Bien assis à la présidence des Nomads, respecté et admiré de ses pairs, seul Maurice Boucher détenait le pouvoir de commander le meurtre des deux gardiens de prison exécutés par Stéphane Gagné en 1997. Le délateur n'aurait pas survécu à ce coup d'éclat s'il avait agi de son propre chef, le seuil de tolérance des Hells Angels étant "plutôt bas".

La procureure de la Couronne, France Charbonneau, a prêté les pires desseins à Maurice Boucher hier dans sa plaidoirie finale. Elle conclut à la lumière de la preuve que l'accusé a ordonné ces assassinats afin de "mettre son organisation à l'abri de la police et des autorités". "Boucher voulait se rendre invincible afin d'agir en toute impunité et continuer d'étendre son pouvoir", a plaidé Me Charbonneau.

La vague de délation qui a ponctué la guerre des motards sert de toile de fond à ces meurtres gratuits. Par un plan "machiavélique et répugnant", l'accusé a voulu s'assurer le silence de ses hommes de mains et protéger l'intégrité des Nomads. Qui oserait passer aux aveux après avoir tué un gardien de prison? "Boucher voulait contrôler ses hommes par la peur de ce qui pouvait leur arriver", a dit Me Charbonneau.

Me Charbonneau a passé la preuve en revue pendant près de cinq heures, et elle n'avait toujours pas achevé son travail à la fin de la journée. Elle a mis un soin méticuleux à relever tous les éléments de preuve indépendante qui pourraient confirmer les dires de Stéphane Gagné. Du point de vue du ministère public, cette preuve de corroboration s'avère essentielle pour que le jury puisse conclure à la crédibilité du témoignage de Gagné.

Me Charbonneau a aussi rappelé que Gagné et ses supérieurs hiérarchiques, Paul Fontaine et André Tousignant, ont obtenu des promotions au sein des Hells Angels après les meurtres. Il ont bénéficié des ressources matérielles de l'organisation avant et après leurs forfaits. Gagné a même reçu les félicitations de Boucher. Fontaine et Tousignant ont enfin disparu de la circulation après l'arrestation du "témoin-repenti".

Fontaine a été revu une fois par le délateur Serge Boutin. Tousignant a été retrouvé mort, assassiné d'une balle dans la tête. Il s'agissait de deux hommes de confiance de Maurice Boucher, des "prospects" Nomads à qui on ne pouvait pas s'attaquer facilement. N'a-t-on pas éliminé ceux qui étaient en lien direct avec Boucher?, a demandé Me Charbonneau, qui a souvent recouru a la formule interrogative dans sa plaidoirie.

Est-ce que Gagné, de son propre chef, aurait pu utiliser les ressources de l'organisation? Est-ce qu'il détenait le potentiel et l'ascendant pour agir seul? Était-il assez stupide pour compromettre son ascension au sein des Hells en tuant des gardiens de prison? Et si Boucher n'était pas au courant, pensez-vous que Tousignant et Gagné seraient restés en vie très longtemps après le premier meurtre?, a demandé Me Charbonneau. "Plaider que Boucher n'était pas au courant ne tiendra jamais debout", a-t-elle lancé.