Avoir vingt ans et se trouver un bon logement à un prix raisonnable

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Henri Vilandre et Gabrielle Longin ont profité de la possibilité offerte par le télétravail pour quitter Ottawa afin d’emménager à Montréal.

Avoir la vingtaine, c’est à la fois grisant et stressant. On boucle ses études, on entame sa carrière, on se cherche un toit et on songe à l’avenir… Mais ce n’est pas facile quand le coût de la vie explose, que le prix des maisons s’envole et que le climat dégringole, comme en ce moment. Mais était-ce plus facile d’avoir le même âge au début des années 1980 ? Troisième texte d’une série de cinq.

C’est peut-être le plus gros défi économique pour ceux qui ont vingt ans aujourd’hui. Ce n’était pas facile non plus au début des années 1980, avec la crise économique et les taux d’intérêt à des niveaux vertigineux, mais le projet de s’acheter une maison, ou même seulement de trouver un bon logement à un prix raisonnable apparaît de plus en plus difficilement accessible.

D’abord étudiants à l’Université d’Ottawa, puis jeunes fonctionnaires dans la capitale fédérale, Henri Vilandre, 27 ans, et Gabrielle Longin, 25 ans, ont profité de la possibilité offerte par le télétravail pour déménager à Montréal, car ils se souvenaient que les prix des logements y étaient plus abordables. Le souhait était de se trouver quelque chose de bien, mais de pas trop cher afin de pouvoir économiser en vue de l’achat d’une maison.

« Ç’a été un dur réveil, raconte Henri, qui avait déjà habité dans la métropole il y a quelques années de cela. Les prix ont beaucoup augmenté. »

Disposant déjà tous les deux d’un emploi stable au salaire « très décent », le jeune couple a eu le sentiment d’être livré à un marché du logement où ceux qui ont eu la chance d’acquérir des actifs immobiliers pendant qu’il en était encore temps se permettent d’augmenter leurs loyers quand et comme bon leur semble. Avec, d’un côté, le loyer et l’inflation qui augmentent plus vite que les salaires et, de l’autre, le prix des maisons et les taux d’intérêt qui grimpent encore plus vite, « on a beau économiser, la cible à atteindre monte toujours plus haut, s’alarme Henri. Ça devient démoralisant. On se demande si on finira par y arriver ».

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Henri Vilandre, 27 ans, et Gabrielle Longin, 23 ans, ont profité de la possibilité offerte par le télétravail pour déménager à Montréal, car ils se souvenaient que les prix des logements y étaient plus abordables.

En outre, le couple ne cherchait pas seulement un toit à Montréal, explique Gabrielle. Il voulait aussi un milieu de vie avec du transport en commun, des pistes cyclables, des services et des écoles à distance de marche, des parcs et une vie culturelle. « On a une dent particulière contre les villes pensées seulement pour les voitures. Ce n’est pas le contexte dans lequel j’ai envie d’élever une famille », dit la jeune femme.

Une abordabilité au plancher

 

La dernière fois que le niveau d’abordabilité du logement avait été aussi bas au Québec, comme au Canada, c’était au début des années 1980 quand les paiements hypothécaires mensuels pour une maison montréalaise moyenne équivalaient à 40 % du revenu médian des ménages, comparativement à 49 % aujourd’hui, rapportaient récemment dans une brève analyse les économistes Alexandra Ducharme et Kyle Dahms de la Banque Nationale.

Il faut dire qu’il y a 40 ans, les taux d’intérêt étaient de quatre fois supérieurs à aujourd’hui. À l’automne 1982, un taux d’intérêt fixe pour un terme de 5 ans oscillait autour de 18 %. Cet automne, ce taux était d’environ 4,5 %.

Toutefois, le prix d’une propriété est loin d’être comparable d’une époque à l’autre. Aujourd’hui, le prix d’un logement médian s’élève à 545 788 $ à Montréal, l’équivalent de sept fois et demie le revenu annuel des ménages. En 1982, son prix s’élevait à 147 331 $ (en dollars constants de 2022), soit seulement un peu plus de deux fois le revenu annuel médian des ménages.

Autre fait à noter, quand on compare les deux périodes, le taux de propriétaires au Québec est aujourd’hui plus élevé qu’il l’était au début des années 1980, même si le prix des maisons a augmenté.

Toutefois, la hausse fulgurante des prix de l’immobilier a récemment porté un coup à l’accès à la propriété. Lors du dernier recensement de 2021, le taux de propriétaires au Québec était de 59,9 %, en baisse par rapport au recensement de 2016, puisque ce taux était de 61,3 %. Le taux de propriétaires n’était pas redescendu sous la barre des 60 % depuis 2001.

Des taux d’intérêt au plafond

« Dans les années 1980, les taux d’intérêt étaient extrêmement intimidants », se souvient Mireille Bonin, qui a acheté sa première propriété avec sa soeur en 1981, alors qu’elle avait 28 ans et étudiait à Montréal pour obtenir son barreau. « Par contre, les prix de vente des maisons étaient extrêmement intéressants, parce que personne ne voulait acheter », ajoute-t-elle.

Les deux soeurs ont alors mis la main sur un duplex du quartier Ahuntsic à Montréal, acheté à environ 50 000 $ à l’époque (à peu près 170 000 $ en dollars constants de 2022).

« Mais c’est vrai que c’était épeurant, souligne Mireille. Le monde paniquait tellement que certains pensaient que les taux d’intérêt se rendraient à 30 %. Alors, on a pris tout un risque, mais, finalement, on a bien fait, parce que c’est le meilleur deal qu’on ait fait, ma soeur et moi. »

Un bon deal, considère-t-elle, parce que les taux ont rapidement diminué et que leur propriété s’est revendue plus du triple du prix cinq ans plus tard.

Photo: Photo fournie

Mireille Bonin dans les années 1980.

« Mais nos enfants n’ont pas la même chance que moi. Pas du tout », estime aujourd’hui Mireille, inquiète pour ses deux fils, âgés de 28 et de 35 ans, l’un artiste et l’autre designer graphique. « On est obligés d’aider nos enfants parce qu’ils ne seraient pas capables d’acheter tout seuls. Ça me fait beaucoup de peine pour eux », déplore-t-elle. Pour le moment, ses enfants vivent dans le quadruplex qu’elle et son conjoint ont acheté dans le Vieux-Limoulou à Québec, il y a une vingtaine d’années, quand les prix étaient « encore raisonnables dans le quartier ».

Si Mireille s’estime chanceuse d’avoir pu s’acheter une propriété dans les années 1980 grâce à ses économies quand elle était encore aux études, ce n’est pas le cas de tous les vingtenaires de l’époque.

Le fait que le prix des maisons était relativement bas n’avait aucune sorte d’importance aux yeux de Denys Lamontagne en 1982, lorsqu’il avait 25 ans et un bac en éducation physique en poche. C’était la crise économique. Sa seule priorité était de trouver un emploi, pas d’acheter une maison. « C’était hors de portée. On n’avait pas d’argent. Je n’avais même pas droit à une carte de crédit. Mais si on acceptait de vivre simplement, il y avait des loyers pas chers. »

À suivre, dans le quatrième volet de notre série : entre gagne-pain et carrière.
 


Correction: Cet article a été modifié pour indiquer que Gabrielle Longin est âgée de 25 ans, et non 23 ans.

 



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