Noël entre les murs de la DPJ

L’intervenant Michel Brière est responsable du projet des paniers de Noël au centre pour jeunes contrevenants Cité-des-Prairies. Il décore, avec les jeunes, des boîtes qui contiendront les denrées destinées aux familles.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’intervenant Michel Brière est responsable du projet des paniers de Noël au centre pour jeunes contrevenants Cité-des-Prairies. Il décore, avec les jeunes, des boîtes qui contiendront les denrées destinées aux familles.

« J’ai eu des Noëls festifs dehors, alors je suis un peu nostalgique des fois, mais c’est correct. J’aurais le goût d’être avec ma famille, mais je peux les appeler. »

Samuel (nom fictif), dont l’identité est protégée par la Loi sur la protection de la jeunesse, ne peut pas sortir pour Noël. Comme plusieurs autres jeunes hébergés au centre de réadaptation pour garçons de la Cité-des-Prairies, un établissement de l’est de l’île de Montréal géré par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), Samuel est là sur ordre du tribunal pour purger une peine à la suite d’un délit. D’autres ont échoué ici après avoir fait le tour des autres ressources de la DPJ. « Ici, c’est le bout de la ligne », résume l’intervenant Michel Brière.

Samuel se souvient encore de son premier Noël à Cité-des-Prairies. Il avait trouvé ça difficile. Mais aujourd’hui, c’est devenu « normal » : il apprécie l’ambiance des Fêtes qui règne dans les unités — la complicité, l’énergie — et participe avec plaisir aux différentes activités organisées par les intervenants. « Je me suis inscrit à tout ! » lance-t-il avec anticipation.

Chaque année, depuis 28 ans, l’intervenant Michel Brière répond présent le jour de Noël et organise des activités pour permettre aux jeunes de se sentir spéciaux. « C’est un peu notre culpabilité d’adultes, on veut compenser pour les gars qui doivent rester ici », explique-t-il. Et c’est apprécié, assure-t-il. « Certains jeunes partent en sortie dans leur famille, mais nous rappellent après quelques jours parce qu’ils veulent revenir : les parents sont sur la rumba, il n’y a rien dans le frigo, ils préfèrent être ici. »

Cette année, Michel va transformer la cafétéria en salle d’arcades et de cinéma, avec du pop-corn et des hot-dogs. Il y aura aussi des tournois sportifs et autres concours d’habileté. Ceux qui ont un droit de sortie, mais qui ne sont pas chez leurs parents pour différentes raisons, pourront également aller jouer au laser tag et seront conviés à un brunch de Noël au restaurant. « Je trouve ça important de leur montrer que oui, c’est difficile d’être seul à Noël, mais qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ça », explique l’intervenant.

Projet paniers de Noël

Sur les murs fades sont exposés d’innombrables projets d’arts réalisés par les jeunes au fil des années. Des sapins de Noël et des décorations égaient l’ambiance. Il y a aussi un studio de musique, un gymnase double, une salle de musculation, une piscine, des ateliers de cuisine, de moto et de rembourrage, deux cafétérias, des bibliothèques, des salles de jeux vidéo et des salles de classe.

Mais dans la zone sécurisée, avec ses longs couloirs de béton, les minuscules chambres verrouillées en permanence, les caméras de surveillance, la cour intérieure clôturée et les boutons panique portés en permanence par le personnel, il est difficile d’oublier qu’on est ici dans une prison pour jeunes contrevenants. Plusieurs équipes de télévision et de cinéma sont d’ailleurs venues y tourner des scènes de pénitencier au fil des années. L’argent ainsi gagné sert à monter des projets pour agrémenter la vie des jeunes, explique Michel.

L’un des projets financés en partie par les tournages est celui des paniers de Noël, mis sur pied il y a trois ans, en réponse à la COVID. Comme les parents ne pouvaient plus venir au centre pour la fête de Noël, des jeunes ont suggéré de leur confectionner des paniers de Noël pour leur permettre de passer un beau temps des Fêtes malgré tout.

Je trouve ça important de leur montrer que oui, c’est difficile d’être seul à Noël, mais qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ça

 

Depuis, chaque année, les intervenants de Cité-des-Prairies concluent des partenariats avec différents organismes pour monter un véritable magasin dans l’auditorium. Ceux qui le souhaitent peuvent remplir leur panier et le personnaliser pour leur famille. Les familles qui peuvent se déplacer viennent le chercher directement au centre. Des équipes font la livraison à domicile pour les autres.

« Ç’a été un véritable wake-up call », explique Michel Brière, qui évoque la misère dans laquelle certaines familles vivent et qui peut expliquer, en partie, la présence de certains jeunes à Cité-des-Prairies. « C’est à la fois touchant et confrontant », affirme-t-il.

Il ne s’en cache pas, la relation entre les parents et la DPJ n’est pas toujours simple. « On n’est pas les meilleurs amis, résume Michel. Mais là, avec les paniers de Noël, ça permet d’avoir une relation différente. Ils sont contents de nous voir. »

Malaises et remerciements

« C’est féerique », lance Annie Bastien, directrice adjointe du programme garçons à la DPJ, en regardant la neige tomber en ce jour de distribution des paniers de Noël. Elle attrape une dinde emballée dans le camion et met la musique sur son téléphone pendant que le reste de l’équipe décharge les boîtes de denrées au son d’un classique de Mariah Carey.

Vêtus de couleurs festives, avec des lumières de Noël au cou et des bois de rennes sur la tête, ils vont sonner chez la mère d’un des jeunes hébergés à Cité-des-Prairies. La magie disparaît rapidement, lorsqu’ils mettent les pieds dans l’immeuble de logements, d’où émane une forte odeur de marijuana. Tout en haut des escaliers, la dame les attend dans le couloir. La porte brune de son appartement est fermée. « Laissez ça dans le couloir », lance-t-elle sans plus d’émotions, avant de les renvoyer avec un merci à peine audible. De toute évidence, elle n’a aucune envie que des fonctionnaires de la DPJ entrent chez elle. Un voisin vient s’enquérir de cette visite. À l’étage du dessous, une femme en camisole vient à la rencontre de l’équipe dans l’espoir d’obtenir une cigarette.

Ce n’est pas aussi froid chaque fois. Dans un autre immeuble de logements, une dame accueille l’équipe avec de chaleureux remerciements, qu’elle chuchote, car quelqu’un dort à l’intérieur de l’appartement. Dans une autre résidence, c’est le jeune lui-même, en sortie chez ses parents pour la fin de semaine, qui accueille fièrement l’équipe avec ses nombreux frères et soeurs, sous le regard hésitant de la mère.

Pour Samuel, comme pour plusieurs jeunes qui participent au projet des paniers de Noël, c’est une façon d’aider sa famille et de lui souhaiter un joyeux Noël. « Ma mère me dit que ça l’aide beaucoup, ça lui permet de faire plus de cadeaux à mes frères et soeurs. Je trouve ça bien. »

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