Sur les plaines d’Abraham, le pape et les Autochtones à la croisée des chemins

Le pape François passait au milieu de la foule à bord de la papemobile, mercredi soir à Québec, où le pèlerinage du Saint-Père et la quête d’avenir des Premières Nations se sont rejoints. Pour un groupe de 13 marcheurs autochtones, c’était aussi la fin d’un voyage de 275 km à pied.
Photo: Jean-François LeBlanc Le pape François passait au milieu de la foule à bord de la papemobile, mercredi soir à Québec, où le pèlerinage du Saint-Père et la quête d’avenir des Premières Nations se sont rejoints. Pour un groupe de 13 marcheurs autochtones, c’était aussi la fin d’un voyage de 275 km à pied.

Le pape François a entamé le volet québécois de son pèlerinage pénitentiel, mercredi, après avoir présenté en Alberta les excuses de l’Église aux Premiers Peuples. Et tandis que le Saint-Père arrivait à Québec en quête de pardon pour les crimes du passé, des pèlerins autochtones atteignaient aussi la capitale, après avoir parcouru 275 km à pied, déterminés à paver l’avenir de leur nation à saine distance des préceptes catholiques.

Le souverain pontife a atterri comme prévu en milieu d’après-midi. Sitôt les poignées de main protocolaires terminées, le cortège papal a pris la direction de la Citadelle de Québec, où la gouverneure générale Mary Simon et le premier ministre Justin Trudeau, notamment, l’attendaient.

Les plaines d’Abraham avaient mis leurs habits des grandes foules pour l’occasion. À 16 h, toutefois, à peine 1000 curieux se massaient le long du parcours que devaient suivre plus tard la papemobile et son célèbre passager.

Un pèlerinage de résilience à Québec

Au moment où le pape François débarquait à Québec, 38 ans après son prédécesseur Jean-Paul II, un autre pèlerinage — de résilience, celui-là — prenait fin. Treize marcheurs autochtones partis de Mashteuiatsh la semaine dernière arrivaient au terme d’une traversée de 275 km, de six nuitssur des lits de camp, de trois orages, de températures caniculaires et d’un nombre d’ampoules aux pieds en conséquence, rançon d’un chemin de guérison non sans douleur, au sens propre comme figuré.

Dans la capitale, une centaine de partisans avaient garni leurs rangs. Parmi la troupe : un ministre, un grand chef, plusieurs anciens pensionnaires et, surtout, l’espoir que cette jeunesse en mouvement écrive une histoire autochtone libre des traumatismes infligés à ses ancêtres.

« Il y a six jours, nous étions 13 étrangers venus de nations différentes. Aujourd’hui, nous sommes une grande famille », raconte Mitish Amélie Girard-Bégin, marcheuse innue de 38 ans et bachelière en administration des affaires. À ses côtés, Jay Launière-Mathias, directeur général de l’organisme Puamun Meshkenu à seulement 28 ans, opine. « Nous avons un rôle à jouer dans l’avenir de nos nations, dont celui de prouver que la collaboration est possible entre nous. »

La démarche derrière la marche en était une de réconciliation. Avant le départ, des aînés de Mashteuiatsh avaient raconté les blessures héritées des pensionnats pour Autochtones — des récits d’enfances volées, parfois violées, livrés par des adultes encore en quête de paix plus d’un demi-siècle plus tard.

Photo: Jean-François LeBlanc

Chantale Niquay, ancienne pensionnaire, a participé à la marche depuis Mashteuiatsh. Alcoolique avant même l’adolescence, elle est sobre depuis longtemps, mais avait encore quelques démons du passé à abandonner au creux du parc des Laurentides. « Je me sens libérée, c’est indescriptible », confie-t-elle. La visite papale, pour elle, soulage moins que le pèlerinage réalisé avec les siens. Tout au long du chemin, elle a regardé une jeunesse autochtone qui brandissait haut le drapeau de ses nations, fière de ses origines, alors qu’elle apprenait plutôt à en avoir honte lorsqu’elle était enfant. « Ils sont tellement beaux, ces jeunes-là ! » dit-elle, enthousiaste pour l’avenir.

Un autre marcheur, Billy-Ray Chachai-Piché, a fait la marche pour sa mère et sa grand-mère, toutes deux survivantes des pensionnats. « Je voulais apporter de la fierté aux femmes de ma famille », explique-t-il en massant ses pieds endoloris. Une façon pour lui de lever le voile qui assombrissait les yeux de ses aînées — quand sa mère, « silencieuse, comme absente », fixait le vide, raconte-t-il.

Un avenir sans Église ?

Pour le grand chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, cette nouvelle génération incarne la fin de la contrition autochtone.

« Le guitariste Robbie Robertson avait dit, un jour, une phrase qui m’avait marqué. Il avait dit que venir au monde autochtone, c’était venir au monde dans l’échec, que c’était naître pour échouer. À l’époque, c’était une mentalité très ancrée dans la croyance populaire. Le rôle de ma génération, c’était de tailler une place pour les enjeux autochtones dans l’espace public et de renverser cette perception. Le rôle de la génération qui vient, c’est d’occuper cette place. »

Photo: Jean-François LeBlanc

L’Église catholique, auprès des jeunes Autochtones comme des jeunes en général, n’a plus le prestige qui l’auréolait autrefois. « Le pape, je respecte ce qu’il représente, c’est un chef d’État après tout, indique Jay Launière-Mathias. Mais à titre personnel, je me demande si son Église a un rôle à jouer dans notre avenir… »

En quête de réconciliation

 

À quelques minutes de son passage sur les plaines d’Abraham, d’abord prévu à 18 h 15, mais finalement retardé d’une heure, le Saint-Père est apparu entouré de dignitaires sur les écrans géants érigés sur l’ancien champ de bataille. Quelques milliers de personnes, plusieurs issues des minorités culturelles, beaucoup avec les cheveux grisonnants, l’attendaient à l’extérieur dans l’espoir d’apercevoir pendant quelques secondes le monarque catholique en chair et en os.

La gouverneure générale Mary Simon, dans un discours qui a laissé une place hésitante au français, a invité le souverain pontife à étendre son effort de réconciliation par des gestes concrets. « Vous avez dit, à l’église Sacré-Coeur [d’Edmonton], que la réconciliation est une grâce à saisir. J’ajouterais que la réconciliation doit aussi se mériter par des gestes et un dévouement concrets », a indiqué la femme d’origine inuite.

Le Saint-Père, lui, a renouvelé sa demande de pardon. « Rencontrer les représentants autochtones, il y a quelques mois au Vatican, a imprimé en moi l’indignation et la honte des souffrances infligées à leur peuple », a-t-il indiqué dans son espagnol maternel, comparant le multiculturalisme du Canada à sa feuille d’érable emblématique, capable d’accueillir « toutes les couleurs de la diversité ».

Photo: Jean-François LeBlanc

Le pape François a finalement pris son bain de foule peu après 19 h.

Alors qu’il déambulait au son des tambours et des chants des Premiers Peuples qui résonnaient sur les plaines d’Abraham, deux hommes ont déroulé une banderole. « Les Soeurs de la charité, sans pitié pour les enfants du Mont d’Youville. Ensemble pour nos frères autochtones », y était-il écrit, en référence à un orphelinat de Québec aujourd’hui visé par une action collective.

Un petit rappel à l’intention du Saint-Père qu’au Québec, les abus et violences de l’Église n’ont pas que meurtri des enfants autochtones — et que ses victimes, maintenant adultes, réclament elles aussi excuses et dédommagements.



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