Les mesures pour lutter contre la discrimination raciale sont insuffisantes, selon des cols bleus de Montréal-Nord

En avril 2021, une enquête réalisée par Angelo Soares, professeur à l’UQAM — à la demande du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal — avait relevé l’existence de racisme systémique dans le milieu de travail des cols bleus de Montréal-Nord.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne En avril 2021, une enquête réalisée par Angelo Soares, professeur à l’UQAM — à la demande du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal — avait relevé l’existence de racisme systémique dans le milieu de travail des cols bleus de Montréal-Nord.

Un an et demi après le dépôt de deux rapports d’experts faisant état de discrimination à l’endroit de cols bleus issus de la minorité dans l’arrondissement de Montréal-Nord, plusieurs syndiqués estiment que les progrès sont trop lents à venir. Des actes de harcèlement se poursuivraient, selon des délégués syndicaux locaux, malgré les comités mis en place par le syndicat et l’employeur ainsi que les formations offertes pour prévenir le racisme et la discrimination en milieu de travail.

En avril 2021, une enquête réalisée par Angelo Soares, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM — à la demande du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal — avait relevé l’existence de racisme systémique dans le milieu de travail des cols bleus de Montréal-Nord. Il soulignait notamment que les cols bleus issus des minorités n’avaient pas été traités équitablement et qu’ils avaient été désavantagés dans les programmes de formation-évaluation pour les fonctions de chauffeurs de fardiers. Ces cols bleus issus de la diversité avaient échoué à cette formation dans une proportion de 75 %, contre 25 % pour les employés blancs. Selon le chercheur, les préjugés des évaluateurs n’étaient pas étrangers à ces résultats.

Avant, c’était beaucoup plus direct. Maintenant, c’est plus la culture [qui reste]. L’arrondissement a créé beaucoup de comités, mais ils ne mettent rien en place pour que la situation arrête. Beaucoup de blabla, mais peu d’action.

 

Ce rapport s’ajoutait à celui commandé par la Ville de Montréal à Tania Saba, professeure de relations industrielles à l’Université de Montréal, dont les conclusions présentaient des similitudes avec celles de M. Soares.

Des comités

Au dire des délégués syndicaux locaux, plusieurs gestes ont été faits par la Ville depuis ces rapports, mais ils sont encore bien insuffisants, et les recommandations des experts tardent à se concrétiser. Les délégués locaux jugent aussi que le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal n’est pas assez proactif dans ce dossier.

Délégué syndical, Patrick Roy soutient que des actes discriminatoires et de harcèlement se poursuivent. « Avant, c’était beaucoup plus direct. Maintenant, c’est plus la culture [qui reste]. L’arrondissement a créé beaucoup de comités, mais ils ne mettent rien en place pour que la situation arrête. Beaucoup de blabla, mais peu d’action », dit-il. Dans certains cas, il s’agit de propos dénigrants tenus par un collègue, mais M. Roy évoque aussi des allégations de favoritisme par des gestionnaires.

Les griefs s’accumulent

Au fil des mois, plusieurs griefs ont été déposés, dont trois depuis septembre, et des plaintes ont aussi été faites auprès du Tribunal administratif du travail. Une trentaine d’employés ont par ailleurs déposé une plainte pour défaut de représentation à l’endroit du syndicat, indique M. Roy.

Gino Clyford Luberisse, aussi délégué syndical local, est d’avis que l’employeur n’a jamais réellement reconnu les torts causés à certains employés, ce qui serait nécessaire selon lui pour amorcer un processus de réconciliation. « Tous ceux qui travaillent ont droit à une dignité. […] On demande à l’employeur que, s’il croit à ses valeurs, il agisse en conformité. »

Les employés discriminés demandent réparation, mais ce ne sont pas tant les compensations financières qui importent aux syndiqués que la culture qu’il faut changer et le processus de réconciliation qui est souhaité, soutient M. Luberisse. « S’il y a un sentiment de regret sincère d’une faute commise, ça permettrait de franchir des étapes pour qu’il puisse y avoir une entente sur la réconciliation », dit-il.

Une motion d’appui

Jeudi dernier, M. Luberisse a réussi à faire adopter par le conseil syndical du Syndicat des cols bleus une motion d’appui à la demande de réparation des travailleurs à Montréal-Nord ayant été victimes de racisme systémique. Il a tenté de la faire adopter par l’assemblée syndicale qui s’est tenue samedi, mais faute de quorum, cette motion n’a pu être entérinée. Ce n’est que partie remise, croit Patrick Roy.

Selon Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), qui accompagne les syndiqués dans leurs démarches, cette motion est importante, car elle permettra d’appuyer les revendications principales des cols bleus discriminés. « Il aidera à surmonter l’impasse dans les discussions patronales-syndicales relatives à la réparation et à la création d’un milieu de travail sain, sécuritaire et équitable », avance M. Niemi.

De son côté, le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal affirme avoir pris au sérieux les recommandations qui lui étaient adressées dans le rapport Soares. En collaboration avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, des séances de sensibilisation aux différentes formes de discrimination en milieu de travail ont été offertes aux délégués syndicaux en 2022 et d’autres auront lieu au début de 2023, précise Ronald Boisrond, du service des communications du SCFP dans un courriel. « Le syndicat compte mettre en place toutes les recommandations qui le visaient dans le rapport Soares », soutient-il. « En ce qui concerne des mesures de réparation pour les membres qui ont été lésés, des griefs ont été déposés, et ils seront entendus par un arbitre. »

Changer une culture

 

La directrice de l’arrondissement de Montréal-Nord, Tonia Di Guglielmo, reconnaît que la lutte contre les discriminations est un travail de longue haleine et que faire évoluer une culture prend du temps. Le conseil d’arrondissement a adopté, le 5 décembre dernier, une nouvelle politique en équité, diversité et inclusion (EDI) afin d’encadrer et de préserver « un climat de travail sain, sécuritaire et exempt de toute forme de harcèlement ». « C’est un premier morceau. De ça va découler un plan d’action [au printemps prochain] pour des mesures concrètes », dit-elle.

Un comité destiné au suivi des rapports d’experts et réunissant des représentants syndicaux et ceux de l’employeur a été mis sur pied, de même qu’un comité regroupant toutes les catégories d’employés pour travailler sur la politique en EDI et le futur plan d’action. Le travail s’ajoute à celui sur les relations interculturelles. « On va dans la bonne direction », estime Mme Di Guglielmo.

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