La crosse, de rituel de guérison à sport national

La crosse est le sport national d’été du Canada, au même titre que le hockey en hiver. Mais pour les Mohawks, comme pour plusieurs nations iroquoises, la crosse est beaucoup plus qu’un sport.
Illustration: Mathieu Labrecque La crosse est le sport national d’été du Canada, au même titre que le hockey en hiver. Mais pour les Mohawks, comme pour plusieurs nations iroquoises, la crosse est beaucoup plus qu’un sport.

De la cabane à sucre du printemps à l’épluchette de blé d’Inde de la fin de l’été, en passant par les réunions autour des matchs de hockey de l’hiver, l’identité québécoise se décline en de nombreux symboles. Mais quelle part de ces activités est en fait héritée des Autochtones qui ont accueilli ici les premiers colons ? Notre série de textes « Québec Métis » fouille la question. Deuxième de trois articles.

D’abord conçu comme un rituel de guérison autochtone, le sport de la crosse est ensuite devenu le sport national d’été du Canada.

Dans le complexe sportif de Kahnawake, l’équipe des Mohawks du coin disputait samedi dernier un match contre les Axemen d’Ottawa, dans le cadre des éliminatoires de la Ligue de crosse sénior du Québec. Au même moment, les meilleurs joueurs de la communauté disputaient le championnat mondial à Limerick, en Irlande.

La crosse est le sport national d’été du Canada, au même titre que le hockey en hiver. Mais pour les Mohawks, comme pour plusieurs nations iroquoises, la crosse est beaucoup plus qu’un sport. C’est un rituel de guérison depuis des générations.

À quelques centaines de mètres de l’aréna, dans le parc de Kahnawake, des Mohawks continuent de pratiquer la crosse avec des bâtons taillés dans le bois très dur du caryer, ou noyer blanc, comme le faisaient leurs ancêtres.

« C’est un jeu-médecine, explique Dave McComber, posté devant un kiosque de fabrication de bâtons de crosse traditionnels. Il y a plusieurs interprétations à cela. La crosse peut avoir un sens très profond ou peut être juste un jeu. »

Photo: Caroline Montpetit Le Devoir

« Autrefois, le jeu de crosse était une façon de régler les disputes entre des gens, poursuit celui qui  pratique la crosse depuis plusieurs années et qui a donné des ateliers scolaires à ce sujet. Plutôt que de faire la guerre et de se battre, il y avait des parties qui duraient des jours. C’était aussi une façon de se préparer pour la guerre. Parce que les parties avaient lieu dans de grands champs, il fallait être de bons coureurs. Je parie qu’il n’y avait pas beaucoup de gens obèses à cette époque ! »

Encore aujourd’hui, les mères de clans peuvent réclamer un match de crosse pour régler un différend, ou pour remonter le moral de la communauté en période de crise.

Aux côtés de David McComber, Preston Jacobs fabrique des bâtons de crosse traditionnels en bois de caryer depuis plus de 40 ans.

« Les gens utilisent maintenant plutôt des bâtons en plastique ou en aluminium. Mais ici, les anciens croient que si le bâton n’est pas en bois, il n’a pas de pouvoir curatif », souligne David McComber.

Dans la tradition iroquoise, quand un garçon naît, il est fréquent qu’on dépose un bâton de crosse de noyer dans son berceau, explique-t-il. Et il arrive que des Mohawks traditionalistes se fassent enterrer avec un bâton de crosse, « pour jouer une ultime partie avec le Créateur », ajoute Preston Jacobs.

Dans la mythologie iroquoise (les Haudenosaunee), des jumeaux, l’un représentant le bien et l’autre, le mal, se disputent le pouvoir à travers un jeu de crosse.

Condamnée par les Jésuites

 

Traditionnellement, le jeu de crosse s’appelait tewaarathon, en mohawk. Le nom « crosse » aurait été inventé par le missionnaire jésuite français Jean de Brébeuf en 1637. Les Jésuites condamnaient par ailleurs ce jeu, qu’ils jugeaient trop violent.

Aujourd’hui, la crosse est un jeu très populaire au Canada et dans le monde. Au Canada, c’est à l’époque de la Confédération, en 1867, que les Européens ont commencé à s’intéresser à ce sport. Après l’organisation de quelques matchs mêlant les Euro-Canadiens et les Autochtones, la première équipe de crosse exclusivement euro-canadienne est formée à Montréal en 1842, relate Daniel Ferland dans son mémoire de maîtrise Les rapports entre Autochtones et Blancs dans le sport de la crosse de la région de Montréal au XIXe siècle, déposé au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke.

Photo: Caroline Montpetit Le Devoir

En 1860, un dentiste nommé William George Beers publie une brochure dans laquelle il établit les règles fondamentales du jeu de crosse, qui visent à rendre le jeu « plus sécuritaire et moins violent ». Le temps de jeu, qui n’a pas du tout la même valeur pour les Euro-Canadiens que pour les Autochtones, est déterminé à deux heures. C’est le début de l’exclusion des Autochtones de ce sport amateur, pour lequel ils seront confinés à des matchs de représentation.

En effet, dès 1868, l’Association nationale de crosse du Canada (CNLA) réglemente la participation des Autochtones, qui sont considérés comme des joueurs professionnels et qui peuvent avoir accès à des bourses, aux tournois amateurs de crosse. En fait, les joueurs autochtones, vus comme des professionnels, seront graduellement exclus de l’Association. Par conséquent, écrit encore Ferland, les Autochtones développeront une ligue intertribale, dont feront partie les équipes de Kahnawake et d’Akwesasne.

La crosse est un sport considéré comme étant d’origine canadienne, alors que le hockey, dont le premier match officiel aurait été disputé à Montréal en 1875, serait d’origine européenne. Par ailleurs, le terme même de « Canadien » a d’abord été utilisé par Jacques Cartier et Champlain pour désigner les Autochtones, avant qu’il ne définisse les colons français venus s’établir au Canada et leurs descendants.

En 1876, une équipe d’Iroquois est invitée à jouer un match devant la reine Victoria, au château de Windsor.

« Jusqu’en 1914, c’est vraiment la crosse qui est le sport le plus populaire ici », dit Gilles Janson, historien du sport, qui s’est intéressé aux rapports entre les Canadiens français et le sport au XIXe siècle. « Les matchs de crosse attiraient des foules immenses, alors que le hockey était plutôt joué par les universitaires. »

Discipline provisoire

 

Il y a quatre ans, le Comité international olympique (CIO) a accordé à la crosse un statut de discipline provisoire en vue des Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles. Or, plusieurs membres de la Confédération des six nations iroquoises, ou Haudenosaunee, ont dit souhaiter y être présents, sous leur propre drapeau reflétant leur identité autochtone. Déjà, les Jeux mondiaux 2022 ont été marqués par la participation de l’équipe des Haudenosaunee Nationals, composée exclusivement de joueurs autochtones.

Officiellement, pour être reconnus par le CIO, les Haudenosaunee devront notamment former un comité national olympique qui les obligerait à rassembler des athlètes dans au moins quatre autres sports. Actuellement, près d’une douzaine de territoires sont membres du CIO, bien qu’ils ne soient pas membres de l’ONU, dont Porto Rico et Hong Kong. 



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