Des «groupes fermés» sur fond de pénurie d'enseignants

La pénurie d’enseignants est tellement importante que le plus grand centre de services scolaire du Québec a pris la décision hors de l’ordinaire de « fermer des groupes » du primaire et de répartir les élèves dans d’autres classes.

Selon ce que Le Devoir a appris,le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) a annoncé cette « mesure exceptionnelle » dans un courriel interne, en fin de journée mercredi. La nouvelle a provoqué une onde de choc parmi le personnel du centre de services, qui s’apprête àaccueillir plus de 110 000 élèves (environ 10 % de l’effectif québécois).

« En cette rentrée scolaire, malgré nos efforts de recrutement constants, plusieurs postes d’enseignants titulaires n’ont pas été pourvus. Dans ce contexte, et par souci de [servir] le mieux possible nos élèves, nous sommes, dans certains cas, dans l’obligation de fermer des groupes », indique le message.

« Nous savons que ces décisions ne se prennent pas sans heurt et que cette mesure exceptionnelle bouleverse l’organisation scolaire », ajoute le courriel envoyé par la direction générale du CSSDM.

Les rencontres de quartier pour la formation des classes des écoles primaires doivent avoir lieu vendredi. Le centre de services indique que la « priorité demeure de permettre à tous les élèves d’intégrer un groupe qui dispose de tous les services éducatifs et complémentaires pour répondre à leurs besoins spécifiques ».

Cet exercice fait partie des « ajustements de la rentrée », a précisé mercredi soir Alain Perron, porte-parole du CSSDM. Il n’était pas en mesure d’indiquer combien d’enseignants manquent à l’appel, à la veille du retour en classe. Il ne pouvait non plus révéler le nombre de groupes à fermer.

La rentrée scolaire est toujours un exercice logistique complexe pour les gestionnaires scolaires — le nombre final d’élèves est imprévisible à cause des déménagements et des nouveaux arrivants —, mais la pénurie de personnel ajoute un défi d’une ampleur jamais vue, expliquent nos sources. Pour éviter que des enfants se retrouvent dans une classe sans titulaire, les autorités répartiront les élèves des groupes qui seront « fermés » dans les autres classes du même niveau de la même école.

Personnel aux aguets

 

Le nombre d’élèves de ces groupes va augmenter, ce qui amplifiera le degré de difficulté pour les enseignants, déplore Catherine Beauvais St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal. Les élèves vont en pâtir, car ils auront moins d’attention de leur enseignant.

« Ça n’a juste pas d’allure. C’est inconcevable. On sort d’une pandémie, on a des élèves qui ont accumulé des retards, dont il faut prendre soin, mais les ressources diminuent », a-t-elle déclaré.

Des orthopédagogues et d’autres professionnels seront sans doute déployés dans des classes qui seraient autrement sans titulaire, ce qui veut dire que les élèves en difficulté, qui ont besoin d’aide supplémentaire pour réussir, seront laissés à eux-mêmes, s’indigne Catherine Beauvais St-Pierre. Les enseignants non légalement qualifiés appelés en renfort nécessitent aussi un encadrement de la part des profs expérimentés de chaque école.

« On risque d’avoir beaucoup d’appels demain [jeudi]. On a beaucoup de jeunes profs qui démissionnent soit pour abandonner la profession, soit pour aller travailler dans un autre centre de services. C’est un défi supplémentaire de travailler à Montréal », ajoute-t-elle.

Bâtiments en mauvais état, jeunes des quartiers défavorisés ayant des difficultés d’apprentissage, et part importante des enfants qui ont une langue maternelle autre que le français : les défis ne manquent pas pour les enseignants de l’île de Montréal. La fermeture prochaine de la moitié des voies du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine,pour des travaux qui s’étireront jusqu’en 2025, ajoute une pression supplémentaire pour les membres du personnel du CSSDM qui habitent hors de l’île.

Protéger les élèves

 

« C’est sûr que le manque d’enseignants qualifiés va perturber l’enseignement, on ne peut pas le nier. Ça crée énormément d’insécurité chez le personnel. Le plus jeune enseignant de l’école va se retrouver ballotté avec les changements de groupe. Peut-être qu’il n’ira pas à l’école qu’il voulait », explique Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire.

Le centre de services et les directionsd’école vont tout mettre en oeuvre pour « trouver des solutions et rassurer le personnel, les parents et les enfants », malgré la pénurie qui frappe plusieurs catégories d’employés, souligne-t-elle. En plus des enseignants, il manque d’éducatrices en service de garde, d’éducatrices spécialisées, d’orthopédagogues, d’orthophonistes et d’autres types de travailleurs, notamment des secrétaires.

La bonne nouvelle, c’est que les élèves du primaire ignorent généralement dans quel groupe ils seront en se présentant à l’école le jour de la rentrée, explique Kathleen Legault. Ils ne sont pas conscients du jeu de chaise musicale qui mène à la formation des groupes.

Il est toutefois probable que des suppléants se succèdent devant un grand nombre de classes durant les premiers jours de l’année scolaire — ou plus, dans certains cas. « C’est loin d’être l’idéal pour des élèves du primaire, qui ont besoin d’un lien d’attachement avec leur enseignant ou leur enseignante pour développer un sentiment de sécurité. Quand il y a une instabilité du personnel, ça vient fragiliser ça », ajoute Kathleen Legault.

« Bien que nous [ayons] préféré qu’il en soit autrement, sachez que toutes les équipes du CSSDM conjuguent leurs efforts pour recruter l’ensemble du personnel nécessaire au bon fonctionnement et à l’atteinte de notre mission, fait valoir le message interne diffusé mercredi au centre de services scolaires. Notre démarche de recrutement est intensive et le portrait des postes à pourvoir est en évolution quotidienne et s’améliore d’heure en heure. »

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