Des sujets de société clivants

Affirmation : Le racisme systémique est une invention d’intellectuels. Il n’y a pas de racisme au Québec. »
Réplique : Bon nombre de personnes racisées et non racisées affirment le contraire, et à moins de faire partie de la première catégorie, il est très difficile de comprendre ce que ça représente.
À Montréal, les personnes racisées courent de quatre à cinq fois plus de risques d’être interpellées par la police que les personnes blanches. Au Canada, 30 % des détenus des prisons fédérales sont autochtones, alors que ce groupe ne représente que 5 % de la population totale. Ces statistiques démontrent que la discrimination ne se cantonne pas aux individus, mais frappe l’ensemble d’une population donnée. Toutefois, tout débat n’est pas bon à mener. Le professeur émérite de psychologie Richard Bourhis nous invite à recentrer la discussion sur ce qui unit plutôt que sur ce qui divise. « Parlons du “nous” collectif, tous membres de la même tribu : les humains. Dans le fond, on a tous des besoins semblables, avec le même désir de réussir dans sa vie. »
Aussi dans notre guide de survie des Fêtes:
Affirmation : Les dénonciations anonymes sont néfastes. Le tribunal populaire ne peut pas se substituer aux vrais tribunaux. »
Réplique : Plusieurs femmes ont perdu confiance dans le processus judiciaire et éprouvent le besoin de raconter publiquement leur histoire pour mobiliser la population.
Le pourcentage de fausses accusations criminelles est de 2 %, « et aucune raison ne permet de conclure à un plus fort taux en matière d’agressions sexuelles », assurent les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. Devant quelqu’un d’insensible, la carte de la « bienveillance » peut aider, avance Caterine Bourassa-Dansereau, professeure de communication interpersonnelle. « Valider et reconnaître l’expérience d’une victime, ce n’est pas condamner tous les hommes », précise-t-elle. Sinon, faire valoir son expérience personnelle éveille les sensibilités. « Dire qu’en tant que femme, on donne des exemples d’expériences qui sont les siennes. Ça peut permettre à quelqu’un qui ne vit pas ces expériences de prendre conscience d’une réalité qui n’est pas nécessairement la sienne. »
Affirmation : Il n’existe que des hommes et des femmes ; le reste tombe dans la maladie mentale »
Réplique : Les genres peuvent être fluides
« On est d’abord des humains », et insulter une personne, quel que soit le prétexte « fait mal », rappelle Estelle Cazelais, sexologue et directrice du volet Éducation de l’organisme Les 3 sex*. Ensuite, les cases « homme » et « femme » sont trop rigides pour enfermer l’ensemble d’une personnalité forcément complexe. Masculin et féminin se déclinent de plein de façons : le style vestimentaire, le maquillage, le non-verbal, la démarche, etc. Utiliser un pronom différent n’exige pas un grand effort et peut pourtant sécuriser une personne, ajoute Estelle Cazelais. « J’apprécie vraiment ça, d’avoir trouvé ça pour moi. [L’identité de genre], c’est un outil pour que les gens se sentent bien. »
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Ce texte fait partie de notre section Perpectives.
Affirmation : Les wokes sont en train de détruire notre civilisation. »
Réplique : Chaque génération bouscule l’ordre établi par celle qui l’a précédée. Il faut voir le changement comme une richesse.
Les Beatles des années 1960 choquaient leurs parents par leur audace. Les hippies des années 1970 ont bien tenté d’« annuler » la violence. Le progressisme de René Lévesque se compare aisément au wokisme. Autrement dit, les changements portés par la jeunesse provoquent une résistance chez les plus âgés à chaque époque. « Quand les idées ne sont pas les mêmes, ça nous permet d’avancer », souligne Caterine Bourassa-Dansereau. Si le débat dégénère et se cristallise autour de mots à l’emporte-pièce, mieux vaut cependant mettre de l’eau dans son vin, conseille-t-elle. « Il faut avoir un intérêt à écouter ce que les autres ont à dire. Une discussion, c’est fait pour entendre d’autres points de vue, et c’est correct de ne pas être d’accord. »
Affirmation : Avec son projet de loi C-21, le gouvernement canadien veut nous désarmer et nous empêcher de chasser avec des armes semi-automatiques. »
Réplique : Ottawa cherche à mieux encadrer l’utilisation de certaines armes non essentielles à la chasse.
C-21 vise à empêcher l’achat d’armes semi-automatiques, dotées d’un chargeur « détachable » de plus de cinq munitions et d’un mécanisme d’ignition précis. Une panoplie d’armes de chasse resteront légales. Celles qui pourraient devenir illégales n’offrent qu’un avantage marginal aux chasseurs, car après trois balles, le gibier a sûrement détalé. Ensuite, il est vrai que le gouvernement canadien joue de politique, car la littérature scientifique ne permet pas de conclure que cette loi réduira la violence. « On passe un peu à côté de la cible, explique le criminologue Étienne Blais. Ce ne sont pas ces armes-là qu’on voit dans les homicides. Dans les groupes criminels, on n’utilise pas les armes de chasse, mais souvent des pistolets obtenus illégalement. »
Affirmation : Nous empêcher de dire le mot en n, c’est de la censure »
Réplique : Il y a longtemps que le Québec a banni de son vocabulaire le mot en s servant à désigner les Autochtones. Il n’est pas difficile de faire la même chose pour les Noirs.
Bien sûr qu’on peut prononcer le titre du livre Je suis une maudite sauvagesse, d’An Antane Kapesh, la première Autochtone à avoir fait paraître des livres en français. Ça vaut pour n’importe quel autre livre. Ce n’est pas une excuse pour insister et vouloir prononcer à tout prix un mot profondément insultant. Autre contre-exemple : les Québécois s’insurgeraient (avec raison) si un anglophone osait dire « speak white » aujourd’hui. Pour comprendre la portée d’un mot, pourquoi ne pas inviter un ami d’une autre culture autour de la table ? « Les débats publics, c’est froid, c’est de la cognition, souligne Richard Bourhis. C’est loin de soi, mais on peut toujours se sentir menacé. Dans une relation interpersonnelle, on voit mieux l’humanité de l’autre. »