Signaux d’alarme en itinérance à cause de l’hiver

La région de Montréal, tout comme celles de l’Outaouais, de Laval, de Saint-Hyacinthe et de Saguenay, est particulièrement dépassée par les besoins sur le terrain.
Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir La région de Montréal, tout comme celles de l’Outaouais, de Laval, de Saint-Hyacinthe et de Saguenay, est particulièrement dépassée par les besoins sur le terrain.

Les organismes qui viennent en aide aux itinérants craignent le pire avec les ressources qui débordent et la saison froide qui s’installe au Québec. Ils pressent le gouvernement d’agir d’ici au 15 décembre dans cinq régions où la situation est particulièrement critique.

« On a peur qu’il y ait des gens qui meurent dans la rue. » Nick Paré est coordonnateur du Collectif régional de lutte à l’itinérance en Outaouais (CRIO), l’un des endroits où la situation en itinérance est la plus critique au Québec. Faute de lits en nombre suffisant au Gîte Ami, « plus de cinquante personnes » dorment autour de l’immeuble dans le secteur Hull, explique-t-il. « Les organismes disent qu’ils n’ont jamais vu autant de tentes devant le Gîte et dans le boisé autour. »

À défaut d’entrer au refuge, les sans-logis peuvent certes aller se réchauffer à la halte-chaleur dans l’ancien aréna Robert-Guertin. Ce type de ressource a été conçu pour permettre aux gens de se réchauffer, se reposer, prendre un café avant de repartir. Or, il n’est pas rare que des personnes en situation d’itinérance y dorment par terre. Et encore, là aussi, l’espace manque.

« Avant 2018, le Gîte Ami pouvait combler la demande en itinérance en Outaouais, explique M. Paré. Maintenant, ils ne sont juste plus capables. C’est rendu que même une halte-chaleur à 60 places n’est plus capable de fournir. »

La situation « est critique » en Outaouais, écrit le Réseau Solidarité Itinérance du Québec (RSIQ) dans un document transmis le 2 décembre au ministère de la Santé et des Services sociaux. En plus de l’Outaouais, quatre régions sont particulièrement dépassées par les besoins : les environs de Saint-Hyacinthe, Laval, Saguenay et Montréal.

Mardi, la députée Manon Massé a, elle aussi, interpellé le gouvernement à ce sujet. « On n’a pas de portrait de la situation du déploiement des ressources en matière d’hébergement d’urgence hivernal », a-t-elle dénoncé. « Il faut que [le ministre Lionel Carmant, responsable des services sociaux] nous fournisse dès maintenant et de façon transparente le portrait de la situation, puis pas juste pour Montréal, puis Québec. Allez voir les maires de Drummondville, de Sainte-Agathe, de Chicoutimi. »

À qui la responsabilité ?

Au cabinet du ministre Carmant, on rétorque que le gouvernement caquiste a ajouté déjà beaucoup de ressources pour la lutte contre l’itinérance. « Maintenant, il y a des lits 24/7 à l’année longue », a répondu son attachée de presse. « Juste à Montréal, c’est plus de 1600 lits, alors que nous étions à environ 900 avant la pandémie. »

« Nous allons répondre présents au fur et à mesure que des besoins apparaissent », poursuit l’attachée de presse du ministre.

Le gouvernement veut en finir avec les « cycles » d’ouverture et de fermeture de lits en fonction des urgences. Une priorité qui se trouvait au coeur du Plan d’action interministériel en itinérance (2021-2026) lancé à l’automne 2021, avec près de 280 millions de dollars d’investissements.

À l’époque, les organismes d’aide en itinérance avaient salué le plan. Mais un an plus tard, ils constatent que tout est à faire. « Dans le plan d’action, les villes n’ont aucun rôle et aucune responsabilité », observe le directeur du RSIQ, Boromir Vallée Dore. « Comment ça se fait que les villes ne se sont pas mouillées dans ce plan d’action là ? » Travailleuse de rue à Saguenay, Yany Charbonneau raconte que les services débordent dans le secteur Chicoutimi. « On a des personnes qui dorment dans la rue. Comme les services débordent, on manque de solutions pour elles, et on ne peut pas se tourner vers le parc de logements, parce qu’il n’y en a pas. On se retrouve les mains liées. »

À Saguenay, il n’y a pas non plus de halte-chaleur, dit-elle, mais une cellule de crise a été créée pour débloquer de nouveaux services.

Du côté de Saint-Hyacinthe, la ville et le réseau de la santé « exercent une pression sur les groupes communautaires » pour qu’ils déploient des mesures hivernales, note le RSIQ. Or, les organismes manquent de personnel, et aucune enveloppe financière pour l’hiver n’est prévue.

À Laval aussi, la ville « semble compter sur les organismes communautaires » pour prendre en charge des haltes-chaleur, mais là encore, « il n’y a pas de financement annoncé ».

Enfin, à Montréal, « nous sommes au début de l’hiver, et les ressources débordent déjà », poursuit le RSIQ dans le document qu’il a transmis au ministère.

Un enjeu généralisé

 

Si la situation est pire dans ces cinq régions, le problème est répandu à la grandeur du Québec. De Trois-Rivières à Sherbrooke, en passant par Roberval et Drummondville, des municipalités peu habituées à composer avec l’itinérance ont dû créer des cellules de crise ou encore des haltes-chaleur. À Québec, par exemple, une nouvelle halte-chaleur, la Cheminée nocturne, doit ouvrir ses portes le 12 décembre. Le directeur de la maison Lauberivière, Éric Boulay, attend ce jour avec impatience. L’organisme qu’il dirige n’est pas capable d’ouvrir ses portes pour tout le monde. « On refuse des gens faute de place », dit-il. Les personnes qu’il ne peut pas héberger pourront au moins aller se réchauffer dans la nouvelle ressource.

Dans la capitale comme ailleurs, les organismes sont particulièrement débordés les soirs et les fins de semaine, où la pénurie de personnel se fait de surcroît particulièrement sentir. La ville, de son côté, a recommandé à l’Union des municipalités du Québec (UMQ) de tenir un sommet sur l’itinérance. Une proposition qui a été retenue, mais aucune date n’a encore été fixée pour la tenue de l’événement.

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