix de coco).
L’intensité du parfum que dégagent les aiguilles d’un sapin dépend non seulement de la température ambiante, mais aussi du taux d’hydratation du sapin. À cet égard, M. Wees rappelle l’importance de maintenir la base du tronc de notre sapin de Noël dans l’eau. « Même un mois après avoir été coupé, l’arbre est encore vivant. Et un arbre en bonne santé peut absorber jusqu’à un litre d’eau par jour dans une maison. Un arbre qui boit moins est un signe qu’il est en moins bonne condition. Cette eau remplace celle qui est transpirée par les aiguilles. Aussi longtemps que les aiguilles sont présentes, l’eau va s’évaporer par le phénomène de la transpiration. Et plus la maison est chaude, plus le taux de transpiration sera élevé », explique M. Wees.
Une fois les Fêtes passées, ayant désormais perdu son aura, le sapin desséché est sorti de la maison et abandonné sur le trottoir comme un gueux en attendant que les employés de la Ville viennent le ramasser.
La Ville de Montréal collecte en effet les arbres de Noël, qu’elle envoie vers deux sites de recyclage du bois, où ils sont réduits en copeaux pour être recyclés ou utilisés pour la valorisation énergétique.
« La valorisation énergétique est l’utilisation de matières récupérées dans un procédé de production d’énergie par combustion. Ainsi, le bois broyé en copeaux est transporté vers des entreprises qui en font la combustion à des fins énergétiques. Cette matière est principalement utilisée comme biomasse pour la production d’énergie électrique ou de chaleur », précise par courriel la responsable des médias de la Ville de Montréal, Kim Nantais, avant de préciser que pour connaître les horaires de collecte des arbres de Noël, les citoyens peuvent consulter l’application Info-collectes sur le site Web de la Ville de Montréal.
Mais il est possible de se départir de son arbre de Noël naturel de façon encore plus écologique. « Si vous disposez de suffisamment d’espace sur votre terrain, laissez l’arbre des Fêtes servir d’abri pour les oiseaux. C’est l’option la plus respectueuse de l’environnement », suggère la Ville de Montréal.
C’est ainsi que se termine la vie fastueuse du sapin de Noël.