D'abord, briser la relation prostituée-revendeur

Les policiers des escouades de la moralité et des stupéfiants marcheront main dans la main cet été dans les rues du centre-sud de Montréal pour contrer les maux associés à la prostitution. Devant une assemblée de citoyens aussi sceptiques qu'exaspérés, les commandants des deux postes du secteur ont présenté hier soir leur plan d'action pour la prochaine saison qui s'annonce chaude dans le quartier.

Les petits revendeurs de drogue qui approvisionnent les prostituées sont dans la mire du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Ils seront traqués par les agents de la moralité et des stupéfiants pour être ensuite traduits en justice. Le SPVM estime que ces trafiquants à la petite semaine ont pris le rôle des souteneurs (les pimps) dans l'organisation de la prostitution de rue. Les filles en viennent à vendre leur corps pour acheter de la drogue ou effacer leurs dettes.

En s'attaquant à ces revendeurs, les policiers espèrent réduire l'offre de drogue. Il reviendra ensuite au réseau de la santé de première ligne de prendre en charge les femmes qui s'adonnent à la prostitution de rue. S'ils réussissent à briser la relation prostituée-revendeur, les policiers croient qu'il sera plus facile pour ces femmes de sortir de leur isolement et de leur dépendance. "On veut que les filles soient prises en charge", a commenté Maurice Beaudoin, commandant du poste de quartier 22. Le plan a reçu l'assentiment des principaux acteurs du secteur communautaire: Stella, Spectre de rue, Cactus et quelques autres.

La présentation des grandes lignes de ce plan, axé sur la relative tolérance face aux métiers du sexe, a suscité d'orageux débats dont le Centre-Sud a le secret, en assemblée publique hier soir dans le presbytère d'une paroisse du quartier. La soirée a permis aux citoyens de se vider le coeur et de raconter les histoires d'horreurs qui ponctuent leurs journées dans ce quartier chaud de la ville.

"Tous les jours, je dois me battre avec les prostituées pour qu'elles lâchent l'arrêt d'autobus afin que ma femme puisse attendre l'autobus en paix", a raconté Michel Martel, un résident de la rue Moreau. Un autre a évoqué le perpétuel harcèlement dont fait l'objet sa conjointe et le ménage qu'il doit fréquemment faire devant sa maison pour recueillir les condoms et les seringues souillées.

"Je suis déçue. Je m'attendais à un plan de match plus musclé", a lancé Lise Béland, présidente de l'Association des résidents des faubourgs de Montréal. La lutte à la prostitution est d'autant plus inégale, a-t-elle ajouté, que le quartier Centre-sud figure désormais dans deux bottins destinés aux touristes à la recherche de prostitués masculins et féminins.

Les citoyens en ont plus qu'assez de subir à n'importe quelle heure du jour et de la nuit la présence des prostituées à deux pas de leur maison et d'être l'objet de sollicitation constante d'automobilistes venus des banlieues. Certains d'entre eux ont d'ailleurs décidé de tenter d'effaroucher les clients en affichant sur des poteaux les numéros d'immatriculation des clients surpris en flagrant délit. D'autres, encore plus audacieux, se sont dits prêts à participer activement aux arrestations, une offre que se sont empressés de rejeter les policiers.

"Le système judiciaire a ses limites", a rétorqué le commandant Jean-Pierre Synnett, du poste 21, qui a longuement expliqué que la répression ne pouvait à elle seule régler un problème social tel que la prostitution. Du moins, a-t-on identifié des secteurs où la présence de cette faune urbaine ne sera pas permise. Ainsi, la tolérance zéro sera appliquée dans les rues et les ruelles conduisant aux endroits fréquentés par des jeunes, comme les parcs, les écoles et les garderies.

Le SPVM poursuivra par ailleurs les opérations clients. Selon le commandant Beaudoin, cette politique est couronnée de succès. Les policiers ont épinglé 248 clients l'an dernier. Du lot, 198 ont fait l'objet d'une mise en accusation. "Nous n'avons eu aucune récidive de tout l'été. Les gens semblent comprendre la leçon une fois qu'ils ont connu ce contact avec les policiers", a dit le commandant Beaudoin.

S'ils sont excédés et réclament la tolérance zéro sur tout le territoire, les résidents du quartier se sont bien gardés de s'en prendre aux deux policiers présents. Ils ont au contraire salué leur travail, tout en déplorant les limites que leur impose l'application de la loi. "Je m'adresse à vos patrons, à Michel Sarrazin, et aux conseillers municipaux afin qu'ils vous donnent les moyens de travailler avec nous", a plaidé Jean de Lavaltrie.

Ces belles intentions donneront-elles les résultats escomptés? "Les policiers n'auront pas le choix à cause du lien de confiance qui s'est créé", estime Mme Béland, qui ajoute que les témoignages entendus hier soir démontrent que le ras-le-bol des citoyens a atteint de nouveaux sommets.

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