Le port du condom peut être une exigence de consentement

Le non-respect de « l’utilisation exigée du condom » dans une relation sexuelle représente une violation du consentement, tranche la Cour suprême, qui a refusé vendredi d’acquitter un homme accusé d’agression sexuelle en Colombie-Britannique.
Dans sa décision de 187 pages rendue vendredi au nom d’une majorité de cinq des neuf juges de la Cour suprême, la juge Sheilah L. Martin a plutôt décidé de renvoyer le dossier impliquant Ross McKenzie Kirkpatrick devant la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.
Le plus haut tribunal au pays avait été appelé l’an dernier à rendre une décision dans une affaire s’étant déroulée en Colombie-Britannique et dans laquelle une plaignante a dit à un nouveau partenaire sexuel, M. Kirkpatrick, qu’elle aurait des relations sexuelles avec lui seulement s’il portait un préservatif. Les deux individus s’étaient rencontrés en ligne en 2017 et avaient convenu d’avoir des relations sexuelles protégées dans lademeure de M. Kirkpatrick. La plaignante était alors âgée de 22 ans.
Le fait que M. Kirkpatrick ait utilisé un préservatif la première fois qu’ils ont eu une relation sexuelle a conduit la plaignante à supposer qu’il en portait déjà un lorsqu’ils ont commencé à avoir des relations sexuelles pour la deuxième fois, quelques heures plus tard, a-t-elle déclaré au tribunal. Or, ce n’était pas le cas, un fait dont elle a dit ne pas s’être rendu compte avant qu’il éjacule.
La plaignante, qui a porté plainte pour agression sexuelle, aurait alors été « sous le choc et paniquée », selon son témoignage en cour. Elle aurait d’ailleurs fait part à M. Kirkpatrick de ses craintes d’être enceinte ou de contracter une infection transmissible sexuellement. Lorsqu’elle lui a demandé pourquoi il n’a pas utilisé un condom lors de cette relation sexuelle, il aurait fait valoir qu’il était « trop excité » pour ce faire. L’homme aurait d’ailleurs trouvé « très drôle » que la plaignante affirme avoir été victime d’une agression sexuelle.
Il est pourtant clair, sur le plan légal, que le retrait non consenti d’un préservatif désigne une agression sexuelle. La Cour suprême se concentre dans ce cas sur la notion de consentement entourant l’utilisation d’un préservatif. Ainsi, lorsque le port du condom est « une condition de la personne plaignante », son utilisation doit faire partie de « l’activité sexuelle » pour que celle-ci soit consensuelle, au sens du paragraphe 273.1 (1) du Code criminel. On ne peut donc exclure « l’utilisation exigée du condom » de la notion de consentement, tranche la Cour suprême.
« Si la victime a exprimé son consentement clair à utiliser un condom, à partir de ce moment-là, ça fait partie de son consentement à la base même », a résumé au Devoir l’avocat criminaliste Charles B. Côté.
La Cour suprême a ainsi rejeté la demande d’acquittement de Ross McKenzie Kirkpatrick.
« À notre avis, ce qui précède fournit au moins une certaine preuve que la plaignante n’aurait pas consenti [à une relation sexuelle] si M. Kirkpatrick lui avait dit qu’il ne portait pas de condom avant de la pénétrer la deuxième fois, alors qu’elle avait clairement exigé qu’il en porte un », relève la Cour suprême. Le consentement de la plaignante pourrait ainsi avoir été « vicié par la fraude », tranche le tribunal.
« Par conséquent, un nouveau procès doit être tenu », ajoute la décision.
Décortiquer le consentement
En 2018, M. Kirkpatrick avait d’abord été acquitté d’agression sexuelle en première instance, car le juge a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la plaignante n’avait pas consenti « à tous les actes physiques de relations sexuelles auxquels les parties s’étaient livrées » ni que l’accusé avait été explicitement malhonnête.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique n’était pas d’accord et a ordonné un nouveau procès, ce qui a incité M. Kirkpatrick à interjeter appel l’an dernier devant la Cour suprême. Il réclamait d’être acquitté sous la base de l’absence de preuve d’une action frauduleuse commise pour obtenir le consentement de la victime à une relation sexuelle. Une demande qu’a rejetée le plus haut tribunal au pays, tout en laissant un tribunal de première instance trancher ce dossier sur le fond.
La décision rendue vendredi vient ainsi rappeler que le port du condom est un élément important pour déterminer si on veut, ou non, avoir une relation sexuelle, mentionne l’avocat criminaliste Walid Hijazi. « Si quelqu’un consent à une activité sexuelle, mais exige le port du condom, bien le port du préservatif fait partie de l’acte sexuel auquel on consent. S’il n’y a pas de condom, il n’y a pas de consentement, point. »
Jusqu’aujourd’hui, rappelle-t-il, les tribunaux en dessous de la Cour suprême analysaient le consentement en deux temps. « Les tribunaux sedemandaient d’abord “est-ce qu’il y a un accord volontaire à l’activité sexuelle ?” Si oui, “est-ce qu’il a étévicié par le mensonge, c’est-à-dire : est qu’on a fait croire qu’il y avait un condom alors qu’en réalité il n’y en avait pas ?” La Cour suprême vient dire qu’on n’a pas à entrer dans une analyse de l’intention. Du moment où le port d’un préservatif a été exigé et qu’il n’y a pas de condom, il y a une agression sexuelle. »
Avec Améli Pineda et La Presse canadienne
Note : Une version précédente de cet article mentionnait erronément que le dossier a été renvoyé à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.