François Legault et les «grands bâtisseurs»

Il faut ajouter 100 TWh à la capacité électrique d’Hydro-Québec, estime François Legault.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Il faut ajouter 100 TWh à la capacité électrique d’Hydro-Québec, estime François Legault.

Le destin de plusieurs premiers ministres est intimement lié à la construction de grands projets hydroélectriques. Des ouvrages ont même hérité du nom de certains d’entre eux pour souligner leur contribution à l’édification d’Hydro-Québec.

Le barrage Manic-5 a pris celui de Daniel Johnson en 1969. Un an plus tôt, il était décédé sur place alors qu’il devait inaugurer l’installation. Même chose pour LG-2, rebaptisée centrale Robert-Bourassa après la mort de l’ancien premier ministre libéral, en 1996.

Visitant l’installation huit ans plus tard, Jean Charest mesurait alors l’ampleur de l’ouvrage, dont la construction a été lancée par son prédécesseur. « J’ose penser qu’un jour je pourrais poser un geste qui laisserait un legs aussi important, mais qui ne serait pas juste dans le domaine de l’énergie », avait-il confié.

Cinq ans plus tard, le Parti libéral du Québec intronisait M. Charest dans son panthéon des « grands bâtisseurs », aux côtés des Godbout, Lesageet Bourassa. Les libéraux voulaient notamment souligner sa décision de construire le complexe hydroélectrique La Romaine, sur la Côte-Nord.

Baie-James du XXIe siècle

En 2016, François Legault, alors dans l’opposition, ne promet rien de moins qu’une « Baie-James du XXIe siècle », en référence au grand chantier de Robert Bourassa. Il veut faire « exploser » les exportations d’hydroélectricité québécoise au Canada et dans le Nord-Est américain.

Il faudra à attendre septembre dernier pour que M. Legault donne un signal clair. En campagne pour sa réélection, il promet de demander à Hydro-Québec d’examiner « la possibilité de construire de nouveaux barrages ».

Son objectif : éliminer les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 et faire disparaître l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario.

Pour atteindre cet objectif environnemental, mais également pour répondre aux demandes d’entreprises prêtes à s’installer au Québec en échange de bas tarifs d’énergie, M. Legault dit qu’il faut ajouter 100 TWh à la capacitéélectrique d’Hydro-Québec, qui est actuellement de 200 TWh.

M. Legault annonce aussi 3000 MW d’énergie éolienne, ce qui viendrait presque doubler la capacité d’Hydro-Québec dans ce secteur.

Après l’élection d’octobre, le premier ministre a posé un geste significatif en déplaçant le portefeuille de l’Énergie, traditionnellement confié au ministre des Ressources naturelles, vers celui de l’Économie, détenu par Pierre Fitzgibbon.

M. Legault s’est aussi placé au centre des arbitrages entre développement économique et transition énergétique. Il présidera un comité dont feront partie la présidente-directrice générale d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, M. Fitzgibbon et trois autres ministres.

La première réunion devrait avoir lieu d’ici la fin de l’année. Mais déjà, avant même d’annoncer que M. Fitzgibbon hériterait de l’Énergie, Mme Brochu avait mis le gouvernement en garde contre la tentation de vouloir transformer la société d’État en « magasin à un dollar » de l’électricité.

L’éolien, « source incroyable »

À l’occasion d’une de ses premières sorties à titre de ministre de l’Énergie, mercredi dernier, M. Fitzgibbon a souligné qu’il entrait en fonction dans le contexte où, après des années de surplus, Hydro-Québec devra, dès 2027, augmenter sa production pour répondre à la demande.

Dans un discours prononcé devant des représentants des secteurs minier et de l’énergie, à Québec, M. Fitzgibbon a expliqué que les projets seront étudiés à travers « deux prismes » : leur contribution à la réduction de l’écart de richesse avec l’Ontario et à la lutte contre les changements climatiques.

« On doit choisir judicieusement les projets qui recevront les précieux mégawatts dans les cinq prochaines années, a-t-il dit. Il faut choisir les projets prioritaires pour notre économie et pour la décarbonation du Québec. »

Les projets obtiendront des mégawatts en fonction du nombre d’emplois créés, de leurs retombées fiscales, de leur effet sur la croissance économique, de leur caractère innovant et, « très important », de la diminution des gaz à effet de serre, a énuméré, dans l’ordre, M. Fitzgibbon.

Durant son allocution, le ministre n’a prononcé le mot « barrage » qu’une seule fois. « On peut faire mieux avec nos barrages existants, a-t-il dit. Les turbines ont besoin d’un peu d’amour. On peut mieux faire avec ce qu’on a en place. »

M. Fitzgibbon a par contre insisté sur les avantages des énergies éolienne et solaire, qui peuvent être produites plus rapidement sur le territoire québécois. « L’éolien va être une source incroyable, a-t-il dit. On regarde sur le plan géographique du Québec, dans la mesure où on va avoir de la transmission qui va se faire, on peut mettre plusieurs milliers de mégawatts additionnels. »

Les barrages, un rêve

Professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau croit que M. Legault va se heurter à plusieurs obstacles avec de nouveaux barrages. « Je pense qu’il vend du rêve », a-t-il dit en entrevue.

Le gouvernement aura beaucoup de difficulté à inonder le territoire pour créer les réservoirs nécessaires aux barrages, croit le chercheur. L’éloignement des zones où pourraient voir le jour de tels ouvrages augmentera des coûts de construction déjà élevés. Tout cela milite davantage en faveur de l’éolien, juge M. Mousseau.

Il déplore le fait que le gouvernement ait mis en place son comité sans plan de transition énergétique plus précis. Le défi, selon lui, n’est pas d’attirer de nouveaux projets consommateurs d’électricité. « C’est mettre la charrue avant les boeufs, dit-il. On s’est engagés à réduire les émissions de GES. »

On va se rendre compte qu’il y a de meilleures options et que les obstacles à la construction de barrages sont trop gros.

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau ne croit pas que les projets de barrages de M. Legault se réaliseront.

« On va se rendre compte qu’il y a de meilleures options et que les obstacles à la construction de barrages sont trop gros », a-t-il affirmé.

Selon M. Pineau, M. Legault a improvisé son annonce sur les barrages. « Les grands bâtisseurs avaient une vision qu’ils pouvaient défendre. Pas lui », juge-t-il.

Tout au plus, un partenariat serait possible avec Terre-Neuve-et-Labrador pour développer la centrale hydroélectrique de Gull Island.

L’éolien a plus de potentiel de développement que l’hydroélectricité, croit M. Pineau. Il estime qu’il faudrait environ 100 milliards de dollars pour construire et brancher des éoliennes qui ajouteraient 100 TWh à Hydro-Québec, comme le souhaite M. Legault.

Il déplore la « gouvernance Frankenstein » du comité présidé par M. Legault, qui regroupe des ministres et une dirigeante de société d’État.

« C’est un comité qui a été improvisé dans la panique pour ne pas se mettre Sophie Brochu à dos, dit M. Pineau. C’est une patente très étrange. »

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