La méfiance règne à Repentigny

Un an après la mort de Jean René Junior Olivier à Repentigny, abattu par des policiers, la peur ressentie envers les autorités plane toujours au sein des communautés noires de la ville.
« On dirait que c’est encore pire aujourd’hui », lance Pierre Richard Thomas, le président de Lakay, un organisme qui promeut le multiculturalisme et lutte contre le profilage racial à Repentigny.
« Il y a des parents qui ont peur, qui ne veulent pas que leurs enfants aillent au parc », déplore-t-il. Certains disposent maintenant des caméras dans leurs voitures et devant leurs maisons, un phénomène qui serait en hausse depuis la mort de Jean René Junior Olivier. « C’est pas pour les voleurs, c’est pour la police. […] Au moins, ils auront des preuves », explique-t-il.
Selon lui, des parents sont inquiets au point d’emmener leurs enfants « faire toutes les activités parascolaires à Montréal », où ils « se sentent un peu plus en sécurité et respectés ». D’autres ont inscrit leurs enfants dans des écoles privées pour leur éviter de faire face à de la discrimination.
Dans ce climat d’absence de confiance, plusieurs citoyens de Repentigny refusent d’appeler la police lorsqu’ils ont un problème. « Dernièrement, quelqu’un dont le fils a un problème de santé mentale n’a pas appelé la police, il a appelé des gens de la communauté qui sont venus à leur secours. »
Il y a des parents qui ont peur, qui ne veulent pas que leurs enfants aillent au parc.
Rappelons que Jean René Junior Olivier est décédé lors d’une intervention policière à Repentigny, après un appel de sa mère au 911 pour demander de l’aide, car il était en détresse psychologique.
Il n'a pas été possible de parler avec un porte-parole de la Ville de Repentigny dans l'immédiat dimanche soir.
Le président de la branche de profilage racial de la Clinique juridique de Saint-Michel, Fernando Belton, « croit sincèrement que l’équilibre [entre la police et la population] est très très fragile, et qu’on est à un cas près d’un débordement ».
Des paroles libérées
La récente attention médiatique portée à des cas de profilage racial aura toutefois permis de « libérer la parole », selon M. Thomas. Le récent jugement du Tribunal des droits de la personne concernant l’affaire Ducas, qui condamne la Ville de Repentigny et deux de ses policières pour profilage racial, « donne un peu d’espoir aux gens qui subissent encore ça aujourd’hui de porter plainte », juge M. Thomas.
L’enseignant François Ducas avait été interpellé par deux policières alors qu’il conduisait sa BMW. Alors qu’elles lui demandaient de s’identifier, il a refusé, estimant qu’il n’avait aucune raison de le faire. Les deux policières l’ont donc arrêté et menotté.
Ces derniers jours, l’organisme de M. Thomas a d’ailleurs été contacté par « plusieurs personnes pour porter plainte. […] Il y a une plus forte mobilisation, les gens sont plus sensibilisés », explique-t-il.
Me Belton a lui aussi vu le dépôt de plaintes augmenter dans sa clinique. Il demeure toutefois critique quant à l’avancée que représente la décision du Tribunal pour l’affaire Ducas. « Vous avez une centaine de personnes qui portent plainte par année, et à la fin, on se retrouve avec une [seule] décision par année en moyenne. Est-ce qu’on peut vraiment parler d’une victoire ? » questionne-t-il. « Il n’y a rien de majeur [dans cette décision]. Ça exprime pour moi la lenteur du système. […] Le cas de M. Ducas s’est passé il y a 5 ans. »
Un sit-in commémoratif en la mémoire de Jean René Junior Olivier se tiendra lundi à 19 h devant l’hôtel de ville de Repentigny. Seront notamment présents ses parents, ainsi que des victimes de profilage racial, qui livreront des témoignages.
Des formations nécessaires
Selon Me Belton, une « formation de sensibilisation » auprès des « policiers, des avocats et des juges » est nécessaire, puisqu’« encore trop de tribunaux ont peur de se pencher sur la question du profilage racial ».
« Très souvent, les juges vont résoudre le problème du dossier sans passer sur la question. C’est très problématique, parce que ça prive les juristes et les victimes de jugements qui reconnaissent le fond du problème », juge-t-il.
Si l’avocat considère que la Ville de Repentigny a « beaucoup d’ouverture à faire les choses différemment », M. Thomas estime pour sa part qu’elle veut plutôt « noyer le problème » du profilage racial.
« En 2022, il faut faire une formation pour dire aux policiers de respecter les droits des Noirs. Je pense que c’est simple de respecter les droits de tout le monde », soulève-t-il ironiquement. Selon lui, ce n’est pas une formation, mais la reconnaissance du problème qui changera les choses.
« Comment ils veulent résoudre un problème de profilage racial quand ils ne reconnaissent pas que ce problème existe ? » lance-t-il en soulignant que dans le plan d’action de la Ville publié en 2021, on ne parle que d’« allégations » de profilage racial sans utiliser une seule fois le mot « noir ».