Le nouveau roi entre en scène

Les Anglais se sont levés endeuillés vendredi matin. Dès l’aube, une foule chaque seconde plus nombreuse s’est agglutinée devant le palais de Buckingham, la résidence officielle des souverains anglais, pour rendre un dernier hommage à leur défunte reine. Le nouveau roi a scellé ce jour de transition par un discours solennel à la nation.

Il y a 75 ans, soit cinq ans avant son accession au trône, une Élisabeth II de 21 ans prononçait ces mots qui allaient marquer son règne : « Je déclare que toute ma vie, longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous. »

Peu après 18 h vendredi, son fils a repris ces paroles. « Je m’engage moi aussi solennellement maintenant, tout au long du temps restant que Dieu m’accorde, à défendre les principes constitutionnels qui sont au coeur de notre nation », a-t-il déclaré lors de sa première allocution télévisée en tant que roi.

Son allocution de 10 minutes, qui semblait préenregistrée, a largement été consacrée aux qualités de sa défunte mère, son « amour de la tradition », son « adhésion sans crainte au progrès », mais aussi à sa « chaleur et son humour ».

Cette déclaration officielle, qui a aussi conféré à l’héritier William son titre de prince de Galles et ainsi assuré sa dignité de successeur au trône, fut le dernier point culminant d’une entrée en scène royale.

Tout a débuté à 13 h tapantes devant le palais Buckingham, alors qu’un coup de canon a durci l’atmosphère déjà grave. La foule massée par milliers depuis la matinée s’est tue d’un trait. Une autre déflagration a suivi. Puis une autre. Quatre-vingt-seize au total, bien comptées. Comme les années vécues par la reine. Le drapeau anglais en berne au-dessus du palais est remplacé par celui portant les armoiries royales du Royaume-Uni.

Le prince Charles, maintenant roi Charles III, s’est présenté à pied, tout en sobriété. Comme première apparition publique en tant que monarque, il s’est offert un bain de foule, a serré des mains. Cette approche demeure peu orthodoxe pour un souverain fraîchement reconnu comme tel, voire un accroc au protocole. Voilà son premier geste dans des chaussures bien grandes à porter, lui qui, à 73 ans, en est déjà au crépuscule de sa vie.

Devant ce tableau, un homme crie God save the King, « que Dieu sauve le roi ». D’autres l’imitent.

L’homme en question, Jeff Reeves, plaisante d’un humour très british. Le roi a déjà son surnom : « Charly ». La défunte reine est irremplaçable, mais M. Reeves est satisfait de ce premier pas de majesté. « Je ne suis pas vraiment monarchiste. Ça n’a pas de sens sur papier, la monarchie. Mais aujourd’hui, ça a un sens. Il y a des travailleurs, des cols blancs, des hommes d’affaires, toutes sortes d’origines et de classes réunies pour une cérémonie. C’est important pour notre pays si divisé, avec le Brexit et tout ça. Au moins, on a ça. Je comprends maintenant. »

Un étrange silence

 

Depuis la mort de la reine, le noir habille Londres. L’heure est au recueillement. La défunte trône encore à la une des journaux, sur des affiches partout au centre-ville, dans tous les abris de bus, dans les pensées. Même le drapeau du Québec qui flotte sur les devants de la délégation générale, à trois jets de pierre du palais de Buckingham, est en berne.

Les visages longs, les soupirs profonds et quelques sanglots ont habité toute la journée la place sise devant le palais royal. Les fleurs qu’on apporte s’amoncellent tant qu’on manque de place pour les recevoir en même temps que la foule. On se passe les bouquets pour que d’autres les déposent en avant. Un Union Jack noir et blanc flotte au-dessus des hommages.

Photo: Jean-Louis Bordeleau Le Devoir Les Britanniques se recueillent devant le palais de Buckingham, où les gerbes de fleurs s’accumulent.

Une dame, Claire, se morfond de tristesse au pied de l’enceinte du palais. Elle ne peut répondre à aucune question : le deuil lui a fait perdre la voix. « Une perte. La gratitude », souffle-t-elle du bout des lèvres.

La foule murmure aussi, et dans plusieurs langues. Au cours de son règne, la reine Élisabeth II a été à la tête de 32 différents pays. Dix-sept ont décidé de devenir indépendants au fil des 70 ans de règne de la dernière reine de l’Empire.

Stacey O’Connor vient d’Australie, mais habite Londres avec son mari anglais. Elle est venue, elle aussi, déposer une gerbe de fleurs à sa feue souveraine. « Elle est sur notre monnaie. Elle fait partie de notre vie quotidienne, souligne-t-elle. Et puis, c’était bien d’avoir une reine, une femme, dans un monde de dirigeants mené par le patriarcat. On a un roi maintenant. Juste de le dire, ça fait bizarre. »

Une nouvelle difficile à croire

« Weird. » « Bizarre. » Les gens répètent ce mot autant qu’ils soupirent. Tous ici — ou presque — n’ont vécu qu’avec Élisabeth II en tant que reine.

« C’est très difficile de croire qu’elle est vraiment morte. C’est pour ça que je suis venu ici. C’est vrai qu’elle est morte ? » Chris Imafilon peine à contenir sa peine pour le décès de celle qu’il appelle « une mère ».

« J’avais le privilège de la rencontrer chaque année. Elle invitait à Londres des élèves des villes intérieures. Elle demandait à chacun d’eux ce qu’ils voulaient faire plus tard. Il fallait voir la fierté des enfants lorsqu’ils revenaient, le torse bombé, dans leurs écoles. Ils disaient : “Je peux devenir ingénieur, c’est vrai, la reine me l’a dit !” »

Au milieu de ces visages tristes, les membres de la garde d’honneur défilent sur leurs chevaux avec leur attirail rouge et noir. Leurs cris guerriers brisent le silence de recueillement. Une fine pluie complète la scène typiquement anglaise. Des médias de partout dans le monde captent le moment.

Un vieil Anglais, lui aussi en habit militaire rouge et décoré de médailles, observe la procession. Alan Rutter fait partie des pensionnaires de Chelsea, une maison de retraite pour les retraités de l’armée. « Sa mort n’était pas surprenante, mais c’est tout même un choc. C’est très triste. C’était une reine extraordinaire. Jamais nous ne reverrons une souveraine comme cela, assure le vétéran. La reine a fait un grand travail pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’Australie, le Canada ! Elle a tenu ensemble le Commonwealth. Elle rencontrait les gens ordinaires et rendait ces gens à l’aise. Son sourire était naturel. Quand elle souriait, c’était authentique. »

Les commémorations de la mort d’Élisabeth II doivent se poursuivre durant une dizaine de jours.


Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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