«La paix est notre plus beau cadeau»

Arrivée à Montréal au printemps, Larysa Tatarovat peut déjà tenir une conversation en français.
Photo: Marco Fortier Le Devoir Arrivée à Montréal au printemps, Larysa Tatarovat peut déjà tenir une conversation en français.

Des centaines d’Ukrainiens réfugiés au Québec se préparent à célébrer leur premier Noël depuis l’invasion de leur pays par la Russie. À moins d’une semaine du réveillon, une visite à la salle paroissiale de l’église ukrainienne Saint-Michel-Archange, rue D’Iberville, à Montréal, permet de constater les priorités des réfugiés ayant fui la guerre : trouver des vêtements chauds, un grille-pain, des casseroles, des jouets pour les enfants…

Les deux étages du centre communautaire regorgent de vêtements, d’articles de cuisine, de couvertures, de jouets, de shampooing, de savon… Un congélateur est rempli de poitrines de poulet congelées. Toutes ces provisions proviennent de dons faits à l’église ukrainienne. En ce samedi matin enneigé, des dizaines de personnes fraîchement arrivées d’Ukraine sont venues faire le plein en vue du temps des Fêtes.

« On va fêter la joie de vivre en sécurité. La paix est notre plus beau cadeau », résume Irena Ougryn, une jeune grand-mère arrivée la semaine dernière de Ternopil, ville de l’ouest de l’Ukraine.

Elle s’exprime en ukrainien. Khrystyna Dereyko, une bénévole venue donner un coup de main à l’église Saint-Michel-Archange, traduit ses propos pour Le Devoir. Les larmes coulent lorsqu’Irena raconte son soulagement de se retrouver à Montréal avec sa belle-fille et ses petits-enfants.

« On apprécie les bonheurs simples : on vit dans un logement chauffé. On a de l’électricité et de l’eau courante. Quand on entend une sirène, on n’a pas besoin de courir au sous-sol pour se mettre à l’abri des bombes », raconte-t-elle.

« J’ai eu une bonne impression en arrivant à Montréal. C’est calme. Le froid me rappelle chez nous. Les gens sont souriants, gentils, accueillants », ajoute Irena.

À Ternopil, cette dynamique grand-maman travaillait comme infirmière en salle d’opération dans une clinique de cancérologie. Sa priorité : apprendre le français au plus vite pour trouver un emploi dans le réseau de la santé. Que ce soit un poste d’infirmière ou de préposée aux bénéficiaires.

Apprendre le français

Quand on demande aux Ukrainiennes fraîchement débarquées à Montréal — en majorité des femmes, puisque les hommes d’âge adulte n’ont pas le droit de quitter le pays depuis le début de la guerre — quels sont leurs projets, elles répondent la même chose : « Apprendre le français. » Pour trouver du travail, pour se faire des amis, pour décoder leur nouveau pays.

La plupart ont déjà appris un mot : « Merci ». Merci pour l’accueil, pour la générosité, pour l’aide à se débrouiller dans ce nouveau chez-soi. « Pour nous, tout est différent par rapport à l’Ukraine. On repart à zéro. Mais on a la chance d’avoir beaucoup d’aide », dit Olena Oucheykh, originaire de Marioupol, située dans l’est de l’Ukraine.

Photo: Marco Fortier Le Devoir La salle paroissiale de l’église ukrainienne Saint-Michel-Archange est remplie de vêtements, de jouets et de denrées qui aident les nouveaux réfugiés ukrainiens à faire des provisions avant les fêtes.

Elle et son amie Nina Romanienko, de Donetsk, près de la frontière avec la Russie, sont presque voisines, dans le quartier Chomedey, à Laval. Elles s’entraident. Échangent les trucs pour trouver une école, une garderie. Elles sont toutes les deux mères de deux jeunes enfants. Nina et Olena sont venues à la salle paroissiale de l’église Saint-Michel-Archange pour trouver des cadeaux pour les enfants. Pour garnir leur cuisine. Pour se changer les idées, aussi.

