Le français poursuit son déclin au Québec comme au Canada

De nouvelles données du recensement 2021 de Statistique Canada révèlent que le français continue de reculer au Canada comme au Québec, tandis que le nombre de personnes dont l’anglais est la première langue officielle dans la province dépasse maintenant le million de locuteurs, du jamais vu. Des experts appellent à la vigilance.
Tous les indicateurs montrent que le poids du français a diminué entre 2016 et 2021 au Québec. En chiffres absolus, son nombre de locuteurs a augmenté, mais cette croissance est inférieure à celle de la population totale.
La proportion des résidents du Québec dont le français est la langue maternelle a ainsi chuté, passant de 77,1 % à 74,8 % en cinq ans. Ceux qui parlent principalement français à la maison sont de leur côté passés de 79 % en 2016 à 77,5 % en 2021. Et la proportion de personnes qui l’utilise comme première langue officielle parlée — un indicateur qui permet de mesurer la place du français dans l’espace public — a quant à elle diminué, s’établissant à 82,2 % en 2021 alors qu’elle était de 83,7 % en 2016.
Ils sont malgré tout 93,7 % de résidents du Québec à affirmer pouvoir soutenir une conversation en français, une baisse comparativement aux 94,5 % de 2016.
À l’échelle du Canada, le français comme première langue officielle parlée est passé de 22,2 % en 2016 à 21,4 % en 2021, tandis que l’anglais a connu une progression de 0,7 %.
Les résultats du recensement montrent « que, en grande partie, les tendances se poursuivent au Canada », a commenté mercredi matin le directeur adjoint du centre de démographie de Statistique Canada, Éric Caron-Malenfant, lors d’une présentation faite aux médias.
Une situation qui inquiète l’expert en démographie Marc Termote, qui estime que le recul du français est substantiel. « Je pense que, malheureusement, ça confirme ce que je prévois depuis 40 ans. Mais je n’aurais pas pensé que la baisse serait aussi forte », lance le professeur associé de l’Université de Montréal. « Il y a peut-être un phénomène en chaîne qui est en train de se produire. »
Si le français diminue, cela se fait notamment au profit de l’anglais et des autres langues : un nombre croissant de Canadiens parlent une langue autre que le français ou l’anglais à la maison, selon Statistique Canada.
« Ces personnes représentent 12,7 % de la population canadienne, une proportion en hausse depuis 30 ans — elle était de 7,7 % en 1991, au moment où les niveaux d’immigration augmentaient », souligne le rapport.
Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie à l’Université Laval, note que le Canada a accueilli un nombre important d’immigrants temporaires, comme les étudiants ou ceux avec un permis de travail. Ceux-ci ont tendance à parler anglais plutôt que français, en plus de leur langue maternelle. « Au Québec, les immigrants continuent de s’orienter davantage vers le français que l’anglais, note-t-il. Le défi est de voir si les immigrants temporaires, qui deviendront ensuite des immigrants permanents, vont apprendre et maîtriser le français ».
« L’important, c’est la langue qui sera utilisée dans l’espace public, comme dans les commerces », ajoute-t-il.
L’anglais en hausse au Québec
Au Québec, la proportion de personnes qui utilise l’anglais comme première langue officielle parlée est à la hausse, passant de 12,0 % en 2016 à 13,0 % en 2021. Leur nombre a donc franchi le cap du million de locuteurs. D’entre eux, plus de 7 sur 10 se trouvaient à Montréal ou en Montérégie.
Une situation que Statistique Canada explique notamment par des « facteurs migratoires ». « On sait que le nombre de résidents non permanents qui se sont établis au Québec a augmenté entre 2016 et 2021 », mentionne Éric Caron-Malenfant. Il ajoute qu’il y a moins de migration vers les autres provinces. « On sait que les personnes qui quittaient le Québec étaient susceptibles de parler anglais », souligne-t-il.
L’agence fédérale aura un aperçu plus complet de la situation en octobre, lorsque des données sur l’immigration et les migrations interprovinciales seront dévoilées.
De son côté, Jean-Pierre Corbeil estime que la croissance de la population unilingue anglaise au Québec peut mener à l’utilisation de l’anglais au détriment du français. « C’est là où il faut rester vigilant, pour mieux comprendre les facteurs et envisager des mesures pour favoriser l’apprentissage du français et faire sa promotion », pense-t-il.
Cela n’est pas suffisant, pense toutefois Marc Termote. Il note qu’à Montréal, le français est la première langue officielle parlée de 58,4 % de la population, en baisse de 2,4 %, ce qui signifie l’atteinte « d’un certain seuil ».
« Il ne faudrait pas mettre ça sur le dos des immigrants allophones », prévient-il. « L’immigration joue un rôle, c’est certain, mais un rôle mineur. Le facteur fondamental du déclin du français, c’est le comportement de fécondité des francophones, qui ne font pas d’enfants. »
« En région, il n’y a pas de problème », ajoute-t-il. « Mais à Montréal, depuis une vingtaine d’années, les francophones de l’Île font en moyenne 1,2 enfant. Il en faudrait 2,1. Vous avez beau espérer gagner quelques personnes parmi les allophones qui pourraient passer au français, ça ne compense pas l’énorme déficit de naissances. »