Le snowfarming, pour sauver le ski des changements climatiques   

Les neiges éternelles le sont de moins en moins, même dans les hauts sommets des Alpes où se ruent les adeptes de la glisse. Pour déjouer les changements climatiques, plusieurs stations d’Europe se tournent maintenant vers le « snowfarming », une technique qui vise à mettre sous cloche tout l’été la précieuse neige de la saison précédente.

Le diagnostic est sans appel : le couvert neigeux est appelé à diminuer de 30 % dans les Alpes d’ici la fin du siècle… si l’humanité parvient à limiter la hausse des températures à 2 degrés Celsius, selon une étude publiée dans Cryosphere. Le phénomène frappe aussi le Canada, où la superficie enneigée recule de 5 à 10 % par décennie depuis 40 ans.

Recycler la vieille neige

Plusieurs compétitions internationales de sport de glisse se déroulent déjà sur des couverts faits de neige artificielle, maintenant appelée neige de « culture », mais aussi sur de la neige « recyclée » des saisons précédentes.

Lors de la dernière Coupe du monde de ski de fond à Ruka, en Finlande, fin novembre, les fondeurs ont pu s’élancer sur des pistes enneigées dès octobre grâce à la neige conservée depuis l’hiver précédent. En 2008, à Davos, les meilleurs fondeurs du monde ont amorcé leurs entraînements sur une piste de 4 km, faite à partir de neige « conservée ». Cette année, Davos Klosters a d’ailleurs été l’une des premières stations à ouvrir ses pistes aux athlètes le 7 novembre. « Dank Snowfarming ! » a gazouillé la station sur Twitter.

Développée en Scandinavie, cette technique de conservation consiste à amasser près des pistes, en fin d’hiver, d’immenses monticules de neige dans des cavités naturelles recouverts d’une épaisse couche isolante de copeaux ou de sciure de bois. Ce manteau permet à la réserve de rester au froid, même durant l’été.

La neige durcie est ensuite recueillie l’automne suivant avec des pelleteuses, morcelée et épandue pour lancer la saison de ski dès que les nuits se rafraîchissent, même si la neige naturelle n’est pas encore au rendez-vous.

L’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches de Suisse (SLF) teste depuis 2008, à Davos, diverses techniques de conservation de la neige pour protéger l’avenir des stations suisses qui voient leurs activités touristiques de plus en plus bousculées par la hausse du mercure. Des monticules de milliers de mètres cubes de neige sont précieusement conservés l’été et, depuis, les procédés de protection de la « vieille neige » ont permis de limiter de 10 à 25 % la fonte pendant la belle saison, même durant les derniers étés caniculaires.

La France s’enneige

Les sommets français commencent aussi à s’y mettre, puisque les vallées sans glacier situées sous 2000 mètres sont toutes touchées par la diminution de l’enneigement naturel et la sécheresse. Le domaine skiable des Saisies en Savoie a ainsi stocké plus de 11 000 mètres cubes de neige l’été dernier pour aider à blanchir ses pentes à la fin de l’automne.

Dès le 5 novembre dernier, la petite commune savoyarde de Bessans, située à 1750 mètres d’altitude, a aussi réparti sur trois kilomètres de piste 10 790 mètres carrés de cet or blanc, entreposé tout l’été. « Ce n’est pas de la bonne neige fraîche qui vient de tomber, mais ce n’est pas du tout gênant, on s’adapte. Et puis, on est tellement heureux de pouvoir skier début novembre ! » expliquait à ce moment à l’AFP Jeanne Richard, membre de l’équipe française de biathlon.

En 2018, la Coupe du monde de ski alpin féminin, disputée à Courchevel, a bénéficié de 700 000 mètres cubes de « vieille » neige emmagasinée l’été précédent, pour s’assurer d’un meilleur couvert neigeux.

Adieu canons

Pourquoi conserver la neige, plutôt que d’actionner les canons ?

L’expérience des dernières années à la très huppée station de ski de Kitzbühel en Autriche démontre que recycler la neige est, dans certains cas, beaucoup moins coûteux et aussi plus écologique que de la produire en grande quantité. « Le snowfarming, c’est notre assurance vie », affirmait à Bloomberg, en 2018, Josef Burger, chef des opérations d’enneigement de la station. L’opération de conservation de la neige n’est pas prise à la légère, car des drones surveillent tout l’été l’état de la réserve, recouverte de plaques de mousses isolantes.

Dès avril, les drones permettent de localiser par GPS les endroits où subsistent les plus importants volumes de neige sur les pistes. Les chenillettes sont alors dépêchées sur place pour amasser et déplacer la neige vers un site de conservation où l’or blanc sera traité aux petits soins. Coûteux ?

Selon un rapport dressé par Josef Burger, il en coûte 30 000 euros pour protéger 28 000 mètres cubes de neige, soit trois fois moins que les 84 000 euros nécessaires pour produire l’équivalent en « neige de culture », fabriquée par canons à coups de millions de mètres cubes d’eau.

Ce petit tour de passe-passe est surtout très rentable pour cette station, qui a ainsi étendu la durée de sa saison de ski de 150 jours à plus 200 jours en quelques années, malgré les sursauts du climat. Pouvoir ouvrir la saison avant la période des Fêtes est devenu un élément clé pour s’attirer les mordus de la descente. Entre 2014 et 2017, le nombre de « passages » à Kitzbühel a fait un bond de 234 %, et le chiffre d’affaires lié aux abonnements a gonflé de près de 30 %.

Capteurs de neige

Au Canada et ailleurs en Amérique du Nord, on utilise des techniques de culture de neige complètement différentes, davantage destinées à maximiser les accumulations de neige, plutôt qu’à les conserver de saison en saison. C’est le cas de la station Sunshine Village Resort, l’une des trois situées dans le parc national de Banff, en Alberta, qui reçoit plus de 30 pieds de neige par année !

Peu affectés par la diminution du couvert neigeux, les hauts sommets de la station souffrent toutefois des forts vents qui les privent d’un épais manteau blanc. Autrefois résolu par les canons à neige, ce problème est maintenant géré par 20 à 30 kilomètres de clôtures pare-vent plantées au sommet à l’automne, qui font office de capteurs de neige. Les monticules neigeux formés par le vent le long des clôtures sont ensuite pris d’assaut par les chenillettes. La belle poudreuse tout juste récoltée est ensuite répartie sur les pistes.

On utilise depuis 2016 cette méthode « low-tech » qui permet d’obtenir à faible coût une neige légère et de meilleure qualité que la neige de culture, plus lourde, plus humide et forcément plus dure. « C’est assez unique ce que nous faisons ici, affirmait alors le responsable des opérations à Sunshine, Dave Riley à CBC. Il n’y a pas d’autres stations qui utilisent cette technique de façon aussi étendue. »

Mais depuis, d’autres ont emboîté le pas avec d’autres moyens, dont Mammoth Mountain en Californie, qui détecte, grâce à un satellite surnommé SNOWsat, les endroits les plus enneigés de son immense réseau de pistes. Équipés de tablettes électroniques, les opérateurs de chenillettes se chargent ensuite de localiser, grâce aux données GPS obtenues par satellite, ces mines d’or pour en répandre les blancs flocons sur les pistes destinées au ski de printemps.

Résultat : ce coup de main à Dame nature fait le bonheur des fervents de la glisse dont la saison à Mammoth s’est terminée l’an dernier sous le soleil… le 31 mai.

À voir en vidéo