« Je m’inquiète pour mon mari et pour mon fils restés là-bas. Ils vont comme ci, comme ça », raconte de son côté Larysa Tatarovat, une grand-mère venue faire du bénévolat pour aider ses compatriotes, en ce samedi matin.

Arrivée à Montréal au printemps, elle peut déjà tenir une conversation en français. Tranquillement. Un mot à la fois. Larysa a les yeux humides en évoquant la vie à Odessa, sa ville d’origine. « Pas de lumière. Pas de chauffage. L’hiver est difficile. »

Des gens traumatisés

Les gens arrivent traumatisés après avoir survécu à des mois de bombardements russes, explique Emilia Pivtorak, qui dirige l’église ukrainienne Saint-Michel-Archange avec son mari, le pasteur Yaroslav Pivtorak. Les réfugiés s’inquiètent pour leurs proches restés en Ukraine. Certains se sentent coupables de prendre une douche chaude et de manger à leur faim à Montréal.

« On doit organiser des événements informels pour faire parler les gens, pour libérer leurs émotions », dit-elle à notre interprète.

Pour nous, tout est différent par rapport à l’Ukraine. On repart à zéro. Mais on a la chance d’avoir beaucoup d’aide.

 

Emilia compte offrir, durant le temps des Fêtes, des dégustations de pierogis, ces raviolis farcis aux pommes de terre, à la viande ou au fromage qui réchauffent l’âme et le coeur. Ces distributions de produits de première nécessité sont rendues possibles grâce à la générosité de donateurs québécois, souligne Emilia Pivtorak.

Lors du déclenchement de la guerre par Poutine, en février, les dons amassés par l’église Saint-Michel-Archange étaient envoyés en Ukraine. Mais depuis quelques semaines, les dons vont aux centaines d’Ukrainiens qui arrivent au Québec après avoir tout laissé derrière eux, explique Emilia.

Une survivante

« C’est vraiment stressant de refaire sa vie dans un pays étranger. On doit tout réapprendre », explique Khrystyna Dereyko, arrivée de l’ouest de l’Ukraine, de Lviv, il y a sept ans. Cette mère de deux adolescents, qui parle un français impeccable, donne un coup de main à la paroisse Saint-Michel-Archange pour l’accueil des personnes réfugiées.

Khrystyna a même accueilli sa mère, Stefaniia, 74 ans, en mars dernier. « J’ai été déportée 10 ans en Sibérie avec ma famille au début des années 1950, raconte Stefaniia. On a survécu à cette épreuve, alors on va survivre à l’agression de la Russie. »

La grand-mère a hâte de fêter Noël le 25 décembre — et non le 7 janvier, le Noël orthodoxe, qu’elle associe à la Russie — avec sa fille, son gendre et ses deux petits-fils. D’ici là, Stefaniia fait des progrès dans ses cours de français, elle réussit à se rendre toute seule en autobus, à Laval. « J’ai besoin d’autonomie », dit-elle.

Khrystyna Berezanska, dans la jeune vingtaine, rêve aussi de progresser en français. Elle a mis une croix sur son calendrier le 9 janvier 2023, début de ses cours de francisation à Ville-Émard, dans le sud-ouest de Montréal, où elle habite avec son conjoint.

En attendant, Khrystyna n’a pas pris de risque : elle a ramassé un Multidictionnaire de la langue française qu’elle a dégoté dans la salle paroissiale de Saint-Michel-Archange. « La barrière de la langue est ce que je trouve le plus difficile ici. Je vais l’apprendre, le français », dit-elle par l’intermédiaire de notre interprète.

Éducatrice à la petite enfance dans son pays natal, la jeune femme veut améliorer son sort. Elle envisage des études en gestion. Un jour. Bientôt. Elle est optimiste. Dans un pays en paix, il est permis de rêver.

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