Le Québec gagnerait à produire de l’électricité éolienne plutôt que de nouveaux barrages

Ce texte est tiré du Courrier de la planète du 6 septembre 2022. Pour vous abonner, cliquez ici.
Construire de nouveaux barrages hydroélectriques? Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a déclaré qu’il demanderait à Hydro-Québec de réaliser des études pour soupeser cette option. Le premier ministre sortant veut également que la société d’État développe des parcs éoliens pour répondre aux besoins en électricité à court terme.
Pour mettre ces annonces en contexte, Le Courrier de la planète s’est entretenu aujourd’hui avec Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal et professeur de physique à l’Université de Montréal. Il est coauteur d’un rapport, publié la semaine dernière, sur les «perspectives stratégiques» du secteur de l’électricité au Canada.
Doit-on produire plus d’électricité au Québec? Ou pourrait-on simplement miser sur l’efficacité énergétique?
« Selon nos analyses, l’efficacité énergétique ne serait pas suffisante. On peut aller récupérer un peu d’énergie, mais l’enjeu des prochaines années, c’est vraiment la décarbonation», répond M. Mousseau. Augmenter l’efficacité énergétique des systèmes électriques — dans le bâtiment, par exemple — demande une importante main-d’oeuvre, mais les travailleurs disponibles seront déjà à pied d’oeuvre pour remplacer les systèmes fonctionnant aux énergies fossiles. «D’un point de vue structurel, on ne peut pas faire les deux en même temps. Il faut donc absolument augmenter la production d’électricité.»
Dans votre récente publication Une perspective stratégique pour le secteur de l’électricité dans le centre et l’est du Canada, que recommandez-vous en matière de nouvelle production d’électricité?
Nous n’avons pas recommandé de technologie en particulier. Néanmoins, notre modélisation indique que l’éolien est l’option la plus appropriée pour le Québec. Cette technologie est la moins chère pour répondre à nos besoins. Quand il fait froid et qu’il vente, c’est à ce moment que la demande en électricité est la plus forte. Une autre option intéressante est l’ajout de turbines sur nos grands barrages actuels, afin d’augmenter la puissance de pointe.
Et qu’en est-il du solaire?
Le problème du solaire, c’est qu’il n’est pas synchronisé avec la demande. La grosse demande au Québec, c’est en hiver. Mais les journées sont plus courtes, donc il y a moins de production solaire. D’un point de vue stratégique, l’éolien est beaucoup plus intéressant que le solaire.
Et les barrages hydroélectriques? Leurs réservoirs agissent comme de grosses batteries qui fournissent de l’énergie lorsque nécessaire.
Ça, c’est vrai pour les barrages actuels. Le problème, avec les potentiels nouveaux barrages, c’est qu’on serait très limités dans notre capacité de créer de grands réservoirs. Dans le secteur de la baie James, 10 000 kilomètres carrés ont été inondés. C’est difficile d’imaginer qu’on inonderait des territoires aussi grands… C’est techniquement faisable, mais sous l’angle de l’acceptabilité, je n’y crois pas. Voilà pourquoi je ne pense pas que l’hydraulique soit vraiment une avenue gagnante au Québec. Le coût est plus cher que pour l’énergie éolienne — on l’a vu avec La Romaine —, et cela, pour des réservoirs qui ne sont pas très grands.
La rivière Magpie, sur la Côte-Nord, est parfois évoquée lorsqu’il est question de nouveaux barrages. Elle dispose toutefois d’un statut de «personnalité juridique» et les communautés locales, notamment innues, sont déterminées à la protéger. Ces éléments sont-ils des obstacles insurmontables pour la réalisation de grands projets de barrages hydroélectriques?
Je pense que c’est un obstacle important. La Magpie est la dernière grande rivière dans le sud du Québec à ne pas avoir été harnachée pour son énergie hydraulique, donc je ne suis pas certain qu’un barrage pourrait y être bâti. Il y a des défis d’opposition environnementale importants. Sinon, il faudrait aller plus au nord, où il y a quand même de grosses rivières, mais les coûts augmenteraient rapidement.
On veut agir rapidement pour avoir de l’électricité carboneutre: est-ce que cela milite en faveur du développement de l’éolien? Ou bien faut-il penser à long terme et envisager les barrages hydroélectriques, dont la construction prend des années?
Il faut faire les deux! On doit s’assurer d’avoir assez d’électricité pour que l’accès à cette énergie ne soit pas un frein aux investissements de décarbonation. À l’Institut Trottier, nous anticipons de sérieux problèmes pour 2030. Les gens qui voudront se brancher au réseau électrique ne pourront pas le faire. Ce sera vrai au Québec, mais encore plus en Ontario et dans les provinces maritimes, où ce sera un blocage majeur. La solution, c’est de construire en amont, quitte à avoir un peu trop d’électricité. On aura besoin d’augmenter la capacité de 5 à 10% à court terme, mais de 2030 à 2050, on aura besoin de 50% plus d’électricité.
La semaine dernière, la Cour suprême américaine a rendu une décision plutôt favorable au projet d’Hydro-Québec d’exporter de l’électricité en Nouvelle-Angleterre. Est-ce que cela change la donne pour les grands projets de barrages au Québec?
Ça augmente la pression pour qu’on planifie notre approvisionnement. Avec New York et Boston, 20 TWh vont être vendus à l’étranger [par rapport à une production totale de 212 TWh au Québec en 2019]. On ne pourra pas arrêter les exportations, ce sont des contrats fixes. Donc, ça nous laisse moins de flexibilité.
Comment se compare l’annonce de M. Legault à ce qui était déjà dans le dernier plan stratégique d’Hydro-Québec?
Ça semble aller un peu plus loin. Hydro-Québec est très frileuse. Pour la société d’État, il n’est pas question de commencer la planification demain matin. Elle nous dit: ne vous en faites pas pour les prochaines années, l’efficacité énergétique va être suffisante pour répondre à la demande. Ce n’est pas ce que nous entrevoyons à l’Institut Trottier.