Des Canadiens en Angleterre pour former des Ukrainiens

Jusqu’à 225 militaires canadiens seront déployés au Royaume-Uni au cours des prochaines semaines pour former les nouvelles recrues des forces armées ukrainiennes. Il s’agit d’une continuation de l’opération Unifier, qui a été interrompue au début du mois de février, deux semaines avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
« L’invasion a eu un coût important sur la vie de tous les jours des Ukrainiens et sur l’économie », a affirmé la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, en conférence de presse jeudi. Selon la ministre de la région de Toronto, le conflit est maintenant entré dans une nouvelle phase « très dangereuse » puisque le président russe, Vladimir Poutine, tente d’infliger des dommages à long terme en Ukraine.
Trois cohortes de membres des Forces armées canadiennes, au maximum, seront déployées pour une période d’environ quatre mois dans le sud-est de l’Angleterre. Les soldats agiront principalement à titre d’instructeurs. Le premier groupe, provenant en grande partie du 3e Bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, à Edmonton, partira le 12 août. Il rejoindra quelque 1050 militaires britanniques, qui forment déjà des soldats ukrainiens depuis le mois de juillet.
D’après des médias britanniques, 10 000 recrues ukrainiennes sont attendues à tour de rôle au Royaume-Uni au cours des prochains mois. Selon le réseau Sky News, plusieurs des conscrits, âgés de 18 à 60 ans, n’avaient jamais touché à une arme avant de commencer la formation. La ministre Anand soutient que le déploiement initial de quatre mois est tout de même suffisant pour former ces recrues. « C’est important de reconnaître que nous sommes des experts dans la formation », dit-elle.
Les Forces armées canadiennes entraînent depuis 2015 des soldats ukrainiens dans le cadre de l’opération Unifier. En date du 31 janvier 2022, 33 346 candidats des Forces de sécurité de l’Ukraine ont participé à des formations, d’après les données du gouvernement canadien. La mission a été prolongée à trois reprises ; en janvier 2022, Ottawa a choisi de continuer d’envoyer des membres des Forces armées jusqu’en mars 2025, avant d’interrompre la mission un mois plus tard.
D’après Ihor Kozak, un ancien soldat canadien qui a contribué à l’opération en tant que civil après sa retraite des Forces armées en 2009, Unifier a joué un rôle important dans la défense du territoire ukrainien depuis le début de l’invasion russe. « Les Ukrainiens utilisent les tactiques qu’on leur a apprises », explique-t-il. Le vétéran de l’armée canadienne se dit « extrêmement satisfait » du retour de l’opération de formation. « Ce type d’entraînement sauve des vies et va mettre fin à la guerre plus rapidement », dit-il.
Selon l’ancien député libéral d’origine ukrainienne Borys Wrzesnewskyj, le soutien arrive toutefois cinq mois et demi trop tard. Dans les jours qui ont précédé l’invasion, l’ancien président de l’association parlementaire canadienne de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a d’ailleurs insisté auprès des membres du gouvernement, dont la ministre Anand, pour qu’Ottawa déplace la formation dans un autre pays au lieu de l’abandonner complètement. Le gouvernement canadien, dit-il, doit maintenant « se poser des questions difficiles ».
Contexte houleux
La décision d’envoyer des instructeurs militaires en Angleterre survient quelques semaines après que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a condamné le Canada pour avoir envoyé des turbines en Allemagne, contrevenant ainsi à ses propres sanctions. Les turbines servent au fonctionnement du gazoduc Nord Stream 1, propriété de l’entreprise russe Gazprom. Le gazoduc approvisionne l’Allemagne en gaz naturel russe, mais la Russie refuse actuellement de recevoir la pièce.
La ministre Anand a été questionnée à plusieurs reprises sur le niveau de solidarité du Canada envers l’Ukraine, à la lumière de la décision de renvoyer la pièce. « Nous continuons d’être solidaires », a assuré jeudi la ministre Anand, qui a parlé à son homologue ukrainien, Oleksiy Reznikov, le matin même. Le Canada, dit-elle, doit trouver l’équilibre entre l’appui au peuple ukrainien et celui à ses alliés européens, comme l’Allemagne.
Ihor Kozak ne pense pas que la décision de renvoyer les turbines va envenimer les relations entre les deux pays, mais il déplore tout de même la décision du gouvernement canadien. « Si d’une part vous dites être solidaire avec l’Ukraine, qui se bat pour un monde libre, et que d’autre part vous envoyez les turbines, vous vous contredisez », soutient l’ancien militaire canadien qui est né en Ukraine. « C’est dangereux de céder au pouvoir de Poutine », poursuit-il.
Le gouvernement canadien « a trahi ses valeurs » en choisissant d’envoyer les pièces sur le continent européen, pense pour sa part Borys Wrzesnewskyj. « On nous avait promis en 2015 que le Canada serait de retour, pas qu’il serait en queue de peloton », affirme l’ancien membre du gouvernement Trudeau.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.