L’Entente sur les tiers pays sûrs examinée par la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada se penche jeudi sur une contestation de l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui est au coeur des passages irréguliers de migrants par le chemin Roxham, en Montérégie.
Chacun des demandeurs, qui sont des citoyens du Salvador, de l’Éthiopie et de la Syrie, a été refoulé après être arrivé au Canada par un poste frontalier officiel, en provenance des États-Unis, dans le but de demander l’asile.
Selon eux, leur renvoi les a mis à risque de détention et d’autres violations de leurs droits. Leurs avocats estiment que l’Entente sur les tiers pays sûrs contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ».
En ouverture de l’audience de la Cour suprême, jeudi, un avocat du Conseil canadien pour les réfugiés a fait valoir que le risque d’emprisonnement est suffisant pour conclure à l’inconstitutionnalité.
« Nous disons qu’il y a une détention par défaut », a dit Me Andrew J. Brouwer.
Quand les juges lui ont demandé s’il était « automatique » que les migrants refoulés allaient être placés en détention, il a répondu qu’il était « impertinent » de faire cette détermination pour conclure à une violation de l’article 7.
« Que montrent les données (sur la détention) ? », a notamment lancé le juge Russell Brown. Il n’est pas parvenu à obtenir de réponse directe à sa question, aussi formulée à plusieurs reprises par le juge Malcom Rowe.
« C’est le risque qui implique la liberté. Cela ne requiert pas que toutes les personnes refoulées […] soient détenues », a soutenu Me Brouwer.
La juge Suzanne Côté s’est aussi mise de la partie en affirmant que seul un des trois demandeurs d’asile impliqués dans la cause examinée par la Cour a été détenu aux États-Unis.
« Les éléments de preuve (pointent vers) un régime de détention robuste aux États-Unis qui inclut le droit de consulter un avocat. Je comprends votre point que (les demandeurs d’asile) sont déportés immédiatement, mais ils ne sont pas déportés dans le vide », a-t-elle exposé.
Me Brouwer a précisé que les demandeurs d’asile impliqués dans cette cause qui n’ont pas été détenus ne l’ont pas été parce qu’ils ont finalement pu obtenir une autorisation de rester au Canada.
Suspension de l’entente demandée
L’Entente sur les tiers pays sûrs fait en sorte qu’un réfugié potentiel se présentant à un poste frontalier officiel canadien et ayant d’abord foulé le sol américain est refoulé puisqu’il doit poursuivre sa demande d’asile dans le premier « lieu sûr » où il est arrivé.
Ainsi, des personnes souhaitant tout de même demander l’asile au Canada traversent la frontière canado-américaine par des passages de fortune, comme le chemin Roxham, en Montérégie. Une fois qu’ils sont au Canada, leur demande d’asile peut être traitée.
Le dossier a récemment refait surface dans l’actualité, quand Radio-Canada a rapporté que le gouvernement fédéral a dépensé plus d’un demi-milliard de dollars en fonds publics relativement au chemin Roxham. L’imposante somme a servi à rembourser des coûts défrayés par Québec et à payer des fournisseurs d’installations, par exemple.
Les bloquistes et néodémocrates demandent depuis longtemps la suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Les libéraux de Justin Trudeau plaident plutôt pour une modernisation de l’accord et assurent qu’ils négocient en ce sens auprès des Américains.
« Évidemment, on a des préoccupations [au sujet de] l’entente. […] On va toujours s’assurer que nos principes et nos valeurs en matière d’immigration et de droits de la personne sont respectés », a dit le premier ministre Justin Trudeau, jeudi matin, alors qu’il se rendait à une réunion avec son Conseil des ministres.
Il a affirmé qu’Ottawa s’en remet au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour faire les vérifications de respect des droits des migrants refoulés.
Jeudi, les neuf juges de la Cour suprême doivent entendre d’autres intervenants au cours de l’audience. Ils auront notamment l’occasion de questionner des représentants du ministère fédéral de la Justice qui défendront le ministère de l’Immigration.
Devant des tribunaux inférieurs, le gouvernement canadien a plaidé que les demandeurs éconduits ont accès à une procédure juste et équitable aux États-Unis. Ottawa soutient qu’il n’est pas déraisonnable de renvoyer des gens au sud de la frontière afin qu’ils demandent l’asile dans ce pays.
Dossier de longue date
Les groupes de défense des réfugiés s’opposent depuis longtemps à cette entente en alléguant que les États-Unis ne sont pas toujours un lieu sûr pour des gens qui fuient la persécution.
De nombreux demandeurs d’asile ont mené cette bataille en Cour fédérale aux côtés du Conseil canadien pour les réfugiés, du Conseil canadien des Églises et d’Amnistie internationale.
Dans une décision rendue en 2020, la juge de la Cour fédérale Ann Marie McDonald a conclu que l’Entente sur les tiers pays sûrs avait pour effet de condamner à la prison aux États-Unis les demandeurs déclarés inadmissibles.
La juge McDonald a écrit que la détention et les conséquences qui en découlent ne sont pas conformes avec l’esprit de la loi et son objectif. Elle considère qu’il s’agit d’une violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
La Cour fédérale d’appel a toutefois infirmé cette décision l’an dernier.
Selon le tribunal d’appel, la faute constitutionnelle est causée par la manière dont les autorités interprètent l’application de l’entente et non pas de l’entente elle-même. La cour ajoute que puisque les demandeurs ne s’attaquent pas au comportement fautif des autorités, elle ne dispose pas de la preuve nécessaire pour se prononcer.
Avec des informations de Jim Bronskill