Un tribunal québécois sera appelé à décider si un enfant peut avoir 3 parents

Cet enfant qui est réclamé par trois parents n’en a finalement qu’un aux yeux de la loi.
Photo: Istock Montage Le Devoir Cet enfant qui est réclamé par trois parents n’en a finalement qu’un aux yeux de la loi.

Pour être reconnu comme les trois parents d’un enfant aux yeux de la loi, un trouple — contraction des mots trio et couple — a déposé une action en justice au Québec. Si leur démarche est couronnée de succès, elle pourrait faire éclater les limites de la notion traditionnelle de la famille, alors que le droit québécois ne reconnaît pas la triparenté.

« On veut ce qu’il y a de mieux pour Simon. Et le mieux pour lui, c’est d’avoir trois parents », a expliqué Rose en entrevue avec Le Devoir.

Simon n’est pas le prénom du bambin, pas plus que celui de Rose. La loi interdit d’identifier les parties à un litige en droit familial.

On veut aussi que son certificat de naissance « reflète notre situation familiale, qui est celle de trois parents qui élèvent ensemble un enfant » et qui prennent les décisions ensemble, a-t-elle poursuivi.

Rose s’est mariée avec Marc, qu’elle fréquente depuis une dizaine d’années. Trois enfants sont nés de leur union. Puis, Rose a fait la rencontre de Sophie et a développé une relation amoureuse avec elle. Elle l’a présentée à Marc, et depuis, ils forment un trio amoureux exclusif.

Sophie a exprimé le désir d’avoir un enfant. Le projet est devenu celui des trois adultes. Mais ils savaient qu’ils allaient se heurter au droit québécois.

« Le système est fait pour deux parents », dit Marc, qui se le fait rappeler chaque fois qu’il est question de remplir des documents administratifs, que ce soit pour la garderie ou les assurances.

Les trois trentenaires ont ainsi déposé l’an dernier une demande afin qu’un juge déclare que le Code civil du Québec permet à un enfant d’avoir plus de deux parents. Ils veulent tous trois avoir les mêmes droits et obligations à son égard.

Lien d’attachement

Puis Simon est né en 2022.

 

Sur le certificat de naissance, qui ne permet que deux noms, ils ont choisi d’y inscrire ceux de Sophie et de Rose.

Cette dernière souhaite avoir un lien juridique avec l’enfant, à défaut de lien biologique. Les trois ont aussi convenu que c’est elle qui serait en congé parental à la maison avec Simon durant la première année de sa vie.

« C’était pour renforcer mon lien d’attachement. Mais finalement, ça s’est fait tout seul. Je l’aime autant que les trois enfants que j’ai portés et je le considère comme égal. »

Le trio a néanmoins décidé de garder le cap sur son projet, a expliqué Rose, en visioconférence, depuis la maison où ils habitent tous les trois avec les quatre enfants. Affectueuse avec ses gestes et ses regards envers les autres membres du trouple, Rose explique que malgré le fait qu’ils forment une famille « atypique », « on est monsieur et madame Tout-le-Monde ». « Même qu’on est plates », ajoute Marc en riant, lunettes et cheveux courts.

Ce choix a aussi été fait pour éviter de « cristalliser » la situation du père et de la mère biologique, qui aurait pu créer un « statu quo en conformité avec la “normalité juridique” », a expliqué leur avocat, Me Marc-André Landry, de chez LCM avocats. À noter que cette situation est différente des projets d’enfant à trois à l’aide de la procréation assistée.

Sauf que cela n’a pas fonctionné : le Directeur de l’état civil (DEC) n’a pas accepté le certificat de naissance, au motif que le père avait fait part dans le recours de son intention de faire reconnaître sa paternité. Le DEC n’y a inscrit que le nom de Sophie.

Le trio a alors présenté une demande en urgence à un juge, pour qu’il reconnaisse au moins deux parents — les deux mères, ce qui est permis au Québec —, preuve qu’il est possible d’élargir la notion de « parent ».

Le juge Sébastien Vaillancourt de la Cour supérieure du Québec vient de rejeter leur demande et donne raison au DEC : il n’est pas « dans l’intérêt public » que le registre d’état civil ait un « caractère temporaire », écrit-il.

Les conséquences ont été rapides. Rose a dû retourner travailler puisqu’elle ne pouvait être en congé parental… sans être parent.

Sa déception était palpable par rapport à son rôle de mère, qui lui apparaît écarté. « Des fois, j’appelle pour Simon et on me demande : “Êtes-vous la mère ? Je dis : oui, mais… non.” » Et Sophie doit rappeler.

Bref, cet enfant qui est réclamé par trois parents n’en a finalement qu’un aux yeux de la loi.

Si Sophie meurt dans un accident, il sera orphelin, dit Rose.« Et je ne veux pas que le système se demande qui doit prendre soin de mon fils. »

Pléthore de conséquences

 

Mais ce n’est pas terminé, rappelle Me Landry. C’est le juge qui tranchera, après procès, si un enfant peut avoir trois parents. Cette situation a une pléthore de conséquences, sur les droits alimentaires et sur la succession, par exemple. La réforme du droit de la famille, entreprise par le gouvernement québécois, pourrait aussi régler la situation.

Les ruptures surviennent dans les couples : n’y a-t-il pas plus de risques de conflits et de séparation dans une relation à trois ?

« Une séparation dans la vie d’un enfant, c’est toujours triste, et ça se vit difficilement, qu’on soit trois ou deux », répond doucement Sophie. Mais on est un trouple avec beaucoup de communication, ajoute-t-elle : « Si on devait se séparer, ce serait encore notre force pour gérer la situation. »

S’il y avait rupture, je ne crois pas que les trois partiraient chacun de leur côté : ce serait plutôt un qui « débarquerait » et à ce moment-là, ce serait plus sur un modèle de garde standard, 50/50, poursuit Marc.

Me Landry évoque des études qui rapportent moins de difficultés lors de séparation dans les modèles familiaux atypiques, notamment parce que « le projet parental est beaucoup plus défini, réfléchi et voulu ».

Et puis, « le critère sera toujours l’intérêt supérieur de l’enfant et quand ça sert de guide, il y aura toujours des solutions ».

Au procès, il fera valoir qu’il est possible de lire les articles actuels du Code civil qui parlent de parent et de filiation de façon large pour y inclure une famille comme celle de ses clients. Si le juge refuse, il demandera l’invalidité d’une série d’articles du Code, sur la base qu’ils sont discriminatoires et contraires aux Chartes des droits et libertés — générant ainsi un litige constitutionnel.

D’autres provinces reconnaissent trois parents à un enfant, comme Terre-Neuve, l’Ontario et la Colombie-Britannique, plaide l’avocat.

Si le juge refuse, le trio a convenu d’ajouter un autre parent sur le certificat, pour que Simon en ait officiellement au moins deux. « C’est ça la question : c’est quoi son intérêt à lui », dit Rose. Marc hoche la tête : « Nous, on n’a rien à gagner. »

« Notre amour pour lui ne changera pas », renchérit Rose.

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