Le pape chez des toxicomanes de Québec

Avant de partir, le souverain pontife a remis une icône à l’effigie de Marie et de Jésus à la fraternité.
Charles-Frédérick Ouellet Le Devoir Avant de partir, le souverain pontife a remis une icône à l’effigie de Marie et de Jésus à la fraternité.

Loin des caméras qui le suivaient depuis son premier pas en sol canadien, le pape François a dérogé à son horaire officiel, jeudi, pour visiter un groupe d’hommes aux prises avec des problèmes de dépendance aux drogues ou à l’alcool. La Fraternité Saint-Alphonse, à Beauport, flottait encore sur un nuage au lendemain de cette rencontre en toute intimité avec le plus célèbre habitant du Vatican.

Le père André Morency se confesse : il a dû mentir pour préserver le secret entourant cette visite impromptue. « Je savais depuis un mois qu’il allait peut-être passer. La seule condition, c’était que ça devait rester confidentiel pour des raisons de sécurité. »

Ce mensonge, toutefois, était plutôt véniel. « Je ne pouvais pas dire, jeudi matin, que nous organisions un méchoui parce que le pape François venait nous visiter. J’ai plutôt dit à ma gang que nous faisons un méchoui pour les remercier ! »

La Fraternité Saint-Alphonse, qu’il a fondée il y a 30 ans, n’a pas l’habitude des invités de marque. Au contraire : il a baptisé les hommes qui la fréquentent les « sans-noms », des gens hantés par leurs démons, blessés par leur passé et souvent abandonnés à leur dérive.

« Ils ont presque toujours connu le rejet et l’indifférence, explique-t-il. Ils ont toujours été amanchés avec cette attitude-là. »

François, connu comme le pape des pauvres, tenait à leur témoigner ses égards après la messe qu’il a célébrée à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Il a fait dévier son important cortège de l’autoroute et du programme officiel pendant une vingtaine de minutes pour les saluer — parfois même les confesser — dans un français à faire rougir quelques ministres fédéraux.

En tout, une soixantaine de personnes ont vécu ce moment inattendu de proximité avec le pape, d’abord rapporté jeudi soir par TVA Québec.

Une rencontre intime

 

Plusieurs pensionnaires de la fraternité, encore abasourdis d’avoir eu cet accès intime au Saint-Père, n’en revenaient toujours pas vendredi. « J’ai encore des frissons », soulignait l’un d’eux au Devoir. « C’est incroyable ! » s’enthousiasmait un autre. Ils viennent à la fraternité pour déposer leur malheur dans l’espoir d’alléger leur vie. La visite papale — si brève fut-elle — leur a permis de se sentir, pour une rare fois, considérés.

Le père André Morency raconte que le pape, sitôt sorti de sa voiture, affichait un large sourire et un visage radieux. « Pendant les cérémonies officielles, je trouvais des fois qu’il avait la mine basse. Quand il est arrivé ici, c’était tout le contraire : il blaguait avec nous, il avait de la lumière dans les yeux. »

Avant de partir, le souverain pontife a remis une icône à l’effigie de Marie et de Jésus à la fraternité — en plus de glisser quatre enveloppes dans la paume de son hôte. « Il m’a dit qu’elles étaient destinées aux pauvres. Quand j’ai décacheté les enveloppes dans mon bureau, j’ai vu qu’il était écrit 5000, 5000, 5000 dans le coin. C’était un don : il nous a confié 20 000 $ pour les moins nantis », raconte le père Morency.

L’homme de foi prend une pause ; il est encore touché que François ait témoigné d’une telle mansuétude à l’égard de son oeuvre. « C’est notre pape, conclut-il. Lui, les démunis, c’est son monde. »

Le père André savait « depuis un bon mois » que le souverain pontife allait visiter sa cour arrière. L’archevêque de Québec, Gérald Cyprien Lacroix, lui avait promis, il y a de cela plusieurs années, de lui présenter le prochain pape qui viendrait dans la capitale nationale. « Je lui ai écrit une lettre quand la rumeur de sa venue à Québec a commencé à circuler, explique le prêtre de 73 ans. Histoire, rigole-t-il, de lui rafraîchir la mémoire ! »

Le cardinal — ou « Gérald », comme l’appelle son ami André — a finalement honoré sa promesse.

Du bar à l’autel

C’était, pour le père Morency, le point d’orgue d’une vocation religieuse qui a emprunté bien des détours avant de se confirmer.

Tenancier de bar à Shawinigan-Sud, un temps fiancé, André Morency n’avait que des dispositions lointaines à la religion. « Quand un gars venait s’asseoir de l’autre côté du comptoir pour raconter sa vie, c’est sûr que je l’écoutais, relate-t-il. C’est un peu ça que je fais encore, à la fraternité ! »

C’est une affiche épinglée au babillard d’une caisse populaire qui a allumé l’étincelle en lui. Puis, peu après, une faillite a accéléré sa réflexion. « J’avais vu un poster qui montrait un père blanc en Afrique. Je me suis dit que j’aimerais ça, moi aussi, aller travailler là-bas », poursuit M. Morency. Six mois plus tard, son commerce faisait faillite. Et « ce n’était pas une faillite payante », précise-t-il.

Le commerçant a vu le signal qu’il était temps de changer de voie et d’emprunter celle de l’Évangile. À 33 ans, il entrait en communauté — et assagissait ses samedis soir dans la foulée. « Je l’aimais, ma vie d’avant. Il fallait désormais que je me couche tôt parce que la prière du dimanche commençait à l’aube ! » raconte-t-il, sourire nostalgique aux lèvres.

À 40 ans, il devenait prêtre ; à 43, il fondait la Fraternité Saint-Alphonse. Depuis, il se consacre à soigner l’âme en peine d’hommes rescapés.

En son esprit, la visite de François a confirmé le bien-fondé de l’oeuvre à laquelle il a consacré la plus importante part de sa vie d’adulte. « Quand je l’ai vu descendre de sa voiture pour venir à ma rencontre, j’ai eu le coeur rempli et les yeux pleins d’eau, explique le père André. Des clins d’oeil comme ça, ça peut rester longtemps. »

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