Une gestion de l’eau complexe et coûteuse pour les villes

La station d’épuration des eaux usées de la rivière des Prairies
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La station d’épuration des eaux usées de la rivière des Prairies

Les déversements d’eaux usées ont diminué dans les dernières années au Québec, mais plusieurs municipalités peinent aujourd’hui à mettre à niveau leurs infrastructures pour s’adapter au contexte des changements climatiques, tandis que d’autres tentent par divers moyens de prévenir une pénurie d’eau potable sur leur territoire.

L’an dernier, 36 391 déversements d’eaux usées ont eu lieu dans les cours d’eau du Québec, notamment dans le Saint-Laurent. Un nombre important, mais qui demeure 31 % inférieur à celui de 2020, selon des données compilées par la Fondation Rivières. D’ailleurs, l’intensité des déversements par habitant est en baisse depuis cinq ans, constate l’organisme.

« Il reste quand même que, dans la moyenne des cinq dernières années, il y a eu 52 800 déversements par année. C’est énorme », évoque le président de la Fondation Rivières, l’ingénieur Alain Saladzius. Ce dernier estime ainsi que des investissements majeurs demeurent nécessaires pour réduire le nombre de ces rejets d’eaux usées.

Or, plusieurs municipalités appréhendent un manque de financement de Québec et d’Ottawa pour mettre à jour leurs infrastructures d’eau. C’est le cas notamment de Longueuil. La Ville estime devoir trouver un milliard de dollars en ce sens d’ici 2030 pour mettre à jour ses infrastructures responsables de la fourniture d’eau potable dans le secteur et du traitement des eaux usées. Une estimation qui a gonflé au cours des deux dernières années en raison de l’inflation.

« Depuis trente ans, il n’y a pas eu un maintien d’actifs suffisant pour maintenir l’état des infrastructures ou assurer une mise aux normes des infrastructures » de traitement des eaux de Longueuil, qui desservent plusieurs villes de la Rive-Sud. En procédant à la réfection et à l’agrandissement de ses infrastructures, la municipalité espère ainsi « limiter au maximum » les déversements d’eaux usées dans le Saint-Laurent tout en répondant aux besoins d’une population grandissante, explique la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier.

La Ville de Montréal, pour sa part, compte mettre en service en 2025 une unité d’ozonation pour désinfecter les eaux usées qui transitent par la station d’épuration Jean-R.-Marcotte, dans l’est de l’île. Celle-ci permettra notamment d’éliminer les coliformes fécaux et les virus qui se trouvent dans les eaux usées, de même qu’une grande partie des polluants émergents, comme les médicaments et les antibiotiques. La facture du projet, d’abord évaluée à 200 millions de dollars en 2008, a bondi au fil des années pour atteindre 717 millions.

« On aura l’usine d’ozonation la plus grande au monde, et de loin », affirme la responsable de l’eau au comité exécutif, Maja Vodanovic, pour justifier cet investissement. « Et ça avance à un bon rythme. On est dans les temps », dit l’élue.

Des investissements attendus

 

La Ville devra toutefois réaliser d’autres investissements dans les prochaines années afin de rendre ses infrastructures d’eau plus efficaces et moins polluantes, indique Mme Vodanovic. L’élue espère donc que l’aide financière de Québec et d’Ottawa sera à la hauteur des besoins de la métropole. Autrement, « on n’y arrivera pas », constate-t-elle.

« Il faut être imaginatif pour trouver des solutions qui vont éviter que ça coûte de plus en plus cher » de traiter les eaux usées, dit pour sa part le directeur du Service de gestion des infrastructures à la Ville de Repentigny, Réjean Vigneault. La municipalité de Lanaudière participe ainsi à divers « projets de recherches » visant à réduire les besoins énergétiques de ses installations de traitement des eaux afin de réaliser des économies tout en contribuant à la lutte contre les changements climatiques.

Pendant ce temps, 81 municipalités rejettent toujours leurs eaux usées sans les traiter, défiant ainsi la réglementation provinciale en vigueur. Plusieurs de ces petites municipalités sont toutefois en voie de corriger le tir après des années d’attente, lorsque l’aide gouvernementale est au rendez-vous.

« On n’a toujours pas eu l’argent de Québec », dit en soupirant le maire de Sainte-Rose-du-Nord, Claude Riverin. La municipalité du Saguenay–Lac-Saint-Jean souhaite depuis des années aménager un système d’épuration pour empêcher le déversement de ses eaux usées dans la rivière Saguenay. Les coûts de construction continuent entre-temps d’augmenter, relève le maire.

« Chaque année qu’on attend, ça coûte plus cher, et on continue à polluer », déplore-t-il.

Prévenir une pénurie

 

Certaines municipalités font d’autre part face à des pénuries d’eau potable, parfois depuis des années. C’est le cas notamment de Saint-Lin-Laurentides, dans Lanaudière. Après avoir connu un boom immobilier dans les dernières années, la municipalité a adopté en décembre 2021 une résolution de contrôle intérimaire pour geler tous les projets résidentiels de quatre logements et plus.

Cette mesure a depuis été élargie aux constructions de trois logements et plus, tandis que le conseil municipal a déposé une demande au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation dans l’espoir de prolonger cette mesure temporaire jusqu’à la fin de l’été 2023.

« Ça a porté ses fruits », se réjouit le maire de Saint-Lin-Laurentides, Mathieu Maisonneuve, qui constate « qu’aucun citoyen n’a manqué d’eau cet été », contrairement à l’été précédent. Le moratoire actuel ne représente pas une solution durable pour la municipalité, qui souhaite continuer de développer son territoire, reconnaît cependant M. Maisonneuve.

« Ce n’est pas un problème de disponibilité de l’eau dans le sous-sol, mais de capacité de production d’eau pour la population dans les moments où elle en a le plus besoin », explique le maire, qui mise sur un règlement d’emprunt de 9 millions de dollars pour aménager une usine de production d’eau potable au sud de la ville.

Pendant ce temps, en Montérégie, le maire de Clarenceville, Serge Beaudoin, espère être en mesure de lancer un appel d’offres au début de l’année 2023 pour aménager une conduite qui permettrait de connecter la municipalité de 11 000 habitants à l’usine d’épuration d’eau de la municipalité voisine d’Henryville. Il attend toutefois que ce projet — dont la facture pourrait atteindre 23 millions de dollars — obtienne les approbations et le soutien financier de Québec nécessaires à sa concrétisation.

« En allant en appel d’offres, ça ne veut pas dire que le gouvernement va nous donner assez d’argent pour réaliser le projet », appréhende M. Beaudoin. Or, « ça fait plus de 15 ans qu’ils [les résidents] demandent de l’eau potable. Il y a des gens, je ne sais pas comment ils s’arrangent pour prendre leur douche », lance M. Beaudoin.



À voir en vidéo