Hausse majeure des évictions «forcées» au Québec, selon le RCLALQ

Un rapport annuel intitulé Déloger pour s’enrichir fait état d’une hausse de 150 % des reprises de logement et des évictions « forcées » de locataires au Québec.
Marie-France Coallier Archives Le Devoir Un rapport annuel intitulé Déloger pour s’enrichir fait état d’une hausse de 150 % des reprises de logement et des évictions « forcées » de locataires au Québec.

Le nombre d’évictions et de reprises de logement « forcées » — mais pas nécessairement illégales — est en forte hausse dans la province, constate le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) dans un nouveau rapport. Une hausse que l’organisme attribue à la « spéculation immobilière », dont les effets sur les locataires s’étendent bien au-delà du territoire de l’île de Montréal.

Un rapport annuel baptisé Déloger pour s’enrichir fait état d’une hausse de 150 % des reprises de logement et des évictions « forcées » de locataires au Québec, pour un total de 3110 cas recensés entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022, comparativement à 1243 situations similaires recensées pendant la même période l’année précédente.

« Cette année, c’est une situation alarmante. Les chiffres sont les plus élevés au Québec depuis qu’on réalise cette compilation », a déclaré mardi le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, dans le cadre d’une conférence de presse virtuelle.

Ces données, détaillées dans un document de 18 pages, se basent sur des plaintes de locataires acheminées à des comités logement à l’échelle de la province. Celles-ci concernent tant des situations légales de reprise de logement et d’éviction que des cas frauduleux, par exemple lorsque des travaux majeurs sont utilisés comme prétexte pour expulser de façon permanente des locataires. La compilation de l’organisme comprend aussi un grand nombre de cas médiatisés d’éviction et de reprise de logement.

Spéculation immobilière

Sans en faire la preuve, le RCLALQ avance qu’une grande partie de ces évictions et reprises de logement sont « frauduleuses » ou « malveillantes ».

« Ce sont principalement des opérations spéculatives » visant à augmenter la valeur d’immeubles en évinçant leurs occupants, qui bien souvent paient des loyers en deçà de la moyenne du marché, a fait valoir M. Blanchard. Le directeur des affaires publiques de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante, conteste pour sa part « la méthodologie et la rigueur » de l’étude du RCLALQ. « Ils ne font pas de distinction entre les évictions qui sont légales et celles qui sont illégales », déplore-t-il.

2540
C’est le nombre de causes civiles introduites par des propriétaires concernant des reprises de logement, selon le rapport annuel 2021-2022 du Tribunal administratif du logement.

Trois locataires de Granby ont participé à l’événement virtuel mardi pour raconter les pressions qu’ils affirment subir de la part de leur propriétaire pour qu’ils quittent leur logement. Ils ont raconté avoir constaté que des logements qui ont ainsi été vidés dans leur immeuble ont vu leur loyer presque doubler, pour atteindre environ 1200 $ par mois.

De telles évictions ont pour effet d’entraîner un déplacement de locataires à l’extérieur de leur quartier, tandis que la hausse rapide des loyers contribue à l’appauvrissement de ceux-ci, constate le RCLALQ. C’est particulièrement le cas des locataires qui payaient un loyer abordable par rapport à la moyenne du marché avant de subir une éviction. Ils se retrouvent ensuite à devoir débourser plusieurs milliers de dollars de plus par année pour se loger, qu’ils demeurent à Mont­réal, à Québec ou encore à Granby, relève l’organisme.

Le RCLALQ constate d’ailleurs dans son rapport que, bien que le nombre d’évictions et de reprises de logement dénoncées par des locataires continue d’augmenter d’une année à l’autre à Montréal, la part relative de la métropole dans l’ensemble des plaintes recensées est en diminution. Elle est ainsi passée de 87 % en 2020 à 73 % en 2022. Pendant cette même période, le pourcentage des évictions et des reprises de logement recensées dans les régions autres que Montréal et Québec est passé de 3 % à 18 %. Une autre preuve, en somme, que la crise du logement continue de s’étendre à l’extérieur des grands centres de la province.

La publication de ce rapport survient quelques jours après celle du rapport annuel 2021-2022 du Tribunal administratif du logement (TAL), qui a fait état d’une augmentation de 29 % en un an des causes civiles introduites par des propriétaires concernant des reprises de logement. Le TAL en a recensé 2540 en un an, comparativement à 1970 dans son rapport précédent. Les demandes d’autorisation pour des travaux majeurs sont aussi en augmentation depuis le ralentissement d’abord noté en 2020, dans le contexte pandémique.

Changements législatifs

Devant ces données qu’il juge préoccupantes, le RCLALQ formule une série de demandes à l’endroit de Québec et de la nouvelle ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, que l’organisme aimerait bien rencontrer prochainement.

Ainsi, le RCLALQ demande que « tout projet de reprise, d’éviction ou de travaux majeurs soit soumis au contrôle du Tribunal administratif du logement » dans les secteurs où le taux d’inoccupation des logements locatifs a chuté sous le seuil d’équilibre de 3 %. C’est le cas de nombreuses villes autres que Montréal, mais aussi de plusieurs quartiers de la métropole.

« On veut littéralement enlever tous les outils qui vont nous permettre de remettre en bon état un parc de logements locatifs qui est en mauvais état. Ça nous apparaît problématique », réplique Marc-André Plante, de la CORPIQ, qui rappelle qu’environ 60 % de tous les logements au Québec ont été construits avant 1980. Or, des propriétaires n’ont parfois d’autre choix que de vider des logements pour y réaliser des rénovations majeures, rappelle-t-il.

Le RCLALQ réclame aussi que le TAL impose des dommages punitifs « fortement dissuasifs » qui seraient « rapidement versés aux locataires » lorsque ceux-ci sont victimes de pratiques frauduleuses visant à les évincer. L’organisme estime que les dédommagements actuellement accordés dans de telles situations portées devant le TAL ne sont souvent pas assez élevés pour empêcher des propriétaires de continuer d’avoir recours, notamment, à du « harcèlement » pour se débarrasser de leurs locataires.

« Si les dommages-intérêts étaient vraiment dissuasifs, on peut penser que ça contribuerait à diminuer le recours à ces pratiques », estime Martin Blanchard.

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