ChatGPT, ou l’IA qui fait peur
À peine mise en ligne mercredi dernier, la nouvelle intelligence artificielle ChatGPT dérange déjà. Beaucoup. Sa prétention est de produire, en réponse à une question très précise, des textes touffus et détaillés rivalisant dans leur forme avec des essais de niveau postsecondaire. Est-ce la fin des travaux de fin de session ?
Qu’est-ce que ChatGPT ? Posons-lui la question directement. « ChatGPT est une application d’intelligence artificielle qui vous permet de discuter avec un robot de manière naturelle », répond l’IA. Il s’agit d’un modèle de traitement du langage créé par la firme de recherche OpenAI et qui utilise la technologie de compréhension du langage humain la plus récente pour comprendre le sens des mots et des phrases et générer des réponses en fonction du contexte.
Son champ d’expertise ? Le Web, dans la plupart de ses langues. L’IA peut rédiger de courts essais, produire une lettre de motivation sur mesure qui séduira à tout coup les futurs patrons et résoudre des équations mathématiques relativement simples. On a vu des exemples de plugiciels pour le gestionnaire de site Web Wordpress programmés de toutes pièces par ChatGPT. Il suffit de demander.
C’est un potentiel qui inquiète. Avec les programmeurs, les enseignants ont réagi vivement à l’arrivée de ChatGPT. Le professeur de l’Institut des technologies éducatives de la London School of Economics and Political Science Mike Sharples avertissait avant l’arrivée de ChatGPT de l’impact de ces technologies sur l’école : « Les étudiants vont utiliser l’IA pour rédiger leurs travaux. Les enseignants vont utiliser l’IA pour les corriger. Personne n’apprend, personne ne gagne. S’il y a un temps pour repenser ce modèle, c’est maintenant. »
Et pas seulement le modèle scolaire, mais tous ceux que cette technologie risque d’influencer, ajoute l’expert montréalais en IA et créateur de l’application Waverly, Philippe Beaudoin. « On ne peut pas remettre le génie dans sa lampe. Encadrer l’IA, c’est comme dire qu’on va encadrer les mathématiques. Ça n’a aucun sens. Au contraire, il faut donner accès pour que ça ne termine pas uniquement dans les mains de quelques géants technologiques. »
Trompeuse véracité
ChatGPT est conçu pour être facile à utiliser et accessible à tous. Vous pouvez discuter avec l’IA sur n’importe quel sujet, et elle essaiera de vous répondre de manière cohérente et naturelle. Vous pouvez également lui poser des questions sur des sujets spécifiques, et elle essaiera de vous fournir des réponses précises et détaillées. L’outil est en ligne, accessible gratuitement, moyennant une inscription auprès d’OpenAI.
À la question « qui est René Lévesque ? », ChatGPT répond en moins de dix secondes : « René Lévesque était un homme politique québécois, connu pour avoir fondé et dirigé le Parti québécois et pour avoir été premier ministre du Québec de 1976 à 1985. Il était un défenseur ardent de l’indépendance du Québec et a joué un rôle central dans la mise en place du référendum sur l’indépendance du Québec en 1980. Lévesque est décédé en 1987. »
À savoir si Jean-Jacques Rousseau croyait à la séparation des pouvoirs au sein de l’État, ChatGPT est encore plus affirmatif. « Oui, Jean-Jacques Rousseau croyait à la séparation des pouvoirs. Dans son ouvrage Du contrat social, Rousseau défend l’idée selon laquelle la séparation des pouvoirs est essentielle pour éviter l’abus de pouvoir et pour garantir la liberté et l’égalité de tous les citoyens. Selon lui, les différents pouvoirs de l’État — législatif, exécutif et judiciaire — devraient être séparés et indépendants les uns des autres, afin de s’assurer que personne ne puisse accaparer tout le pouvoir et de préserver les droits de chaque citoyen. »
C’est simple, direct, efficace. C’est plus que la note de passage de n’importe quel cours de 4e secondaire. Mais ça peut être complètement à côté de la plaque. Car ChatGPT a ses limites. Demandons à ChatGPT si Hobbes croyait lui aussi à la séparation des pouvoirs : « Oui, Thomas Hobbes croyait dans le concept de séparation des pouvoirs. Dans son livre Leviathan, il défend un gouvernement central fort, mais il affirmait aussi qu’un seul dirigeant ne devrait pas contrôler tous les aspects de l’État. »
Or, c’est faux. En matière de philosophie politique, Rousseau est généralement opposé à Hobbes, qui a vécu un siècle plus tôt, car ce dernier était en réalité adepte de l’absolutisme. Le système politique idéal pour lui est un État dirigé par un leader unique.
Repenser l’école… et plus
C’est un problème. Car l’apparente véracité des propos de ChatGPT risque de leurrer plus d’un étudiant un peu paresseux ou malicieux (ou les deux) du secondaire, du cégep ou même de l’université. En informatique, en tout cas, ça inquiète beaucoup. Le populaire forum pour programmeurs Stack Overflow a décidé de le bannir de ses discussions.
« Le problème principal est que même si ses réponses ont de fortes chances d’être erronées, elles ont généralement l’air d’être correctes. Elles sont aussi très faciles à produire par des gens qui n’ont ni l’expertise ni le désir de vérifier si la réponse fournie est factuelle. »
Les étudiants vont utiliser l’IA pour rédiger leurs travaux. Les enseignants vont utiliser l’IA pour les corriger. Personne n’apprend, personne ne gagne. S’il y a un temps pour repenser ce modèle, c’est maintenant.
La crainte est identique du côté de l’enseignement. Et rien n’y peut. Le développement de ces applications comme GPT-3 et ChatGPT va en s’accélérant, et tout le monde peine à suivre. DALL-E, du côté de la production d’images numériques, est un autre exemple.
« Il faut se rendre compte qu’on n’a aucune idée encore de ce qui s’en vient, constate Philippe Beaudoin. Il faut trouver le positif. Est-ce qu’on pourra par exemple créer des plans d’étude sur mesure ? »
Sans doute que des versions spécialisées d’un outil comme ChatGPT rendront plus performants des domaines précis d’activité, conclut Philippe Beaudoin. En fait, la solution quant au manque d’encadrement se trouve peut-être dans la technologie elle-même : il suffit probablement de demander à ChatGPT…